par Bernard PLOUVIER
« Dieu, personne ne l’a jamais vu »
Prologue de l’Évangile selon Jean, verset 18.
Certains penseurs – humoristes conscients ou inconscients – ont affirmé que faire son devoir d’être humain était de répondre à l’attente de Dieu… l’être dont tout le monde parle et que nul ne voit jamais, sauf les halluciné(e)s.

D’aucuns, tel Emmanuel Kant, ont estimé qu’il s’agissait d’une affaire de « raison intérieure », ce qui est, au mieux, une tautologie, ou, présentée de façon moins noble, une affirmation d’une banalité à faire pleurer… soit l’attribut de la cuistrerie universitaire.

Pour d’autres illustres maîtres, il s’agissait de répondre à une contrainte sociale (Jeremy Bentham) ou plus simplement à son propre intérêt bien compris (John Stuart Mill). Goethe a parlé du devoir comme de « l’exigence du jour présent », tandis que Schopenhauer en a fait l’essence même de la vie.

Il existe un peu, voire beaucoup de vrai dans les réponses éthiques et utilitaires, et même de quoi satisfaire un certain enthousiasme, du moins tant que le contact avec ses chefs ou ses subordonnés, avec ses compagnons de travail ou d’infortune n’a pas encore terni puis tari cet enthousiasme.
Le Britannique Jeremy Bentham avait raison d’ajouter une notion quantitative à celles, qualitatives, ressassées depuis la plus haute Antiquité. Les notions de devoir, de travail, de famille, de compassion et d’altruisme sont des valeurs humaines majeures qui résistent mal aux inévitables désillusions et s’usent à force d’avoir été trop sollicitées.

Ce n’est d’ailleurs pas la conclusion qu’en tirait Bentham. Pour lui, le devoir était accouplé à une notion d’arithmétique sociale : une action n’a nulle valeur morale en elle-même ; seules comptent ses conséquences pour un maximum de personnes, qui en bénéficient ou en pâtissent.

On glorifie ainsi le travailleur précis, méthodique et ponctuel, mais cela suffit-il à définir la notion de Devoir ? Certes, tout ce qui permet à une communauté de prospérer aux plans économique, intellectuel, scientifique et technique ou sanitaire est fort bon à prendre, mais cela reste typiquement matérialiste.
Même la religion est trop souvent une affaire de type donnant-donnant : on adore Yahvé et on lui offre des sacrifices en contrepartie de richesses et d’une postérité ; on accepte les commandements des Églises chrétiennes ou de l’Islam en contrepartie de l’assurance-vie éternelle.

Confronté à tout cela, Nietzsche a éructé ses blasphèmes moraux : « Les utilitaristes anglais avancent pesamment comme des bêtes à cornes… persuadés qu’il faut suivre son bonheur personnel… ne voulant rien savoir d’une hiérarchie entre les hommes et qu’une unique morale, la même pour tous, porte préjudice aux hommes du plus haut rang de valeur… que le bonheur de la majorité représente un idéal à vomir pour celui qui se distingue en n’appartenant pas à cette majorité » (in Par-delà Bien et Mal, dans ses notes additionnelles que ne rapportent pas toutes les éditions parues depuis 1945).

Ce sont effectivement des phrases qui ont connu une certaine publicité durant le Reich hitlérien et qui sonnent très curieusement à l’ère globalo-mondialiste, en notre époque d’hédonisme et de matérialisme triomphants.
À l’apogée de sa gloire, Alexis Carrel, homme de haute noblesse – devenu un objet de répulsion dans le monde actuel, puisqu’il était un partisan affirmé de la profonde inégalité des êtres humains, ce qui est le péché mortel de notre civilisation où tout consommateur est égal à son voisin face au dieu du commerce -, avait écrit : « Chaque vieillard est entouré du cortège de ceux qu’il aurait pu être, de ses potentialités avortées ».

Si les guerres semblent gâcher des vies d’hommes jeunes en les écourtant, que dira-t-on des époques de consumérisme effréné, de course-poursuite des petits plaisirs ?
Les époques de dégénérescence sont celles où l’excès de matérialisme s’accompagne d’un trop plein de cynisme ; celles où les débauchés tentent de justifier leur mode de vie par un raffinement, une affèterie d’esthète, par un nihilisme de pacotille qui n’est jamais que le mépris des valeurs honorées par les gens simples, honnêtes et travailleurs.

L’histoire démontre qu’on a vécu ces époques viles et molles à chaque fois qu’une élite décadente s’est vautrée dans le néant. L’on n’a que l’embarras du choix pour désigner quelques-unes de ces grandes décadences : la romaine des IVe et Ve siècles, la française des années 1774-1789, la judéo-viennoise des années 1890-1938 et sa cadette la judéo-berlinoise des années 1918-1932… enfin l’Europe occidentale et scandinave actuelle, sous-produit avarié du féminisme et de la chienlit soixante-huitarde.

la société du divertissement ?
À certains moments de la vie, qu’elle soit ou non troublée par des événements qui dépassent la destinée individuelle, il est délicat, voire hasardeux, pour n’importe qui de décider ce qui est juste, noble, nécessaire, surtout lorsque ces qualificatifs s’opposent, au moins en apparence.
Il faut alors trancher. On doit le faire au mieux des intérêts de la collectivité qui est celle de nos pères et que, de façon naturelle, on doit servir.