par Michel LHOMME
Teva Shigetomi a évoqué ici à plusieurs reprises sur le regretté site Metamag, les Poilus Tahitiens et les Soldats du Pacifique mais l’Océan Indien avait aussi envoyé des soldats dans les tranchées de 14-18 et en particulier des soldats comoriens sur les champs de bataille de la Grande Guerre. En 2011, les archives départementales de Mayotte avaient publié une étude sur la question, réalisée par Pascal Marsilloux et Anastasia Hine, intitulée « Les soldats Mahorais pendant la 1ère guerre mondiale (1914-1918) », titre anachronique en soi car Mayotte n’existe pas comme entité politico-culturelle avant 1975. Comme toujours lorsqu’on traite de l’archipel comorien, la question des sources a été cruciale en raison de leur éparpillement et de la difficulté d’opérer leur recensement et pour la guerre de 14-18, s’ajoute comme remarqué ci-dessus la question de la délimitation du sujet puisque pendant la Première Guerre Mondiale, Mayotte fait partie de l’ensemble de l’archipel des Comores, lui-même rattaché à la colonie de Madagascar et ses dépendances. Outre la dispersion des archives que cela induit, cela crée une importante difficulté pour identifier précisément les Mahorais au sein des bataillons mêlés à leurs voisins des autres îles. En effet, les Mahorais étaient alors affectés à des bataillons de recrutement plus large (malgaches ou somalis) et leurs fiches d’identification ne permettent pas toujours de connaître précisément leur provenance.
Dans l’étude citée ci-dessus, on peut lire que s’agissant du recrutement, les télégrammes de l’époque donnent des indications sur les hésitations du ministère de la Guerre. Le 1er décembre 1914, la possibilité de la mise en place d’un bataillon malgache pour combattre en Afrique de l’Est est envisagée mais l’attention du cabinet militaire du gouverneur général est attirée sur l’inconvénient possible que représenterait l’emploi de Comoriens contre des indigènes de Zanzibar voire contre des compatriotes incorporés à l’armée allemande. En effet, des Comoriens ont émigré vers le Tanganyika (ancien pays d’Afrique de l’Est issu de l’indépendance du territoire du Tanganyika et qui est devenu la Tanzanie actuelle par association avec le Zanzibar en 1964). De fait, aucun corps expéditionnaire ne sera levé vers l’Afrique à partir de Madagascar. Les hésitations politiques du Ministère des Colonies se poursuivent, quand à la fin de l’année 1915, les recrutements de tirailleurs deviennent plus massifs dans toute l’Afrique. La possibilité d’envoyer des soldats comoriens à la guerre est de nouveau envisagée le 11 septembre 1915 et ce pour les Dardanelles où l’on manque d’effectifs. La réponse donnée par la colonie le 16 septembre est que le recrutement de Comoriens compliquerait la mise en place de compagnies malgaches. En effet, il serait impossible de prendre en compte la spécificité de leur alimentation (l’interdiction du porc, de pâtés en boîte en particulier en tant que musulman). De plus, se pose le problème de leur relève: ils ne sont pas assez nombreux pour constituer la totalité d’un détachement. Faute d’hommes, le recrutement dans les provinces côtières et les îles est néanmoins relancé en 1916. C’est d’ailleurs probablement à ce moment-là que sont recrutés le plus grand nombre de Comoriens (491 en 1917, selon les archives de la République malgache). Ils seront affectés aux régiments et aux bataillons de marche et d’opération malgaches et somalis.
Comme à Tahiti, de nombreuses mesures sont prises pour encourager les Comoriens à venir rejoindre les troupes: le coût de leur transport est pris en charge, des aides sont accordées à leur famille. Les hommes passent d’abord devant des commissions de recrutement qui font appel aux chefs de villages pour repérer les futures recrues. Des visites médicales sont organisées aux différentes étapes mais laissent tout de même passer de nombreux malades, d’après les rapports militaires officiels. Le gouvernement français, malgré l’insistance du gouverneur général, souhaite que les soldats comoriens soient avant tout employés comme ouvriers. Ainsi, outre les soldats qui faisaient partie du 1er bataillon malgache ou du bataillon de tirailleurs somalis, impliqués dans les grandes batailles, les autres Comoriens ont dû effectuer de nombreuses tâches de soutien au service des armées alliées. Les hommes, partis sous le statut de tirailleurs, sont employés à des taches de réfection des routes ou des chemins de fer. Il n’est d’ailleurs pas possible de lire le courrier des tirailleurs comoriens partis à la guerre pour connaître leur état d’esprit. Il n’existe pas. Des suicides ou des désertions qui se sont produites au cours du voyage vers le front démontrent que les engagements ont été souvent contraints. On imagine du coup sans peine le choc que l’arrivée sur le front a dû être pour ces soldats issus d’un peuple gentil et pacifique.
Reste qu’il n’y a pas des monument aux morts de 14-18 officiels aux Comores, que ce soit à Dzaoudzi qui est resté le chef-lieu de la province jusqu’aux années 1950 ou à Moroni alors que c’est dans l’oubli total que sont tombés les soldats comoriens qui avaient combattu sur le front. Le seul lieu de mémoire rendant hommage aux tirailleurs des Comores est le monument aux morts du lac Anosy à Antananarivo. Reste aussi quelques photographies or comme pour les poilus Tahitiens, les photographies de ces soldats venus de si loin se sacrifier pour notre pays nous laissent toujours sans voix car, n’en déplaise à certains, les Outre-mer, c’est aussi la France du sang versé et du sacrifice guerrier.