ENTRE HONTE ET PEUR

par Jordi GARRIGA

La pandémie qui a frappé la planète met de plus en plus en évidence la chute du mythe du progrès. Vous savez: l’humanité, depuis la nuit des temps, depuis que nous sommes tombés de l’arbre selon la célèbre idée, n’a cessé d’avancer, de s’améliorer, d’atteindre un avenir qui est l’endroit idéal comme la ligne d’horizon où nous avançons toujours, bien qu’il ne finisse jamais,.

L’idée de progrès s’est consolidée au cours du XIXe siècle, qui fut le grand siècle du capitalisme et de la révolution industrielle, avec l’expansion planétaire et la multiplication des biens, il semblait que le paradis pouvait s’établir sur Terre, que l’Eden perdu par Adam et Eve pourrait être restauré par les mêmes humains.

Personne n’a avoué, mais c’était une simple substitution religieuse: de la croyance au ciel à la croyance en l’avenir. À la fois des lieux invisibles et situés à la portée de celui qui travaille « bien ».

Et c’est ainsi qu’on le croyait depuis longtemps en Europe, aux États-Unis et dans d’autres parties du monde: l’exploitation des ressources et l’extension d’un modèle social basé sur la poursuite individuelle de la richesse, semblait être la clé de la réussite et du bonheur.

Mais à partir des années 1970, tout cela a commencé à être remis en question par l’apparition du mouvement écologique moderne. La réponse fut alors que le progrès pourrait être « durable », c’est-à-dire qu’on pourrait en adoucir ou en ralentir certains aspects, c’était la notion, l’oxymore de “développement durable” qui souhaitait donc TOUJOURS aller de l’avant.

L’effondrement de l’Union soviétique semblait donner un nouvel élan au mythe: les idéologies qui s’opposaient au capitalisme, bras armé inséparable du progrès, s’étaient effondrées ou avaient été vaincues les unes après les autres. La fin de l’histoire allait bientôt se lever, il n’y aurait plus de chocs sur la route de la perfection humaine …

Mais … l’islamisme radical surgit, la Chine reste et est désormais une superpuissance, la Russie également, les problèmes endémiques non seulement persistent, mais augmentent: faim, guerres, terrorisme, mouvements de population, épuisement des ressources. De moins en moins de gens ont des raisons de penser à un avenir meilleur. La logique capitaliste prévaut: délocalisation des entreprises, baisse des salaires, terreur idéologique, propagande massive.

Certaines personnes naïves croyaient (je suppose qu’elle faisait partie du scénario) qu’avec la crise des coronavirus, nous sortirions mieux en tant que personnes. Après quelques jours, la réalité prévaut et c’est comme si de rien n’était. Un autre mythe, celui de l’éducation comme facteur de progrès, s’en trouve liquidé.

La sortie du système actuel est claire: s’il n’y a pas d’avenir, qu’il n’y a pas de passé, que personne ne peut trouver dans l’histoire un indice qui puisse démontrer qu’ « hier fut meilleur qu’aujourd’hui” et que nous vivons dans un monde qui, bien que désastreux, est préférable aux précédents, alors il faut rompre de suite et radicalement les ponts avec le passé.

La philosophie à l’école doit être supprimée, car elle enseigne l’esprit critique et nous rappelle que la Grèce antique fut le berceau de la pensée en Europe. Remplaçons-la donc par le coaching et les livres de “développement personnel”.

Il nous faut aussi dénigrer le passé et démolir toutes les statues et monuments qui rappellent les grands hommes, car dans le passé tout était mauvais: c’était tous des machistes et des racistes.

Féminisez tout, pas pour les femmes, mais pour changer le sens des événements historiques et la façon de parler: la langue est la clé de la pensée, alors la clé doit être changée pour que personne ne puisse accéder à la sagesse ancienne. Créer des stéréotypes raciaux où le créateur est identifié comme étant un exploiteur et la victime, le nouveau saint de la religion laïque de la «nouvelle normalité».

La nouvelle norme est la suivante: un présent éternel dans lequel nous vivrons enfermés entre deux murs. D’une part, la honte d’un passé dont nous ne voulons pas nous souvenir et, d’autre part, la peur d’un avenir incertain.

Pour le supporter, on nous offrira deux voies de sortie: la honte du passé rachetée par l’humiliation (“Agenouillez-vous ! Repentez-vous ! Demandez pardon !”), et la peur de l’avenir en échange de la vente de notre âme (puisqu’on ne parlera plus de salut de l’âme, mais de sa vente selon la logique marchande qui règne partout). Et ces deux portes de sortie, comme ce Présent, n’en finiront pas non plus …