ISRAËL / PALESTINE ENCORE UN ACCORD DU SIÈCLE

Par Michel LHOMME

Ceux qui nous ont suivi sur Metamag savent que nous avions pris l’habitude de rédiger des focus de politique étrangère. Nous devons avouer que le temps cette année nous a manqué pour en faire de même régulièrement sur Metainfos qui s’apprête d’ailleurs bientôt à partir en vacances (mois de juillet et d’août). Nous tenterons à la rentrée d’être plus fidèles à ces coups de projecteurs en particulier sur le Sahel ou l’Amérique latine. Nous proposons en attendant une analyse du problème israélo-palestinien à la veille de la conférence internationale de Manama ainsi qu’un éclairage sur la crise politique interne à Israël avant les élections anticipées de septembre.

Le lancement du prétendu « accord du siècle » de Donald Trump et de son gendre Jared Kushner, ainsi que la nouvelle convocation d’élections en Israël, ont à nouveau inscrit la situation de la Palestine à l’ordre du jour de la communauté internationale. Avec le processus de paix complètement brouillé, les camps israéliens et palestiniens fracturés par des divisions internes et une administration américaine qui a abandonné l’apparence de médiateur neutre, l’un des plus vieux conflits du monde se trouve être à un tournant difficile aujourd’hui à cerner de loin et qui mérite qu’on s’y arrête une nouvelle fois.

Les États-Unis sont en 2019 plus que jamais engagés aux côtés d’Israël et pour le dire sans langue de bois compromis dans une politique ouvertement sioniste. Ils sont tellement maintenant à la fois juge et partie dans le conflit qu’ils n’ont plus aucun crédit en tant que médiateur honnête et impartial. L’administration Trump depuis le transfert de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem a franchi la ligne rouge mais elle l’a fait aussi avec la reconnaissance tacite de l’annexion par Israël du plateau syrien du Golan. Selon certaines rumeurs, on s’orienterait même vers une prochaine reconnaissance (au moins de facto) de l’annexion de la Cisjordanie par Israël. A cela viennent s’ajouter les pressions politiques et économiques exercées sur l’Autorité palestinienne totalement affaiblie il est vrai par ses querelles internes et les stratégies souvent suicidaires et démagogiques du Hamas. Israël échappe en tout cas au droit international et, depuis longtemps aux résolutions de l’ONU qu’elle discrédite du coup pour toujours. Aujourd’hui donc, les deux alliés pour ne pas dire les deux larrons ont conçu un plan qui répond uniquement aux demandes et aux intérêts israéliens et américains dans la région. La seule concession accordée à la Palestine serait d’ordre économique, recherchant pour les affaires la coopération de la population occupée tout en l’excluant de tout droit à la citoyenneté.

Le nouveau plan pour le Moyen-Orient présente de fait un caractère unilatéral et exclusif. De fait, malgré la division palestinienne, le rejet du plan du côté palestinien demeure unanime. Pour les Palestiniens, le plan américain n’est dans l’état des choses actuel qu’un écran de fumée chargé de perpétuer l’occupation coloniale pour tenter de la légitimer.

Bien qu’il n’ait pas encore été rendu public, la presse a déjà divulgué certains détails de ce plan en le qualifiant d’« accord du siècle». Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a reçu la proposition avec enthousiasme tandis que le négociateur palestinien Saeb Erekat l’a rejetée catégoriquement, affirmant que « ce que le gouvernement Trump recherche n’est pas un accord de paix, mais une déclaration de reddition ».

En fait, le plan Kushner, comme il convient de l’appeler, ne parle à aucun moment d’un État palestinien ou du retour aux frontières de 1967, du démantèlement des colonies de peuplement ou de Jérusalem en tant que capitale partagée, il n’évoque même pas la question délicate du retour des réfugiés ou du respect du droit international. L’idée que le principe de «paix pour la prospérité» remplace «la paix par le territoire» semble vouée à l’échec, car aucun dirigeant palestinien ne renoncera aux exigences historiques du mouvement national en échange d’investissements incertains. Au cours du demi-siècle d’occupation militaire, Israël a d’ailleurs tout fait pour détruire l’économie palestinienne qu’elle se propose aujourd’hui pourtant de sauver ou de redresser pour la rendre en fait complètement dépendante de l’économie israélienne. Pourquoi autoriserait-elle maintenant le développement économique des Palestiniens, alors que les israéliens ont complètement pris le contrôle de la terre palestinienne et de ses ressources? Selon les fuites recueillies par le journal Israël Hayon, le plan prévoit un investissement de 30 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années dont 70% seront financés par les monarchies pétrolières du Golfe et les 30% restants par les États-Unis et l’Union européenne (!). Le prochain sommet de Manama, qui se tiendra à la fin du mois, permettra de calibrer ce soutien sur lequel compte hypocritement l’administration américaine.

De fait, les Palestiniens ont qualifié le plan Kushner de « gifle du siècle ». Comme le reconnaît d’ailleurs franchement Jared Kushner lui-même « nous avons développé un bon plan d’entreprise « , un projet d’investissements dans les infrastructures, l’industrie et la formation des ressources humaines, payés par d’autres (les riches arabes et l’Europe) avec même en prime un gain territorial pour Israël : l’extension de Gaza au nord du Sinaï. Le plan est maintenant reporté en raison des prochaines élections législatives en Israël.

