PANDÉMIE, RELIGIONS ET PASSIONS

Par Yves MONTENAY

Crise mondiale du coronavirus : comment on est-on arrivé là ? Pour mille raisons, parmi lesquelles le goût de la communion dans de grands rassemblements.

Aujourd’hui, on accuse les gouvernants, aussi bien chinois que français ou américains, de ne pas avoir pris la mesure de la menace pandémique.

Laissons de côté le cas chinois qui est extrême : on a réprimé et donc « censuré » toutes les informations, et donc toute action, en décembre 2019, et même probablement dès novembre.

Passons maintenant aux démocraties :

  • Les démocraties asiatiques, alertées par l’exemple chinois, avaient l’expérience de l’épidémie de SARS et ont des caractéristiques culturelles qui ont été bien médiatisées maintenant. Elles ont donc relativement bien limité les dégâts.
  • Les démocraties occidentales, du fait de leur presse libre, avaient une bonne connaissance des faits. Connaissance qui a fait réagir les pouvoirs publics, peut-être trop progressivement. Mais il faut se souvenir que les « bas bruits » sont noyés dans les controverses du jour qui semblent aujourd’hui secondaires, mais qui accaparaient alors l’attention de chacun. En France le débat sur les retraites, la grève des transports et les tentatives de la relancer, une tension entre les enseignants et le ministère etc.

Bref, les responsables des rassemblements de masse étaient au courant, mais n’y ont pas prêté suffisamment d’attention et ont continué leurs activités habituelles jusque vers la fin de février, et même au début du mois de mars.

Ces rassemblements ont largement contribué à l’accélération de la pandémie, notamment en Corée du Sud, en France et en Italie.

Dans le cas des religions, il s’agit de celles qui n’ont pas d’autorité centrale pouvant appeler à la prudence : les protestants, les bouddhistes ou les musulmans.  Je vais rappeler ci-après ceux qui me paraissent liés aux passions religieuses ou laïques :  chrétiens, musulmans, bouddhistes … et autres « fanas” de foot.

Commençons par les chrétiens.

Les rassemblements chrétiens

Les médias français ont à peine remarqué à l’époque le  démarrage en flèche de l’infection en Corée du Sud du fait d’une église protestante. Il s’agit de l’Église Shincheonji de Jésus.

Cette église avait organisé une réunion à Daegu, le lieu de naissance de Lee Man-hee, son fondateur, dont les membres croient qu’il a repris le rôle de Jésus Christ et emmènera ses 144 000 membres avec lui au paradis le jour du Jugement.

Une personne infectée a été identifiée après avoir contaminé un nombre indéterminé de membres de la secte, et  9 300 membres de cette communauté ont été placés en quarantaine. La secte est suspectée d’avoir dans un premier temps demandé à ses membres de cacher leur possible contamination, ce dont elle se défend.

Les autorités ont identifié la plupart des membres de la réunion suspecte, qui se sont ensuite répandues dans l’ensemble du pays. Elles ont également réussi à les isoler ainsi que les personnes qu’elles ont rencontrées. Une pétition qui a rassemblé un demi-million de signatures a été adressée à la présidence sud-coréenne pour demander la dissolution de la secte.

Les médias se penchent aujourd’hui sur l’église protestante « Porte ouverte chrétienne », qui est devenue un foyer d’infection (pourquoi utiliser le mot anglais « cluster » ?) après son rassemblement de prières du 17 au 24 février à Mulhouse.

Les 2 300 fidèles sont ensuite revenus chez eux, en France et en Allemagne. Ce serait l’origine de l’infection qui a gagné l’Alsace puis la région du Grand Est, toujours la plus touchée aujourd’hui, et contribué à celle de l’ensemble de la France.  Il n’y avait certes pas encore de directives officielles, mais le résultat est là.

Au Burundi, en Afrique centrale, le président constatant le 27 mars qu’il n’y avait aucun cas de contamination dans le pays (ce qui est bien sûr invérifiable) a solennellement proclamé que « le Burundi était protégé par Dieu ». Au grand dam de certains qui craignent que la population, comptant sur cette protection divine, ne prennent pas de précautions.

Aux Philippines, 1 500 dignitaires chrétiens se sont rassemblés à la mi-mars pour l’ordination d’un évêque en pleine connaissance de cause puisque que le responsable a déclaré avoir disposé du gel hydroalcoolique à l’entrée de la cathédrale.

Des nouvelles analogues remontent du monde musulman.

Les pèlerinages musulmans

Comme pour les autres religions, le contexte national joue beaucoup.

Dans certains pays comme le Maroc ou le Sénégal, les dirigeants sont en liaison étroite avec les religieux, le roi du Maroc étant même « commandeur des croyants ». Sauf dissidence, les consignes appliquées depuis quelques jours sont donc respectées.

On peut imaginer qu’il en va de même en Égypte, connaissant la poigne de fer du président Sissi.

Mais, à l’échelle mondiale, il n’y a pas d’autorité ni même l’équivalent des églises catholique, orthodoxes ou protestantes. Par ailleurs le dogme insiste sur la toute-puissance divine, ce que certains appliquent avec fatalisme à la vie courante.

