LES ENTRETIENS DE METAINFOS : ET SI ON AVAIT BESOIN en france D’UN PEU DE POUJADISME … 1/3

Avec Franck BULEUX

A propos de « Pierre Poujade », Cahiers d’Histoire du Nationalisme, n°20, Synthèse Editions, Paris décembre 2020.

  • ML : Cher Franck, vous retracez dans le dernier numéro des Cahiers d’Histoire du nationalisme que vous dirigez chez Synthèses Editions l’histoire de Pierre Poujade et de son mouvement alors qu’au même moment, Romain Souillac publie aux Presses de Sciences-Po,  Le Mouvement Poujade, De la défense professionnelle au populisme nationaliste (1953-1962), premier ouvrage sérieux et argumenté sur l’homme politique contestataire le plus prépondérant des années 50, comment expliquez-vous à la fois ce retour incongru de Poujade dans les études universitaires et son réel oubli politique dans les années 2020 ?

Le retour de formes de revendication que l’on peut qualifier de « poujadistes », parce que portant sur des intérêts légitimes mais catégoriels, repose sur des éléments très factuels. Si l’on se fonde sur l’esprit – si esprit il y a, ce dont je doute – de l’époque, le quinquennat de Macron, ma réflexion porte sur deux évènements, d’ailleurs les deux seuls qui caractérisent le règne présidentiel de cet ex-subordonné de la société Rothschild & Cie : la violente répression contre les manifestations des Gilets jaunes à partir de novembre 2018 et les restrictions de libertés collectives (se réunir, y compris en famille…) comme individuelles (se déplacer), prenant pour justification la crise sanitaire dès le 17 mars 2020.

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Or, dans les deux cas, l’injustice frappe principalement et essentiellement des corporations professionnelles ou des modes de vie qui déplaisent à la mondialisation « verte » : se déplacer pour travailler (le travail est de plus en plus déconsidéré, on en revient presque au tripalium, instrument de torture sous l’Antiquité grecque, quand certains l’évoquent), l’esprit individuel de volonté de réussir et de transmettre aux siens…

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L’augmentation exorbitante, car liée à la fiscalité plus qu’aux émirs, du coût des carburants comme la désignation de professionnels comme « non essentiels » (sic) à la vie de la nation, sont des éléments de révolte potentielle – naturelle – d’essence corporatiste. Dans une société marchande, celle produite par la bourgeoisie révolutionnaire à partir de 1789, l’activité de production est essentielle, la décrier ou la limiter est une atteinte à la vie des individus, à leur pouvoir d’achat, d’où un réflexe appelé « corporatiste ». Macron attaque le pilier « travail » de la nation mais se protège (le « coup du parapluie ») en se faisant passer pour le « défenseur » des droits acquis, en réalité ceux des GAFAM (la vente à distance par exemple, en l’espèce par correspondance sans utiliser les services de La Poste…) et des syndicats de gauche (ne rien faire tout en étant rémunérés est le symbole ultime de l’utopie marxiste avec la « nationalisation » des salaires du privé ou la glorification du revenu sans activité sociale, modèle proposée par l’islamo-gauchiste Benoît Hamon, qui donna, comme chacun sait, en qualité d’élu de Trappes, une définition ouverte du « vivre ensemble »). Bref, si un défenseur du travail vu comme libération individuelle et ferment social avait incarné ce combat, il aurait été le bienvenu. Pas les énarques Asselineau, qui a beaucoup à faire au niveau judiciaire, ou Philippot, dont le départ du Front national (FN) a réduit la portée de son message, ni le clown ineffable Bigard qui confond peuple et vulgarité, ni enfin – et surtout – le gauchiste « jaune » Jérôme Rodriguès, dont le seul but est de réaffirmer, à chaque sortie (n’est-il le seul Français jamais confiné ?), son éloignement de tout « populisme », préférant s’acoquiner avec la famille Traoré, symbole le plus caricatural de l’anti-France : non un vrai politique, un homme (ou une femme) qui, à l’instar de Poujade en 1953, s’attaque au pouvoir et aux « sortants ».

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Pour les sortir… Le confinement profite surtout à ceux qui sont en place.

Les Gilets jaunes scandaient à l’attention de Macron : « On vient te chercher chez toi » et quelques mois plus tard, le président répond « Confinez-vous ! ». Quant à Macron, il se voit bien confiner à l’Élysée pour dix ans (durée limitée par la Constitution avec deux mandats consécutifs, sinon…). L’époque est propice à la révolte mais le courage manque et il n’y a guère de génération spontanée prête à engager un rapport de force avec le pouvoir et encore moins de leader prêt à incarner ce combat. Le débat porte plus sur les conditions d’organisation de l’absence de travail (tout un travail, cela me rappelle le ministère du Temps libre – un syndicaliste enseignant à l’époque – mis en place par Mitterrand, Mauroy et leurs quatre ministres communistes en 1981 !) que sur l’évolution du monde professionnel. Or, le combat de Poujade s’inscrit dans la valeur travail, son organisation au sein de la société nationale, sa nécessité dans l’ordre familial traditionnel et son coût social, notamment dans le cadre de la solidarité nationale naturelle : une forme de projet organiciste fondée sur les lois naturelles d’une société protéiforme. Et enfin, il y a cette diabolisation sournoise mais permanente, née de la réduction du corporatisme à un mouvement égoïste, opposé aux valeurs de fraternité (la 3e valeur de la trinité républicaine) de la République. Le « national-égoïsme » fait partie, pour les médias mainstream, du processus de rejet d’un mouvement non conforme au « politiquement correct ». C’est la France des ronds-points qui est condamnée, exclue de tout débat car elle ne parle pas de solidarité avec les migrants mais avec ses propres fils et filles.

