GARE DE LYON 2021 : L’IMMIGRATION DANS MON QUARTIER

Par Yves MONTENAY

Comme vous tous, j’entends et je lis toutes sortes de propos haineux ou au contraire angéliques sur l’immigration. Aujourd’hui, après une série d’analyses sur l’immigration, c’est de mon quartier, avec mon vécu personnel, que je vais vous parler.

Petit portrait du quartier de la Gare de Lyon

Le quartier de la Gare de Lyon est un lieu de transit intense, où cohabitent une majorité d’immeubles d’habitation, avec souvent un commerce ou une profession libérale au rez-de-chaussée, et une minorité d’immeubles professionnels : administrations publiques, écoles, hôpitaux, RATP, SNCF, caisses de retraite, siège de banques etc. sans parler des marchés forains, dont le plus connu et le plus important est celui d’Aligre.

Il y a donc d’une part une population résidente, et d’autre part beaucoup de travailleurs dans la journée qui arrivent par la Gare de Lyon (trains de banlieue, RER, innombrables stations d’autobus…) sans parler des voyageurs venant de plus loin, cadres en déplacement ou touristes.

Je vais maintenant me concentrer sur les étrangers et leurs descendants. C’est une définition imprécise, mais n’oubliez pas que c’est un simple témoignage de mon observation de terrain.

Les résidents

En semaine, on peut plus ou moins les distinguer des travailleurs venant de banlieue, mais le dimanche et à la sortie des classes, on croise surtout bien sûr des résidents.

Il n’est pas toujours évident d’avoir une idée de leurs origines familiales. Les listes de noms dans les cours d’immeubles donnent une première indication.

De toute façon, qu’ils soient locataires ou propriétaires, ces immigrés ou leurs descendants sont des gens aisés, car nous sommes dans un quartier moyen de Paris, où les logements sont très chers par rapport au reste de la France.

Ces résidents très bourgeois ont souvent des noms arabes ou berbères. À part quelques rares militants barbus ou militantes foulardées, ils sont en général indiscernables du reste de la population par leur habillement ou leur comportement, contrairement aux reportages sur d’autres quartiers ou en banlieue.

Néanmoins tout le monde n’est pas riche. Je pense aux étudiants, aux habitants en majorité subsahariens des deux foyers pour migrants et à ceux de quelques HLM.

Les plus jeunes semblent fréquenter les établissements de « fitness », à en juger par leur démarche, ce qui les rend encore plus indiscernables des autres jeunes.

On pourrait dire la même chose des Asiatiques, nombreux également. Donc indiscernables lorsqu’on les croise sur les trottoirs, sauf à guetter la forme de leurs yeux, surtout en cette période où le reste du visage est masqué.

Il y a aussi une minorité bourgeoise de noirs subsahariens, et là il y a une évolution notable qui traduit l’élévation du niveau social et intellectuel des filles et des femmes : lorsque les Africaines n’étaient que peu ou pas scolarisées, on voyait des couples noirs – blanches. Ensuite les couples noirs – noires se sont multipliés. Enfin, aujourd’hui, on voit de plus en plus de couples blancs – noires.

Le rattrapage scolaire et social des filles a donc eu lieu, et bien au-delà des résidents, les conjointes ne venant pas forcément du quartier, puisqu’on se rencontre en général à l’université ou au bureau.

À la sortie des écoles, je remarque que la fécondité de ces couples, souvent de trois ou quatre enfants par famille, est plus importante que celle des autres communautés, sans toutefois atteindre les niveaux qui sont fantasmés sur les réseaux sociaux, qui montent en épingle des cas exceptionnels de familles polygames.

Jusque-là, avec ces résidents bourgeois, se vérifie l’évolution normale de l’intégration acquise, puis l’assimilation au fil des générations.

Le marché d’Aligre

Les gens de la journée

Mais sur les trottoirs, dans les commerces ou dans des restaurants populaires à midi, on voit une foule de banlieusards venus travailler.

Puisqu’ils travaillent, ce sont des gens intégrés et qui ont un standing à tenir. Certes on peut remarquer parfois des vêtements moins bourgeois que ceux des résidents, mais c’est de plus en plus difficile vu le nivellement imposé par les modes.

En tout cas, il y a très peu de vêtements traditionnels, de foulards ou de voiles. Les différentes allures sont plutôt corrélées aux métiers : les commerçants forains et leurs employés ne s’habillent pas comme les employés de banque.

Du fait de ce respect des apparences,il devient difficile, comme pour les résidents, d’identifier sur le trottoir et à distance les Asiatiques et une bonne part des Nord-Africains ou Moyen-orientaux. L’intégration a gommé la plupart des différences.

