L’ENVIRONNEMENT EST UN PROBLEME GEOPOLITIQUE

Par Yves MONTENAY

On ne sauvera la planète qu’avec l’Inde et la Chine

Le 26 avril 2022, des milliers de militants de l’environnement ont organisé une trentaine d’actions partout en France contre des projets de routes, d’autoroutes, d’extension d’aéroports, de centres commerciaux, d’entrepôts, projets jugés « injustes et polluants soutenus pendant le (premier) quinquennat » d’Emmanuel Macron.

La protection de notre planète est certes un enjeu majeur et la France pourrait faire mieux. Mais ce que nous pouvons faire dans notre pays est négligeable par rapport à ce qui se passe notamment en Inde et en Chine, et c’est là qu’il faudrait porter l’effort principal.

Le gros défaut des militants est en effet de parler « de la planète » comme si elle n’était pas divisée en États, alors que ce sont ces États qui sont de loin le problème principal. Rappelons d’abord les principales données mondiales, puis voyons le rôle de ces Etats.

L’effet de serre en chiffres

Les 25 milliards de tonnes de CO2 produites chaque année par l’homme viennent de la combustion du pétrole, 35,2%, du charbon, 32% et du gaz naturel, 12,8%. Les 20% restant viennent des défrichages des forêts équatoriales (Source WWF France).

Au côté du C02, il y a le méthane, à l’effet de serre beaucoup plus marqué et dont plus de la moitié des émissions provient également de l’activité humaine.

Selon l’Agence internationale de l’énergie, AIE, les émissions de méthane seraient de 570 millions de tonnes par an environ, dont 60 % d’origine humaine avec notamment l’agriculture, et en particulier l’élevage de bovins, responsable à lui seul d’un quart à un tiers de ces émissions, le reste venant des fuites de méthane lors de la production pétrolière.

Energies fossiles, nucléaire et renouvelables.

Aujourd’hui, et pour plusieurs décennies, les énergies fossiles restent les sources d’énergie à la fois les plus simples et les moins coûteuses.

Mais elles sont également les plus nocives pour l’environnement, d’où la nécessité mathématique du recours au nucléaire et aux énergies renouvelables.

Voici le bilan carbone des différentes sources d’électricité :

Bilan carbone des différentes sources d’électricité infographie FranceInfo

Selon les experts du GIEC le bilan carbone du nucléaire est ainsi au niveau des énergies renouvelables.

Le nucléaire

Pour l’instant, le nucléaire ne représente que 4 % du mix énergétique mondial, à la suite du coup d’arrêt résultant de l’accident de Fukushima et de l’action des écologistes en Europe.

La France est le pays qui utilise le plus le nucléaire avec 37 % de son énergie primaire soit 10 points de plus que la Suède, deuxième pays du classement, à 27 % et bien au-dessus des États-Unis (8 %), du Royaume-Uni (6 %), de la Russie ou de la Chine (2%).

Pour la Revue statistique de l’énergie mondiale, ces 4 % du nucléaire mondial se comparent aux 33 % du pétrole, aux 27 % du charbon et aux 24 % du gaz.

L’énergie nucléaire vient d’être classée « énergie de transition » en février 2022 par la Commission européenne, décision à laquelle se sont opposés de nombreux Etats membres de l’Union tels que l’Autriche, la Suède, les Pays-Bas, le Luxembourg ou l’Allemagne.

Les énergies renouvelables

Les énergies renouvelables, quant à elles, représentaient en 2019, 5% du mix énergétique mondial mais tout de même 10,4% dans la production d’électricité et enregistraient une forte augmentation par rapport à l’année précédente.

Et puis se posent les questions de l’intermittence, celui des faibles capacités de stockage de l’énergie produite, du recyclage des cellules photovoltaïques (produites en Chine), de la consommation de terres rares, des questions environnementales posées par les éoliennes terrestres.

Comme le souligne Philippe Blanc, directeur de recherches à Mines Paris Tech, sur France Culture : « Toute énergie fabriquée a un impact sur l’environnement, plus ou moins, en fonction des filières.La meilleure énergie c’est celle qu’on ne produit pas ».

