par José Javier ESPARZA
Le grand projet de l’Agenda 2030 de l’ONU consiste à remplacer nos « anciennes » souverainetés nationales par un nouvel espace de « coexistence mondiale ». C’est ce projet qui nourrira la Présidence française de l’Union européenne pendant les six premiers mois de 2022, c’est aussi lui qui explicite le programme électoral de Emmanuel Macron.

La nouvelle loi sur l’éducation du gouvernement socialiste espagnol comprend un sujet « L’éducation aux valeurs civiques et éthiques » [en France, on parle d’ « éducation au vivre-ensemble età la laïcité ». Ce sujet vise, entre autres, à éduquer les jeunes Espagnols au « développement durable et à la citoyenneté mondiale ». Attentif à celui de « citoyenneté mondiale« .

La formule capture littéralement les objectifs de l’Agenda 2030 de l’ONU, qui chaque jour apparaît plus clairement comme le nouveau catéchisme idéologique de la troisième mondialisation. Pour le dire en deux mots, le grand projet consiste à remplacer nos « anciennes » souverainetés nationales par un nouvel espace de « coexistence mondiale ». L’idée peut sembler bonne d’un point de vue sentimental, philosophique, spirituel car tout le monde, par définition, préfère s’entendre avec les autres plutôt que de s’entretuer sans relâche. Le problème est que, dans la vraie vie, le sentimental n’est qu’un facteur parmi tant d’autres, et ce qui nous est demandé en échange de ce prétendu bien-être émotionnel, c’est de renoncer à toute capacité réelle de décider comment nous voulons vivre. C’est-à-dire que nous sommes invités (sans nous le dire) à renoncer pour toujours à la politique.

La « citoyenneté mondiale » est une contradiction terminologique. Le monde n’est pas et ne peut pas être une ville, même métaphoriquement. En termes politiques classiques, la ville, la polis, est le théâtre de la vie publique et donc aussi du pouvoir, de la représentation, de la participation. C’est le lieu où l’on exerce (ou conquiert) les droits et libertés et, de même, où l’on peut aspirer à une certaine sécurité devant les siens et les autres. En d’autres termes, la ville est la communauté politique. On peut imaginer des petits flics comme Athènes ou des gros comme la Russie, mais on parle toujours d’espaces délimités par des règles et des institutions, où le citoyen sait qui dirige et pourquoi, qui sont ses voisins, qui a habité la maison avant vous et à qui vous quitterez plus tard, qui devrait être tenu responsable si les choses tournent mal. Au contraire, le « monde » n’y est pour rien. Le « monde », à des fins politiques, est un concept parfaitement abstrait. Vous ne pouvez pas être un « citoyen du monde » car sur la planète il y a d’innombrables peuples et espaces de pouvoir, chacun avec ses propres caractéristiques culturelles, économiques, géopolitiques, intellectuelles, morales de sorte qu’il est impossible d’établir les règles de cette prétendue citoyenneté. Bref, la « citoyenneté mondiale » n’est qu’un jeu de mots.

De la simple rhétorique sans conséquences ? Pas du tout. Le concept de citoyenneté mondiale découle directement de la matrice idéologique des Lumières, et en particulier du classique Idées pour une histoire universelle en clé cosmopolite de Kant. La pensée paléo illustrée ici part du principe que l’homme est le même partout et que ce qui définit l’espèce, c’est la raison, qui est également présumée être la même chez tous les hommes. De là, la nécessité d’un ordre politique rationnel dont la portée s’étend à l’ensemble de l’espèce humaine d’où une sorte d’État mondial s’ensuit « naturellement ». Ce que nous appelons aujourd’hui le « mondialisme » y trouve ses racines. Sa manifestation la plus évidente est la dissolution progressive des souverainetés nationales dans d’autres domaines de souveraineté qui absorbent de plus en plus de pouvoirs.

Aujourd’hui, une tentative est faite pour imposer un consensus autoproclamé « progressiste » sur l’idée que ce processus est substantiellement bon. Or, le fait est que nous sommes confrontés au démantèlement d’un des traits essentiels de la condition humaine, qui est son caractère de « zoon politikon », d’animal politique. Que cela entre dans tous les programmes d’enseignement européen en dit donc très long. Mais les rhapsodes de la mondialisation oublient sans doute de préciser alors que « citoyenneté mondiale » signifie, d’emblée, que toute démocratie devient impossible. Pourquoi ?
Toute démocratie requiert l’existence préalable d’un démos, d’un peuple. Certes, on peut interpréter ce peuple comme une simple somme arithmétique d’individus quelconques ou comme un ensemble organique de peuples unis par des liens antérieurs (de culture, d’origine, etc.), et c’est l’un des débats classiques de la science politique, mais dans les deux cas, il s’agit d’un groupe humain spécifique et identifiable qui vit sur un territoire bien défini et dans un espace dont il est responsable de l’ordre à savoir cette ville, ce démos qui vous permet d’aspirer à participer au pouvoir précisément parce que vous vivez dans un espace spécifique, c’est-à-dire parce qu’il existe un lieu physique où vous pouvez l’exercer, où il est possible de décider, où il est possible d’imprimer une commande. Mais s’il n’y a pas de ville, parce qu’elle est remplacée par la planète entière, s’il n’y a plus de peuple [ puisque vous l’avez dissous dans le melting-pot et dans un des moments les plus forts de son discours-réponse aux Gilets Jaunes en décembre 2018, le Président français Emmanuel Macron interrogeait très significativement : « le peuple ? Mais quel peuple ? » ; NdR] alors il n’y a pas d’espace, et sans espace il n’y a pas de démos , et s’il n’y a pas de démos , il n’y a pas de démocratie.

Le seul pouvoir imaginable dans cette cité-monde fantomatique serait celui de quelques oligarchies technocratiques qui s’accordent sur telles ou telles décisions sans que les peuples concernés puissent faire autre chose qu’obéir. C’est, très visiblement, le scénario auquel ils veulent nous emmener aujourd’hui [dont le covidisme avec pass-sanitaire et pass vaccinal l’illustration la plus parfaite ; NdR].

Citoyens du monde ? C’est autant que de cesser d’être citoyen. Autrement dit : aujourd’hui la bataille pour la démocratie est la bataille pour les souverainetés nationales, c’est-à-dire pour des scénarios où le pouvoir est encore visible. Et tout le reste est la musique du joueur de flûte de Hamelin.