[ A Mayotte, département français musulman, malgré le décret de fermeture des mosquées, les fidèles continuent dans de nombreux secteurs à s’y rendre discrètement en continuant d’échapper à toute infraction. ]

La situation actuelle a donc rappelé aux érudits le célèbre débat qui a eu lieu dans lémirat de Grenade (dans la partie de l’Espagne alors musulmane) en 1348 pendant une épidémie de peste. Ce débat opposait les médecins Ibn Khatima et Ibn al Khatib. Le premier s’en remettait à Dieu qui distribuait la maladie selon sa volonté, le second soutenait qu’elle se répandait par contagion, et demandait donc des mesures pratiques. Ce débat est toujours d’actualité.

En Malaisie, l’épidémie a brusquement explosé à la suite du « pèlerinage » organisé le 3 mars par une organisation musulmane, le Tabligh Jaamat, qui a rassemblé des milliers de participants venus de plusieurs pays d’Asie. Les pouvoirs publics ont alerté la population pour situer les participants qui sont repartis non seulement en Malaisie mais aussi dans leurs pays d’origine. Néanmoins, cette organisation a organisé un  nouveau pèlerinage le 18 mars en Indonésie qui a rassemblé 8000 personnes…

En France, le Tabligh a eu son heure de succès, en insistant sur la piété. Ces fondamentalistes cultivent le repli dans la religion, donc sans interférer avec le reste de la société contrairement à des activistes comme les islamistes.

La population est pourtant assez bien informée des risques l’épidémie, et ce serait même cela qui expliquerait le succès des pèlerinages (rappelons que celui de la Mecque a été supprimé) : « il est plus important de s’occuper de l’âme que du corps », « les prières peuvent guérir », voire « si on meurt ici, on ira au paradis ».

Les Hindous  et les Bouddhistes, leurs foules et leurs traditions

Toujours en Malaisie, les hindous se sont également rassemblés.

En Inde, il serait intéressant de voir si les grands rassemblements traditionnels seront maintenus, alors que le gouvernement actuel est « national–hindouiste ».

À Varanasi (Bénarès) par exemple il y a un gigantesque pèlerinage, et une accumulation de petits, dans un désordre sanitaire total avec bains dans un Gange extrêmement pollué. J’y suis passé un jour « normal » et c’était effarant. D’ailleurs les colons anglais nous ont laissé des récits épouvantés.

La religion bouddhiste est très différente d’un pays à l’autre. Elle va des principes les plus généraux et abstraits applicables à presque toutes les civilisations, à des pratiques qui ont intégré des rites voire des superstitions qui peuvent laisser perplexe un médecin occidental.

J’ai entendu parler d’un village craignant l’infection qui avait demandé à une procession d’en faire 49 fois le tour en priant.

Ce n’est pas ironique : qu’a fait Josué à Jéricho ? Et qu’ont fait les chrétiens pendant plus d’un millénaire, voire le font parfois encore lorsque la pluie manque ? Et je ne connais pas toutes les variantes notamment africaines du christianisme.

Et il n’y a pas que les religions .

La passion des supporters des grands matchs de foot

Il y a une vingtaine d’années, j’étais en Iran dans la ville sainte de Qom, peuplée de mollahs. Ils n’étaient pas systématiquement partisans du régime qui leur avait donné le pouvoir, car « la politique risque de dégoûter les Iraniens de l’islam ». Ce qui arrive effectivement aujourd’hui.

Je discutais avec l’un d’entre eux, et pris un air grave :

– « j’ai l’impression que l’islam est en train de disparaître au profit d’une autre religion »

Mon interlocuteur prit un air soucieux :

– « Laquelle ? »

– « Le foot »

Le mollah, bonne pâte, se mit à rire et répondit :

– « Je crois que vous avez raison »

Effectivement. Moi qui suis assez indifférent aux « millionnaires en culottes courtes », je suis sidéré par l’adoration du public pour leurs équipes nationales. Il me semble que cela dépasse souvent la ferveur religieuse.

Étant en Algérie un jour où l’équipe nationale recevait en Égypte des pierres des supporters de l’équipe locale, j’entendis : « S’il n’y avait pas la Tunisie et la Libye entre nous, il faudrait envoyer les chars ! ».

Bref, cette adoration explique les grands rassemblements comme la rencontre de Ligue des champions entre l’Atalanta Bergame et Valence, le 19 février : plus de 43 000 fans dans les travées, et 2 500 spectateurs dans la tribune. Ce qui, d’après le Corriere dello Sport a fait « exploser » les contaminations.

Rajoutons le fameux match qui a attiré 3 000 supporters de Turin à Lyon le 28 février, alors que l’épidémie était bien lancée dans le nord de l’Italie, et celui du Paris-Saint Germain du 29 février qui a brassé des foules françaises mais aussi européennes à l’extérieur du match joué à huis clos,  à une date où ailleurs l’on commençait déjà à porter des masques…

J’espère que les victimes de ces grand-messes auront leur paradis religieux ou sportif, mais il ne faut pas oublier la masse de ceux qu’ils ont contaminés.

Étant un vieux gaulois sceptique, je me contente de voir de ma fenêtre de confiné le soleil donner sur les feuilles tendres du printemps.