Il faut pousser aux confidences pour avoir quelques échos des différences communautaires, par exemple les noms d’oiseaux échangés entre Asiatiques et « Arabes », terme impropre s’insurgent les nombreux Kabyles du quartier. Lesquels rappellent à toute occasion qu’ils ne sont pas « Maghrébins », mot arabe et négatif en France, mais « Nord-africains » ou, plus simplement, « Kabyles ».

Évidemment, les Subsahariens, noirs, sont plus faciles à identifier. Leur proportion croît au fil des années conformément aux statistiques nationales (aujourd’hui 1 million sur 67 ?), tout en restant extrêmement minoritaires dans ce quartier.

Les plus faciles à remarquer sont les nounous, souvent moins jeunes et moins élégantes que « les gazelles », mais qui, pour moi, illustrent le rôle que jouent les migrantes non qualifiées, en permettant aux résidentes diplômées du quartier de poursuivre leurs brillantes carrières.

D’autres Subsahariens viennent dans le quartier pour chercher du travail. Il y a en effet de très nombreuses agences d’intérim à proximité de la Gare de Lyon.

La plupart fonctionnent tout à fait normalement, mais j’ai été témoin de l’incident suivant : une de ces agences a été occupée par des Subsahariens encadrés par l’un d’entre eux portant un brassard CGT. Je suis allé interviewer ce dernier, qui m’a dit : « Nous occupons cette agence parce que nous exigeons qu’elle fasse comme les autres, à savoir faire travailler « nos » sans-papiers en utilisant les noms de travailleurs réguliers. Elle a refusé ». Cette agence a ensuite fermé. Plusieurs mois après, j’ai noté une déclaration de Sophie de Menthon, présidente du mouvement de PME « ETHIC » faire allusion à cette question et déclarer son accord avec la CGT pour faciliter la régularisation des travailleurs sans-papiers, souvent obligé de travailler sous le nom d’un « régulier ».

Il y a aussi un petit noyau de « communards », ainsi nommés par référence à la Commune de Paris et à l’anarchie, qui se signalent par des affichettes vantant l’action « solidaire » ou dénonçant « les riches qui ont profité du virus ».

Ils sont concentrés au sud de la rue d’Aligre, et sur quelques immeubles adjacents de la rue de Charenton. Leurs activités « révolutionnaires » se concentrent sur quelques bâtiments dont j’ignore les propriétaires (la Ville de Paris ou des associations ?) J’ignore également s’ils sont des résidents du quartier.

Enfin, il n’y a plus que quelques Roms venant probablement de leurs camps de stationnement en banlieue, qui refusent toute interview par ignorance réelle ou simulée du français. Le grand public ignore généralement qu’ils sont chrétiens… et Européens, pouvant donc circuler librement dans les divers pays de l’Union. Ils viennent en général de Roumanie, mais il y a également de fortes communautés en Hongrie, en Slovénie… Depuis quelques années, ils semblent avoir abandonné la Gare de Lyon à d’autres mendiants, nordiques à en juger par leur physique et leurs bribes de français, ou subsahariens.

Voilà la fin de ce témoignage personnel, sans prétention scientifique.

Je vois donc autour de moi principalement des bourgeois et des travailleurs, des individus intégrés, voire assimilés. D’où mon optimisme sur les questions d’immigration, optimisme qui me fait traiter d’inconscient à ma droite, et, de « violeur de cultures » à ma gauche. Cela parce que je souhaite l’assimilation, c’est-à-dire le contraire d’une société multiculturelle comme au Liban. De plus, dire que l’on a économiquement besoin d’étrangers et de leur descendance, c’est être « complice du patronat pour continuer en France l’exploitation coloniale ».

Ce tableau de l’immigration dans mon quartier n’est pas représentatif, diront certains. Ce n’est pas mon avis.

Les environs de la Gare de Lyon ne sont pas uniques en France, et les zones plus ou moins mixtes comme celles-ci sont plus nombreuses que les ghettos.

Une partie des travailleurs qui arrivent chaque jour dans le quartier provient d’ailleurs de ces ghettos, ce qui n’empêche pas leur intégration. Les interviewer sur ce sujet les mène inévitablement à pester contre la poignée de jeunes qui pourrissent la vie de leurs immeubles, et contre les journalistes qui ne relèvent que les côtés négatifs de leur cité.

En résumé, je ne me sens pas envahi. Or dans les quartiers bourgeois non mixtes, je sens cette crainte de l’invasion. Probablement parce que leurs résidents ne connaissent que ce que leur montre la télévision et les films, c’est-à-dire trafics et violence. Ça existe bien sûr, mais n’est pas représentatif de la société française.

Source : yvesmontenay.fr