LES DEUX PREMIERES RENAISSANCES MEDIEVALES 1/2

Par Bernard PLOUVIER

Nul ne peut contester que notre civilisation occidentale ait été fondée sur la civilisation gréco-romaine antique et refondée par le brillantissime Quattrocento italien et son imitation un peu partout en Occident au XVIe siècle, puis par les découvertes techniques et scientifiques du XVIIIe siècle à nos jours.

Ce n’est toutefois pas une raison suffisante pour mépriser les deux premières tentatives, abortives faute de personnel compétent. Au Quattrocento, c’est une partie du minuto popolo italien – le petit peuple – qui assura les conditions techniques du succès de la troisième et Grande Renaissance financée par des mécènes pontificaux et princiers.

La première et timide Renaissance, celle des Carolingiens, aux VIIIe et IXe siècles, avait eu pour effet de rendre le clergé chrétien d’Occident un peu moins ignare et de rappeler aux clercs l’intérêt de connaître la langue latine, certes pratiquement morte, mais indispensable à la connaissance de la sagesse antique. Elle avait un peu discipliné les fidèles, singulièrement les plus turbulents d’entre eux : les guerriers, en insistant sur la nécessité d’une vie morale et par l’institution d’un barème de pénitences pour les fautes. Elle avait accentué la part de mystère des rites, visant à faire renaître la peur de l’Enfer chez les puissants pour rendre la vie quotidienne un peu moins cruelle aux faibles, les humiliores. Enfin, elle avait restauré un minimum de vie administrative, imitée de la Rome du Bas-Empire.

C’était peu en valeur absolue, mais l’Europe occidentale était tombée si bas du fait de la conjonction d’épidémies et de mauvaises récoltes liées aux guerres incessantes, de l’effondrement de toute autorité civile autre que celle dépendant du « droit du poing » et de l’amoncèlement de destructions, de pillages et de massacres par les envahisseurs barbares successifs – Germains, Berbères et Arabes, Hongrois et Hommes du Nord ou Vikings -, que ce petit regain d’ordre, de culture et de hiérarchie mérite indéniablement le nom de première Renaissance.

Ce fut plus exactement une révolution, ce qui témoigne d’un mouvement de retour vers le passé, pour en reprendre ce qu’il y a de mieux. Tout fut, hélas, perdu dès le Xe siècle, faute d’une direction solide et durable, seule capable d’entraîner l’adhésion des moins sots et des moins corrompus des contemporains.

Durant cette première Renaissance, les empereurs et rois auront tenté – vainement sur le long cours – de bien différencier les pouvoirs temporel et spirituel. Les papes énergiques, avides d’argent et de puissance, tenteront jusqu’à la fin du XVIe siècle de dominer les titulaires du pouvoir temporel. Le mélange des genres, en l’occurrence le mixage absurde de la politique et du milieu clérical, est toujours une catastrophe pour les peuples, qui paient la note des erreurs commises par les « grands ».

À Bagdad, au Xe siècle, un juge suprême de la charî’a, le vieux sectaire Abou el-Hassan el-Mâwardi, se fait le champion (intéressé) des califes-sultans – soit l’union du pape et de l’empereur transposée à l’islam sunnite. Mustafa Kemal Atatürk tranchera en abolissant le califat en 1924. De nos jours, la République laïque turque est morte, l’État étant redevenu islamique par la volonté d’un dictateur charismatique, tandis qu’un illuminé s’est proclamé calife en 2014 avant d’être réduit en énergie et en chaleur par l’armement occidental.

Aucun progrès de l’esprit humain n’est jamais définitif. L’homme moyen retourne régulièrement à son infantilisme, tant il est vrai que toute société humaine renferme davantage de sous-doués et de moyennement doués que de surdoués aux plans de l’intelligence et du sens moral. C’est en cela que l’histoire humaine est une perpétuelle répétition des mêmes erreurs qui engendrent les mêmes drames.  

(à suivre)