VERS LE MONOTHÉISME POLITIQUE

par Franck BULEUX

Lorsque 72 élus locaux élus sous les couleurs de LR (Les Républicains) ou de l’UDI (Union des démocrates et des indépendants) appellent à soutenir le président Macron dans son action, il faut, bien évidemment, comprendre la situation inverse : il s’agit d’élus, le plus souvent qui ont battu la gauche en 2014 de haute lutte, comme à Angers et Tours, qui souhaitent le soutien, ou au moins la neutralité, de La République en marche (LREM) en mars 2014, pour favoriser leur réélection.

Ces 72 élus soutiennent pour être soutenus. Soyons concrets, Emmanuel Macron pourrait se passer de leur soutien (12 % cumulés lors des élections européennes pour LR et UDI) mais eux ne peuvent pas se passer des électeurs de droite et du centre qui ont vu en Emmanuel Macron, le successeur de Raymond Barre, d’Antoine Pinay et surtout de Valéry Giscard d’Estaing réunis. Le mythe des « Deux français sur trois », titre d’un essai de l’ancien président de la République paru en 1978, revient au goût du jour. D’ailleurs, Macron a été élu contre Marine Le Pen avec deux français sur trois.

Dans ces élus, Macron arrive même à capitaliser ceux qui viennent de la droite la plus dure : Claude Goasguen, l’élu de l’Ouest parisien si favorable à la liste emmenée par Nathalie Loiseau, vient d’Ordre nouveau, Jean-Jacques Guillet ancien député et maire de Chaville du mouvement Occident… Comme Giscard d’Estaing en 1974, face à Mitterrand et à Chaban-Delmas, Macron rassemble les différents courants de la droite.

Pour la gauche, c’est déjà fait, même si les forces de gauche ont obtenu, divisées, 20 % (hors écologistes) lors des européennes, il est connu, tout de même, que le président Macron est issu des sociaux-démocrates du PS, ceux qui ont été vaincu par l’affaire du Sofitel en 2011. Macron, c’est aussi le retour des déçus du Sofitel.

Si Macron a séduit la gauche social-démocrate en 2017, s’il séduit, aujourd‘hui, la droite libérale, voire conservatrice, c’est parce qu’il incarne la France qui place l’économie avant le politique, le résultat avec l’être. La droite légitimiste, bourgeoise (celle des grosses villes) est de retour et avec elle la gauche qui a réussi. La France des intégrés comme la France des oubliés. La France désintégrée aussi, peut-être ?

Comme Mitterrand avait asséché (et pour longtemps) le marigot communiste, Macron assèche la droite française, la réduisant à … rien. Il n’y a plus de leader, il n’y a même plus de leader probable, voire même auto-proclamé. Il est fort probable que le candidat de la droite et du centre viendra d’ailleurs en 2022, on parle de l’essayiste Éric Zemmour qui a refusé, récemment, de figurer à la troisième place de la liste emmenée par Jordan Bardella. Mais c’est un autre sujet.

Emmanuel Macron, à droite et au centre, provoque la création de multiples enseignes, dans la continuité du Modem (Mouvement démocrate) de François Bayrou. D’ici quelques mois, les initiatives ne vont pas manquer, des « unions centristes » aux « partis libéraux indépendants », il va y en avoir, des divers droite, des divers gauche. Cela rappelle les Partis paysans à l’Est… À côté des Partis communistes, il y avait toujours un parti agrarien ou paysan pour contrebalancer la toute-puissance des communistes. Il s’agissait d’une opposition fantomatique qui permettait de montrer, aux autres pays, l’aspect démocratique du pouvoir. Nous n’en sommes pas encore là car, comme nous l’avons vu aux élections européennes, LREM manque sérieusement de structures.

Mais l’esprit est là, autour de LREM, veulent venir graviter des satellites à la manière du Modem ou d’Agir de Franck Riester, le ministère invisible de la Culture (mais juin lui sera favorable avec les Gay Pride) et c’est cet ensemble qui sera présent, notamment, lors des élections municipales avec le label « Macron compatible » ou plus joliment posé, « Avec le Président ».

L’heure est au parti unique, oh non pas ce parti totalitaire, seul mais cette pieuvre qui étend ses bras autour de ses proies.

Ces 72 élus (drôle de chiffre qui me fait instinctivement penser aux 72 vierges promises dans le Coran aux musulmans qui ont accompli de grandes choses, ici-bas, à l’endroit d’Allah…) sont le levier d’une initiative qu’appelait l’ancien juppéiste, Gilles Boyer, récemment élu député européen LREM, de ses vœux : en substance, les élus locaux qui n’auront pas fait allégeance à Macron seront considérés comme des « ennemis ». Terminées, les subventions…

Le premier parti unique à l’occidental est en train de se formaliser. Ce qui est clair avec Emmanuel Macron, c’est qu’il dépasse le fameux « Blanc bonnet et bonnet blanc » de Jacques Duclos, candidat du PCF en 1969, ainsi que « La banque des Quatre » dénoncée par Jean-Marie Le Pen dès la fin des années 1970. Aujourd’hui, le système ne se démultiplie plus, il s’incarne.

Des 72 vierges aux 72 élus locaux, le système est devenu monothéiste.