C’était d’ailleurs mon ancien métier : chez Montenay SA de 1965 à 1986, nous faisions ainsi économiser à nos clients institutionnels, tels que les hôpitaux ou les collectivités, jusqu’à 50% de leur consommation d’énergie !

Le poids des écologistes en Occident

L’augmentation du poids politique des écologistes, notamment en Allemagne, a conduit les gouvernements à diminuer ou arrêter leur production nucléaire. Les trois dernières centrales allemandes devraient d’ailleurs être mises hors service cette année.

De même, la Belgique a voté en 2003 une loi prévoyant la sortie progressive du nucléaire pour 2025… jusqu’à ce que la guerre en Ukraine et les enjeux de souveraineté énergétique conduise le royaume à reculer cette échéance à 2035.

Retour en grâce du nucléaire à la COP26

Cependant, la COP26 a été marquée par un retour en grâce de l’énergie nucléaire. Ce phénomène se manifeste au sein même du parti allemand EELV, comme le rapporte le quotidien de l’écologie Reporterre, qui note un essor discret des pro-nucléaires. D’autant que « viser la sortie des énergies fossiles 2045 est tellement proche, qu’on n’aura pas le temps de développer les énergies renouvelables ».

Il reste que, sur le papier, la doctrine d’EELV n’a pas varié. Tous les textes, toutes les motions adoptées demeurent dans le sens d’un abandon progressif du nucléaire.

L’ignorance ou la désinformation est particulièrement nette dans le cas des déchets dont les écologistes clament qu’ils « seront radioactifs pendant des milliers d’années » alors que le très faible volume de ces déchets ne générera qu’une faible quantité de radiations.

En effet il ne s’agit que de quelques mètres cubes, la grande majorité des déchets n’étant pas radioactifs longtemps, n’étant pas non plus très volumineuse et pouvant probablement être utilisés comme combustible ou neutralisés dans de futures versions de réacteurs.

N’oublions pas que les Bretons vivent depuis toujours sur des rochers de granit plus radioactifs qu’autour des stockages de déchets envisagés !

Sur ce sujet des déchets radioactifs, je vous conseille la lecture des informations communiquées par ORANO Group.

Le gros du problème n’est pas en France, ni même en Occident

Que représente la France dans l’ensemble des émissions de C02 dans le monde ?

Selon le Global Carbon Project, la France a émis 299 millions de tonnes de CO2 en 2019, ce qui représente… 0,9% des émissions de la planète, loin derrière la Chineavec ses 9.825 millions de tonnes de CO2 émises la même année et responsable d’environ 29% des rejets oules États-Unis avec leur 14%.

Vers une inversion du classement des pays pollueurs

Le graphique ci-dessous montre la progression de la Chine et l’Inde, tandis que les Etats-Unis et de l’Union européenne régressent.

Emissions annuelles de CO2 fossile par pays – infographie Le Monde

C’est aussi l’occasion de vérifier, en suivant la courbe de la Russie, à quel point le communisme négligeait l’écologie et l’amélioration qu’a entraîné le changement de régime politique en 1990. On peut remarquer un effet analogue en regardant la courbe de la Chine.

Par ailleurs, l’électricité produite dans les pays riches est de moins en moins carbonée. Ainsi, chaque kilowattheure généré en 2019 a dégagé 6,5 % de CO2 en moins qu’en 2018, une amélioration trois fois supérieure à la moyenne des dix dernières années.

Bref les pays occidentaux sont en amélioration constante, contrairement à la Chine et l’Inde.

La poussée du charbon en Inde et en Chine

L’Inde et la Chine, dont la production d’énergie repose majoritairement sur le charbon, sont à l’origine de 39% des émissions de C02 dans le monde. Le charbon reste en effet l’énergie la plus répandue, la moins chère mais aussi la plus polluante.

La forte croissance des énergies renouvelables n’a pas empêché l’augmentation de la consommation de charbon, dopée par la hausse des prix du gaz. Elle a été à l’origine de 40% de la croissance des émissions de C02 du secteur énergétique, avec un niveau historique de 15,3 milliards de tonnes de CO2.