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Quant à l’oubli de Poujade, si vous parlez de l’homme, il l’a un peu cherché, déconstruisant son mouvement dès 1965 en se ralliant au régime, notamment sous l’influence de Pompidou (un gaullisme « vu de droite ») mais aussi de Giscard d’Estaing puis de Mitterrand et enfin, de Chirac. Plus intéressant, le poujadisme, qu’il faut distinguer et dissocier de son créateur, ce populisme s’inspirant d’une organisation sociale fondée sur le travail, né dans les territoires oubliés résistant au modernisme et au mondialisme, peut, lui, représenter une valeur d’avenir même si le poids de l’urbanisation, des métropoles, de l’Île-de-France, fait que la France a plus les yeux braqués sur Bondy, la ville de M’Bappé que sur Saint-Céré, modeste commune du Lot où est né le phénomène Poujade et dont le leader commerçant fut l’élu local dès 1953. La Seine-Saint-Denis avant le Lot !


Saint-Céré, Lot le magasin de Poujade et le premier siège de l’UDCA et du journal Fraternité française.
  • – ML : Mais qui était donc Pierre Poujade ? Qu’est-ce qui le fait naître à la politique et comment caractériseriez-vous le phénomène du poujadisme ?
Poujade, le tribun de la IVe République.

Pierre Poujade naît à Saint-Céré, chef-lieu de canton du Lot, en 1920 mais politiquement, c’est en 1953 qu’il devient ce qu’il fut, un leader d’opinion qui suscita une mobilisation et un espoir parmi une frange de la population. Il s’agissait à l’origine, pour ce papetier, de riposter contre des contrôles fiscaux inopinés, agressifs et permanents menés par les « polyvalents » (agents du fisc qui contrôlaient sur place les livres de compte des professionnels et tout document visant à rectifier, à la hausse, le revenu déclaré et donc l’impôt dû) chez les travailleurs indépendants. C’est la révolte d’une France du « petit » commerce face aux moyennes et grandes surfaces qui commencent à s’implanter dans le paysage urbain ou péri-urbain et aux politiques qui défendent uniquement l’ouvrier salarié (il n’y a pas de chômage à cette époque) et n’ont guère de déférence pour le patron (le PCF représente un quart de l’électorat et est le premier parti de France, même s’il est dans l’opposition résolue et non constructive depuis 1947).

Pierre POUJADE on We Heart It

La gauche subtile (oxymore) n’a jamais réellement fait la distinction entre un patron d’une société cotée en Bourse et un artisan boulanger : ce que le PCF et ses satellites rejettent, ce n’est pas l’homme aisé, c’est la volonté de s’émanciper, d’entreprendre, le goût du travail. Le marxisme est une philosophie visant à la négation de l’homme comme propre constructeur de son devenir, la protection « sociale » n’est que le faux-nez de l’anéantissement de Prométhée.

Pour en revenir aux travailleurs non salariés, il y a un réel déficit de représentation de ce monde. Le géographe Christophe Guilluy dénonce, depuis 10 ans (seulement), les « territoires oubliés » de la République, la « diagonale du vide » qui traverse largement la France du nord-est au sud-ouest de l’Hexagone. Poujade, lui, les avait rencontrés, ces « territoires » et surtout les femmes et les hommes qui les composent. Initialement, la France du sud-ouest, entre Limousin, Auvergne et Midi-Pyrénées, a permis au mouvement Poujade de se développer, de faire émerger une espèce de « chouannerie » laïque, qui représente la triade nation-famille-commerce. Une France qui travaille, qui se lève tôt, qui se couche tard et qui veut être respectée. Ni plus, ni moins. La gauche socialiste et radicale hurlait au retour de « Poujadolf », toujours prête à faire de bons mots, tout en préparant l’avenir en terrasse des « Deux magots » à Saint-Germain-des-Prés.

VICKY dessin de L’EXPRESS

L’esprit vient mieux aux sachants qui devisent autour d’un verre, préparant derechef leur été à Sanary-sur-Mer, dans un glauque entre-soi. Mendès versus Poujade, France comme opportun ajout à un patronyme contre la France éternelle, la France des salons contre la France des terroirs. La terre qui ne ment pas contre le « Village global » dépourvu de frontières avant l’heure. En 2021, le Salon de l’agriculture n’a pas lieu, qui s’en soucie ? La représentation des territoires ruraux n’est plus incarnée, elle n’est même plus souhaitée. On en revient toujours à l’esprit jacobin, omniprésent en France. Vous savez, Poujade a eu du mal à se décider à « monter à Paris » pour y être finalement candidat à une législative partielle en 1957… et y être sèchement battu. Certes, son mouvement, Union et fraternité française (UFF) y avait obtenu des élus en janvier 1956, dont Jean-Marie Le Pen, benjamin de l’Assemblée nationale (à 27 ans !) mais le ressac électoral fut rapide et violent. Déjà, Le Pen avait quitté le navire et le peuple de droite (« celui du métro à 18h » comme disait André Malraux) pressentait et espérait le retour de De Gaulle. Il fallait un chef à la France et Poujade n’était pas celui-là. Certains attendaient le « résistant », d’autres le « militaire », cela fera une majorité.

Le livre de Franck Buleux sur Poujade peut être commandé auprès de l’auteur :

franck.buleux@orange.fr, dédicacé et frais de port inclus, pour 30 €.