Les Accords d’Oslo ou le « Versailles palestinien », la Conférence de paix de Madrid, les accords de Camp David, la feuille de route d’Obama, la conférence d’Annapolis, à chaque réunion, les principales puissances, avec à leur tête les États-Unis, se sont présentées comme des médiateurs dans un conflit dont elles sont en fait un acteur actif. Un sommet après l’autre, tous sont allés grossir un lexique diplomatique qui sacrifie la paix en faveur du processus de colonisation implicite, politique du fait accompli sur le terrain comme la déclaration unilatérale de Jérusalem en tant que capitale d’Israël – ce qu’aucun président précédent avant Trump n’avait osé faire – et un soutien absolu de la politique de colonisation et d’annexion en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, toutes deux occupées par Israël depuis 196. Depuis 1947, ce sont plus de soixante-dix (infructueux) plans de paix et initiatives de paix israélo-palestiniens qui ont été exposés, très souvent d’ailleurs déclarés eux-aussi comme «l’accord du siècle». 

En campagne, Netanyahu promet à ses électeurs d’annexer une partie de la Cisjordanie. Trump s’est clairement décidé en faveur de Netanyahu. Ce que propose l’équipe pro-israélienne de la Maison Blanche dirigée par Jared Kushner – changer le principe « paix par territoire » en « paix pour la prospérité » – est un retour aux plans antérieurs qui montraient qu’il n’était pas possible « d’acheter » la paix palestinienne en échange de promesses d’aide et d’investissements. La paix ne peut qu’être entrevue avec la fin de l’occupation et ce n’est pas à l’ordre du jour. Même si comme toujours dans les médias officiels, on force le public à croire aux miracles.

Concernant les législatives anticipées et la crise politique interne israélienne, l’obstacle insurmontable qui a empêché Netanyahou de gouverner était la tentative du chef du parti Yisrael Beiteinu, Avigdor Lieberman, défenseur des intérêts de la population juive d’origine soviétique, d’approuver un projet de loi qui obligerait les étudiants ultra-orthodoxes à effectuer leur service militaire. C’est aussi la ligne rouge à ne pas franchir pour le parti United Torah Judaism qui a refusé de rejoindre le gouvernement de coalition. Cet épisode reflète bien la polarisation entre les secteurs séculier et religieux de la politique interne israélienne et la fracture croissante qui existe entre deux modèles antagonistes et inconciliables de la construction de l’État juif, modèle laïco-nationaliste et modèle religieux neutre en politique. C’est depuis la fondation de l’État d’Israël qu’il est de pratique courante que les partis religieux juifs conditionnent leur soutien au gouvernement en échange de leur engagement à traiter les Haredim ou les ultra-orthodoxes en privilégiant les yeshivas ou écoles religieuses et en garantissant le strict respect du sabbat . Cependant, au cours des dernières décennies, des partis laïques tels que Yisrael Beitenu ou Yesh Atid ont résisté à ce chantage, le considérant comme un fardeau de plus en plus lourd pour les coffres de l’État israélien, puisque, aujourd’hui, les ultra-orthodoxes représentent 20% de la population et leur taux de natalité sont trois fois plus élevés que ceux des mariages laïcs.

La principale question à résoudre est de savoir comment cet échec affectera les attentes de Netanyahu. Lors des deux élections précédentes, le Likoud a réussi à être la première force électorale devant la faiblesse et le flou du parti travailliste. Si en 2015 le travailliste Isaac Herzog avait réussi à sauver les meubles en obtenant 24 sièges contre 30 dans le Likoud, en 2019, l’homme d’affaires Avi Gabbay avait à peine 6 députés, le pire résultat de l’histoire du parti travailliste israélien, parti qui durant les décennies des cinquante, soixante et soixante-dix du siècle dernier avaient pourtant maintenu une position hégémonique sur la scène politique israélienne.

Maintenant, la principale menace qui pèse sur le Likoud est le parti centriste Blue and White, une coalition dirigée par des formations militaires et laïques de haut rang, qui estime que Netanyahu est empêché d’exercer la fonction de Premier ministre en raison des enquêtes pour corruption, abus de pouvoir dont il est l’objet et qui pourrait le voir finir, comme son prédécesseur Ehud Olmert, en prison. Ces accusations placent Netanyahou sur la corde raide, l’électorat pouvant le punir en lui tournant le dos et en pariant sur la seule alternative capable de le renverser du pouvoir: les Blue and White. Ainsi, les élections de septembre feront comme l’objet d’un référendum, d’un plébiscite sur la gestion de Netanyahou et sur sa capacité à rester à la tête du gouvernement. Benny Gantz, qui considère les élections comme une seconde chance, pourrait bénéficier de l’attachement de l’électorat à l’armée, car les forces armées sont l’institution la plus estimée de la société israélienne. Enfin reste à voir si le soutien direct au Likoud de Netanyahou par le président Donald Trump suffira à valider sa victoire aux urnes . Cette semaine, un Netanyahou en mode pré-électoral a déclaré à la presse que « l’alliance entre les Etats-Unis et Israël n’a jamais été aussi solide ». Depuis son arrivée à la Maison Blanche, Trump s’est placé sans équivoque en faveur des thèses des « faucons » israéliens, ceux là même qui ont financé en réalité sa campagne et le soutiennent en sous-main. Trump approuve le Likoud à 100%. Netanyahou bénéficie aussi du soutien non dissimulé des princes héritiers de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis – Hamada Bin Salman et Muhammad Bin Zayed – envers lesquels Trump s’est aussi engagé à défendre leurs aspirations régionales (la mise au pas du Yémen et de l’Iran) s’ils s’engagent à financer avec lui les ambitieux projets économiques d’Israël qui devraient être annoncés lors du prochain sommet de Manama, à la fin du mois de juin.

En complément cette vidéo sidérante d’un débat parlementaire à la Commission des Affaires étrangères avec Meyer Habib, représentant du Likoud en France et la raclure de Claude Coasgen en ex d’Occident devenu bon serviteur sioniste :

https://youtu.be/OvlVbbe3pjA