Par Yves MONTENAY
Dans l’espoir d’améliorer les relations avec l’Algérie, le gouvernement français multiplie depuis quelque temps les petites concessions, tout en étant conscient que l’Algérie ne sera jamais satisfaite, car, pour le pouvoir algérien, le problème est ailleurs. L’année 2022 promet d’être une année très tendue pour les relations franco-algériennes en raison de la célébration du soixantième anniversaire de l’indépendance du pays (imaginons un instant un petit juif kabile devenu président assister aux commémorations de juillet 2022 ! ), de l’élection présidentielle française avec la candidature Zemmour (les banlieues réactivées par les réseaux de Christiane Taubira commencent à être très actives et à placarder d’ailleurs des slogans antisémites sur les murs) mais aussi à cause des matchs de football en préparation opposant l’Algérie au Maroc et à d’autres pays africains pour la Coupe d’Afrique et le Mondial. A chaque fois, les Algériens accompagnés d’autres maghrébins, descendent bruyamment dans les rues avec des slogans anti-flics mais aussi très hostiles à la France, générant en plein covid (mais eux semblent autoriser à se rassembler sans masque !) de graves troubles à l’ordre public, réprimés en douceur parce que l’Etat totalement démissionnaire a la peur au ventre. (https://www.valeursactuelles.com/societe/match-tunisie-algerie-un-perimetre-de-securite-mis-en-place-autour-des-champs-elysees/) et https://www.lefigaro.fr/faits-divers/paris-des-tensions-sur-les-champs-elysees-apres-le-match-de-football-maroc-algerie-20211212. Notons au passage dans notre lien « Valeurs Actuelles » que l’on mesure tristement l’état de la liberrté d’expression en France à voir le nombre de commentaires supprimés, la page des commentaires apparaissant alors comme digne des journaux de dictature !


L’ouverture des archives françaises
Un de ces « petits pas » a été l’annonce le 10 décembre 2021 par Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, de l’ouverture des archives sur les « enquêtes judiciaires » de la guerre d’Algérie ( Guerre d’Algérie : la France va ouvrir certaines archives « avec 15 ans d’avance » – France 24).
Mon propos sera plus général, l’ouverture de certaines archives étant pour moi un élément d’une politique visant à faire avancer une meilleure connaissance réciproque et à sortir des mythes opposés des diverses communautés ou mouvements d’opinion tant français qu’algériens.

Le rapport Stora et les « petits pas français »
Dans tout conflit (voir la question ukrainienne aujourd’hui), il est assez naturel qu’il y ait eu une guerre de l’information, chaque camp voulant se montrer à son avantage. Mais la guerre d’Algérie est finie depuis 60 ans et il paraît logique aux Français que l’information circule. Nous verrons cependant que ce n’est pas l’idée du pouvoir algérien.
Dans ce contexte, Benjamin Stora, historien et ancien professeur à Paris-XIII, a remis à Emmanuel Macron en janvier 2021 le rapport qui lui avait été commandé pour avancer sur la « réconciliation mémorielle ».
Benjamin Stora a été choisi d’abord pour sa compétence mais aussi pour ses positions, si j’ose dire, « centristes », c’est-à-dire rejetées par les Pieds-Noirs – qui le considèrent comme un traître – et par le pouvoir algérien qui le juge trop éloigné de l’histoire officielle enseignée au peuple depuis 60 ans.
Dans son rapport, Benjamin Stora, connaissant le gouffre qui sépare les différents camps, préconise une politique « des petits pas ». Ce qui a commencé à être fait avec la reconnaissance de la responsabilité française dans l’assassinat, en 1957, de Maurice Audin, communiste français partisan de l’indépendance de l’Algérie.