Certes, la Chine et l’Inde contre-attaquent en disant que leur consommation par tête est faible : apporté au nombre d’habitants, la Chine n’est qu’à la 50ème place avec 7,3 tonnes de CO2 par habitant (la France, avec 4,9 tonnes, est à la 78ème place).

Mais ce qui compte ce n’est pas ce classement « par tête » mais la quantité totale émise !

Ce chiffre « par tête » est même effrayant pour certains, car il implique un futur encore plus polluant au fur et à mesure du développement.

En 2020, la Chine représentait 57 % de la consommation mondiale de charbon. Le charbon alimente la production d’acier, d’aluminium et de ciment ainsi que le secteur de la construction qui représente 30 % du PIB. C’est aussi la source d’une grande partie de son électricité avec plus de 90 % des mises en service mondiales de centrales électriques (chiffres Institut Montaigne). La dépollution des villes par le passage aux véhicules électriques va donc augmenter la consommation de charbon ! Et ce sera pareil pour l’Inde bien évidemment.

Du côté de l’Inde, le charbon est également la principale énergie consommée par le pays (44% du mix national). Dotée des cinquièmes réserves de charbon au monde, elle prévoit d’en augmenter fortement la production.

Il n’y a pas que la Chine et l’Inde : une grande partie de l’Amérique latine est environnementalement massacrée, notamment du fait de groupes de pressions pouvant avoir des appuis un niveau très élevé. Cela va de la déforestation, la pollution minière… à l’assassinats de militants. Disons que, comme dans d’autres domaines, les pays relativement sérieux toujours les mêmes : le l’Uruguay, le Costa Rica et, un cran derrière, le Chili.Les deux premiers vont même totalement décarboner leur production d’électricité (voir l’article complet sur ce massacre dans le numéro 39, mai 2022, de la revue Conflits, page 17)

Les promesses de la Chine et de l’Inde à la COP26

Que prévoient la Chine et l’Inde en matière de réduction des émissions annuelles de C02 à l’occasion des différentes conférences annuelles de l’ONU sur le climat (COP) qui se tiennent depuis 1995 ?

La Chine

En septembre 2020, le président chinois Xi Jinping a promis qu’il veillerait « à ce que les émissions de CO2 atteignent leur maximum avant 2030 et à ce que la Chine atteigne la neutralité carbone d’ici à 2060 » avant d’annoncer l’année suivante que Pékin cessera de financer de nouvelles centrales au charbon… mais uniquement dans les « nouvelles routes de la soie ».

En Chine, Pékin a fait pression sur les gouvernements régionaux pour qu’ils réduisent leurs émissions de carbone afin d’atteindre les objectifs fixés… provoquant d’importantes pannes d’électricité causées par le boom industriel post-Covid qui a fait exploser la demande d’électricité. D’où un changement de cap brutal, et l’injonction aux centrales à charbon d’augmenter leur production de toute urgence ! N’oublions pas que la Chine est obsédée par son développement, même si son image est maintenant celle d’un pays moderne.

En effet le niveau de vie d’un Chinois est encore quatre ou cinq fois inférieur à celui d’un Français ou d’un Américain, et la dictature du parti n’est supportée que parce que ce dernier affirme « qu’en échange » il assurera une augmentation rapide du niveau de vie, ce qui a été effectivement le cas jusqu’en 2019.

L’Inde

De son côté, dans le cadre de la COP26 de novembre 2021, l’Inde s’est fixé comme objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2070. Elle compte y parvenir en accroissant d’ici 2030 « ses capacités énergétiques non fossiles » de 50 GigaWatts à 500 GW pour atteindre 50 % de ses besoins en énergie par des sources renouvelables. D’ici 2030 l’Inde réduira l’intensité carbone de son économie de 45 % », a-t-il ajouté.

Pour atteindre ses objectifs ambitieux, New Delhi compte sur les transferts de technologies et l’aide financière des pays développés.

Nous voilà au cœur de notre sujet !

Notons que localement les Indiens sont en train de rechercher des résultats plus rapides.

Delhi, la capitale et la ville la plus polluée du monde envisage d’interdire les véhicules non-électriques. Quant à la métropole économique, Bombay, elle vise le « zéro émission nette de CO2 d’ici à 2050 », c’est-à-dire avec vingt ans d’avance sur la feuille de route fixée par le gouvernement indien (2070 !) d’après The Economist.

