par Franck BULEUX, notre correspondant à Rouen
Au coeur de la nuit, le 26 septembre dernier, l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen s’est manifesté dans un vacarme qui retentit dans toute l’agglomération rouennaise. Ce sinistre a frappé une usine de produits chimiques de la société Lubrizol classée Seveso II seuil haut (c’est-à-dire « à haut risque »).
La suite, vous la connaissez, comme l’aurait dit, un soir à Orléans (ville rendue célèbre, comme Rouen, par Jeanne d’Arc, mais hélas plus récemment par Yann Moix) le président Chirac, le bruit a laissé place à des odeurs nauséabondes dues à la présence d’hydrocarbures dans l’air, dont la liste a été publiée avec des diffucultés, laissant la population normande dans un doute certain, entre amiante et dioxine. Entre la peste et le choléra.
Était-il nécessaire de déplacer quatre ministres (mais pas le Premier, sans doute parce qu’il est élu de la ville « concurrente » du Havre ?, ni le président de la République qui préfère, à juste titre, l’air aveyronnais, jugé plus sain) ? Comme Grand Bourgtheroulde, commune euroise où la reconquête de l’opinion par le « Grand débat » avait commencé, paraît loin) pour « rassurer » (sic) la population de Rouen Métropole (la structure qui regroupe 71 communes autour de la capitale historique normande) quant aux dangers à court, moyen et long terme liés aux conséquences de cette catastrophe industrielle. Même si le Premier ministre refuse de mettre en place l’état de catastrophe technologique, il s’agit, tout de même, d’une catastrophe d’ampleur.
Agnès Buzyn, ministre de la Santé, a évoqué une ville « polluée ». Pourquoi seulement une ville ? La très parisienne Buzyn pense-t-elle qu’en « province », un aggomérat d’individus ne peut représenter une seule et unique… ville ? Pourquoi avoir « protégé » les établissements scolaires de 13 communes seulement, pourquoi Mont-Saint-Aignan et pas Elbeuf par exemple ?
Au-delà des faits, l’opinion publique n’estime pas crédible le discours des autorités : trop d’hésitations, d’aternoiements, d’absence de transparence envers les « locaux ».
À moins de s’exonérer par un fait extérieur (on attend les preuves), la responsabilité de cette catastrophe (je n’emploie pas le mot « accident’ puisqu’une enquête judiciaire est en cours et qu’une main criminelle nocturne n’est pas à exclure) incombe évidemment à Lubrizol, filiale de la multinationale américaine Lubrizol Corporation de la holding Berkshire Hathaway ; il faudra qu’elle indemnise tous ceux, particuliers et collectivités, qui souffrent et souffriront des conséquences du sinistre, au plan matériel mais aussi au plan sanitaire. Minimiser l’ampleur du désastre, comme l’ont tenté de faire les ministres et le préfet Durand, c’est exonérer Lubrizol de ses responsabilités et le montant des dommages et intérêts que les assureurs de la firme devront régler aux nombreux plaignants.
On peut aussi s’interroger sur l’adéquation des plans de prévention des riques technologiques (PPRT) mis en place dans ce type d’industrie et la sécurité des riverains et des salariés de l’entreprise (en activité 24h/24). Les sirènes, qui retentirent le matin du désastre, ne furent mises en place que tardivement et uniquement à Rouen, les annonces de confinement n’ont jamais été claires le jeudi matin… Heureusement, l’action des sapeurs-pompiers fut rapide et exemplaire. On dit que certains souffrent de troubles physiques et qu’il leur serait difficile de prendre connaissance de leurs propres analyses médicales…
Le préfet de région, par une lettre du 11 juin 2019 adressée à Frédéric Sanchez, alors président socialiste de la Métropole rouennaise (il vient d’être nommé consul général au Québec, en juillet dernier, mais a été remplacé par un autre socialiste, le maire de Rouen, Yvon Robert – oui, dans ces cas, le cumul est possible!-, approuvait le projet de plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI), élaboré par le conseil métropolitain (socialiste avec l’appui des forces de gauche) mais il assortait cette approbation de 26 pages de remarques critiques, façon de rejeter la responsabilité sur les élus au cas où… Toutefois, à propos des points à reprendre concernant les risques technologiques, le préfet de région jugeait conforme le PPRT du site Lubrizol.
Dès les premières heures du passage du nuage noir, le préfet s’empressa d’affirmer qu’il n’était pas toxique. Il s’agissait, plus précisément, de l’absence de « toxicité aigüe », c’est-à-dire mortelle à court terme. Effectivement, mais l’inquiétude de la population reste sensible, les Normands ne croient pas en la véracité des annonces préfectorales.
La Normandie, par le nombre de ses établissements industriels classés SEVESO, notamment sur les boucles de la Seine, contribue largement à la prospérité économique du pays tout entier. L’État devrait mieux la protéger. Au nom de la solidarité nationale, nous pouvons regretter le non-maintien d’une unité comme le 71e R.G. (régiment du génie) apte à intervenenir en cas d’accident technologique, biologique ou nucléaire dans des délais courts.
Ah, une précision utile : le 71e régiment du génie était basé à Oissel, commune située tout à côté de Rouen et il a été dissous en avril 1997. Oui, c’était sous le président Chirac et avant la période de cohabitation.
La disparition du président Chirac a occulté la catastrophe industrielle de Rouen, dès le 26 septembre à midi mais les médias obéissent à certains critères. Il est aussi à l’origine de ce deni local.
Le bruit sourd des explosions, les odeurs… Chirac n’est jamais loin. Quant au président Macron, il préférait le charme olfactif du Larzac, confirmant l’instrumentalisation du sinistre au profit d’EELV, mouvement de gauche radicale qui attend que des grandes villes (après Grenoble en 2014) tombent dans son escarcelle. Rouen est sur leur liste.