Un autre de ces « petits pas » est justement l’ouverture desarchivescoloniales sensibles. Ce qui vient d’être décidé pour celles « relatives à la guerre d’Algérie ».
C’est l’occasion de parler des Archives nationales d’outre-mer à Aix-en-Provence.
Les Archives nationales d’outre-mer
Ces archives, ou du moins la partie librement accessible, sont la principale source « sérieuse » des historiens algériens qui se méfient à juste titre de leurs sources nationales.
Ces historiens demandent depuis longtemps l’ouverture des archives algériennes, ouverture qui jusqu’à présent leur a été refusée par leur directeur, Abdelmadjid Chikhi « conseiller de mémoire » du président Tebboune. Donc un rôle symétrique à celui de Benjamin Stora qu’il critique vertement.
Côté français, cette politique des « petits pas » exclut toutefois « repentance » ou « excuses », ce que demande l’Algérie.
Emmanuel Macron a même accusé le pouvoir algérien d’abuser d’une « rente mémorielle » pour légitimer son pouvoir. Ce qui est tout à fait exact à mon avis, mais insupportable pour Alger qui avait alors rappelé son ambassadeur à Paris et interdit le survol de son territoire aux avions militaires français allant au Sahel.
Il ne s’agissait pourtant pas de propos officiels, mais d’un échange au cours d’une réunion de réconciliation franco-française (descendants de Pieds-Noirs, de Harkis, de Français d’origine algérienne).
Pourquoi cette insistance du gouvernement français à apaiser les relations franco-algériennes, alors que les difficultés, voire l’impossibilité de cet apaisement sont bien connues, et que cette attitude déplaît à une partie de la descendance des Pieds-Noirs ?
Les enjeux côté français
Emmanuel Macron estime qu’il est normal d’essayer d’avoir des meilleures relations avec ses voisins, même s’ils ont été adversaires, voire ennemis. Ce que de Gaulle et Mitterrand avaient fait avec l’Allemagne.
À ce principe s’ajoutent quelques problèmes concrets :
- L’Algérie estime le nombre « d’Algériens » en France à 5 millions, descendants compris, mais un chiffre plus vraisemblable serait à mon avis de l’ordre de la moitié, dont au moins 1 million et demi de citoyens français dont une partie n’est plus musulmane. L’hostilité algérienne est transmise en France par lesmédias (télévision algérienne, réseaux sociaux), ce qui a des effets profondément négatifs sur la cohésionde la société française ;
- Les soucis des entreprises françaises travaillant en Algérie, souvent en butte à des tracasseries ;
- Retrouver une partie des parts de marché perdues, notamment au bénéfice de la Chine, et donc défendre l’emploi français qui va avec ;
- Défendre la position du français en Algérie, attaqué de toutes parts par l’arabe et l’anglais. Par exemple, pour marquer leur mauvaise humeur, les gouvernants algériens ont anglicisé des noms de rues de la ville relativement francophone d’Oran, ainsi que les titres et la signalétique des universités scientifiques où l’enseignement se fait en français.
C’est dans cet esprit qu’a eu lieu la récente visite de notre ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian, mais les conséquences en seront limitées, car, comme nous l’avons vu plus haut, le régime a besoin d’entretenir l’hostilité envers la France.
Pour l’Algérie, une obstination risquée
Côté algérien, on s’obstine à demander l’accès aux archives et même leur rapatriement en Algérie pour trouver de nouvelles accusations contre la France. Ou bien cette dernière cède, ou l’on proclamera qu’elle a des choses graves à cacher.
En Algérie, l’ensemble des travaux universitaires français et les milliers de témoignages accumulés en France ne sont pas ou mal accessibles. Je pense notamment aux innombrables récits repris dans les médias français de toutes tendances et qui donnent aux événements une épaisseur humaine souvent dramatique, très éloignée du récit officiel algérien manichéen.
Dans le domaine universitaire, les travaux de l’historien Mohammed Harbi, par exemple, n’ont été diffusés en Algérie qu’il y a une quinzaine d’années. Quant à la biographie de Messali Hadj, écrite en 1978 par Benjamin Stora, elle n’a été traduite en arabe qu’en 2001.

Le plus délicat me semble être un point qui ressort indirectement du livre de Gilbert Meynier, pourtant proche du FLN, Histoire intérieure du FLN, (Gallimard, 2002).