Alors, que faire pour la planète ? Un problème insoluble ?

Résumons : à l’échelle planétaire les deux gros problèmes sont le méthane et le charbon. Les deux sont abondants, le premier est produit gratuitement par l’industrie pétrolière et les animaux, le second est meilleur marché que ses concurrents et plus facile à stocker. Le charbon peut en effet être déversé sur un sol non préparé contrairement au pétrole ou au gaz dont le transport et le stockage sont très coûteux.

Quant au nucléaire, si l’uranium, et maintenant les autres combustibles, occupe peu de place, c’est sa production, l’électricité, qu’on ne sait pas stocker.

Par ailleurs, les énergies renouvelables partent de très bas et ne pourront avoir une place majoritaire que trop tard pour éviter le réchauffement.

Ainsi posé, le problème paraît insoluble, surtout si l’on tient compte du besoin impératif de la Chine et de l’Inde et d’une grande partie du reste du monde de se développer.

Bref, on est très loin des leçons de morale massivement distribuées aux Occidentaux, c’est-à-dire là où la liberté de presse et de manifestations est autorisée. Les militants diront qu’il faut commencer par montrer l’exemple. Bien sûr, mais cela n’aura aucune conséquence sur la politique chinoise ou indienne ou sur l’état d’esprit des citoyens de base de ces pays. Et puis, si l’exemple, c’est de fermer le nucléaire, on sait maintenant que c’est totalement contre-productif.

La solution sera géopolitique

Alors que faire ? On est ramené à la géopolitique.

Le cas de la Chine et de l’Inde sont très différents.

L’Inde est une semi démocratie. « Semi » parce que le gouvernement nationaliste hindou a fait récemment de plus en plus d’entorses aux libertés. Mais il y a toujours des élections libres et donc la pression populaire peut s’y faire entendre C’est aussi un pays fédéral avec une action possible sur les autorités locales, y compris urbaines.

Risquons un exemple probablement utopique : le FMI charge un opérateur – pourquoi pas Elon Musk, qui s’est fait connaître par sa capacité à déployer des projets pharaoniques à toute vitesse – de construire une gigantesque usine de voitures électriques bon marché dans la banlieue de New Delhi, dont nous avons vu plus haut le souhait de passer au tout électrique. Le FMI financerait largement cette usine pour le plus grand bonheur du gouvernement indien.

Cela signifierait probablement des tractations préalables sur d’autres points de géopolitique, tels que des contreparties quant à ses relations avec la Russie, son vieil allié militaire et partenaire commercial.

La Chine est une dictature réputée efficace, ce qui n’est pas toujours vrai, par exemple s’agissant de la gestion du virus, comme illustré par l’actualité récente.

Les échelons locaux ne décideront rien sans l’aval de Pékin. L’opinion publique ne peut pas s’exprimer. Il s’agit donc de décisions à prendre au sommet, donc le contexte géopolitique sera encore plus prégnant qu’avec l’Inde.

Pour le méthane, on peut rêver à des tractations aboutissant à une pluie d’usines de viande végétale et à une pression sur des compagnies pétrolières.

Je ne vais pas plus loin dans les rêves. Je ne suis pas un décideur politico-économique, mais simple blogueur agacé par tant de déclarations véhémentes qui passent à côté du problème principal.

Conclusion

Les débats sur la transition énergétique ne doivent pas se limiter à l’idéologie et la morale en ignorant des réalités géopolitiques. Ils doivent notamment être gérés en même temps que les dossiers brûlants de la politique étrangère.

Cela suppose d’intégrer les besoins en développement de l’Inde et de la Chine, ce qui présente l’avantage psychologique de sortir des affrontements actuels et de peut-être apaiser les discussions géopolitiques, très rudes actuellement. Je fais allusion notamment aux relations tendues avec la Russie depuis la guerre en Ukraine comme à celles avec la Chine, avec la perspective d’une invasion de Taiwan et une guerre permanente sur le front technologique.

Source : yvesmontenay.com