Cet ouvrage décrit une insurrection algérienne pratiquement détruite en 1961, ce qui accentue encore la constatation d’une confiscation du pouvoir par l’armée de Boumediene venant du Maroc et qui ne s’était pas battue. Armée dont est issue le pouvoir actuel et notamment le long règne du président Bouteflika, adjoint de Boumediene dans cette armée.
Or, l’image de l’Armée de libération nationale ayant battu l’armée française, est martelée à la population algérienne afin d’asseoir la légitimité du pouvoir.
Un autre point délicat pour le pouvoir algérien sont les massacres entre indépendantistes, et notamment ceux de très nombreux partisans du MNA (Mouvement National Algérien) et de leurs familles par le FLN, ainsi que les rivalités souvent mortelles à l’intérieur du FLN.
Et plus généralement cette guerre a été l’occasion de sanglantes représailles réciproques, dont une partie sont donc de la responsabilité du FLN. De même pour son choix du terrorisme, qui fut politiquement très efficace, mais signifie que l’on tue des innocents pour impressionner l’opinion publique.
Je remarque que l’on honore aujourd’hui encore des héros dont les actes sont les mêmes que ceux que l’on reproche aux islamistes.
En remontant plus loin dans le temps, on constate l’évocation d’un Abdelkader légendaire, alors que sa période de lutte contre les Français ne fut qu’une partie de sa vie. Avant cela, il avait été dans le camp français, puis, après sa reddition, il fut un prisonnier privilégié devenu en pratique un notable français, notamment invité au côté de l’impératrice Eugénie à l’inauguration du Canal de Suez.

L’épisode de la relativement bonne gestion de l’Algérie par Napoléon III dans les années 1850-1860 est également souvent mal connue. Un Algérien a encore récemment accusé les Français d’avoir laissé mourir de faim les Algériens à cette époque. En réalité, la plupart ont été sauvés par le ravitaillement venant de France et distribué par l’armée française. On peut le vérifier dans les archives du port de Bordeaux ou en comparant leur sort à celui subi à la même époque par les Marocains, dont le pays, alors indépendant, avait été victime de la même sécheresse.
Des vérités encore plus gênantes pour le pouvoir algérien
Aujourd’hui encore, les Algériens voudraient connaître la vérité sur leur histoire. Peu à peu certaines vérités désagréables finissent par émerger. Mais la légende l’emporte encore sur l’histoire faute d’une production historique autonome par rapport au pouvoir.
Certains slogans du Hirak, mouvement de manifestations massives anti-régime des années 2019-2020, montrent que beaucoup pensent que « la véritable histoire de l’Algérie » leur est dissimulée.
En somme s’il y avait une ouverture totale et la diffusion des faits, il y aurait certes confirmation d’une partie de ce qu’on reproche à la France, mais il y aurait probablement des vérités encore plus gênantes pour le pouvoir algérien.
Mon hypothèse est que le pouvoir ne s’en inquiète pas trop, car il a l’habitude de se passer de l’opinion populaire, qui lui est de toute façon hostile.
Il s’agit d’une lutte entre histoire et mémoire
En France, la liberté intellectuelle donne toute sa place à l’histoire, car celui qui préfère la mémoire, c’est-à-dire souvent une légende favorisant son groupe, est à la merci d’une démonstration de son erreur. Il reste néanmoins quelques groupes où le poids de la mémoire écarte tout examen impartial.
On peut prendre l’exemple, chez les Pieds-Noirs, de la colonisation agricole, parfois idéalisée comme une épopée. Leur mémoire choisit de ne retenir de cette colonisation agricole que la mise en valeur de terres inexploitées, comme celles des marais de la Mitidja. L’analyse historique déclenchée par les protestations des musulmans a rappelé que ce n’est pas parce qu’une terre était inexploitée qu’elle n’appartenait à personne, établissant ainsi la réalité de la spoliation.
On pourrait multiplier les exemples ayant opposé les Pieds-Noirs aux fils d’immigrés, qui eux-mêmes considéraient comme des traîtres les fils de Harkis.
Avec la succession des générations, ce genre de discussion perd de son acuité. Elle laisse malheureusement souvent la place à d’autres divisions : races, religions, inégalités…
Maisla situation est différente en Algérie : la mémoire, souvent légendaire, est enseignée à l’école et martelée par le pouvoir. Inversement les historiens n’ont pas la liberté de rétablir ou de rappeler les faits.
Alors que faire ? Emmanuel Macron a essayé à la fois de réparer la société française et d’améliorer les relations diplomatiques entre la France et l’Algérie.
Mais ce n’est pas tout à fait la même chose comme le rappelle Benjamin Stora : « Est-ce qu’on veut faire une réconciliation qui soit exclusivement franco-française ? Ou une réconciliation franco-algérienne ? Ou pousser les Algériens à se réconcilier avec leur propre histoire ? »
La France ne peut pas faire grand-chose sur les deux dernières questions tant que perdure l’actuel pouvoir algérien.
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