LA REPRISE ET L’INFLATION PAIERONT LA DETTE

Par Yves MONTENAY

Les derniers résultats en termes de croissance et d’emploi paraissent très encourageants comme l’a remarqué notre président dans sa dernière allocution :

  • avec 7,6 % le taux de chômage est au plus bas depuis 15 ans,
  • le nombre de pauvres est resté stable en 2020 alors que les associations concernées avaient prévu son explosion,
  • et la croissance est une des plus fortes d’Europe (6 à 7 % ; je ne suis pas plus précis car les chiffres varient suivant la période de référence choisie) et très supérieure à celle de l’Allemagne.

Ce constat présidentiel n’a pas amené de critiques violentes car il est en gros exact. Mais l’opposition de droite a focalisé ses critiques sur la dette qui effectivement a bondi.

Croissance de la dette publique France (source Insee)

Et l’inquiétude se porte aujourd’hui sur son remboursement, sur les pénuries et l’inflation.

À mon avis tout cela est lié et va se résoudre assez naturellement.

Ni miracle ni catastrophe, mais une gestion attentive

D’abord la vigueur de la reprise est un phénomène normal, puisque, contrairement à la guerre, il n’y a pas eu de destruction physique d’immeubles ou de matériels, et très peu de décès dans la population active.

Pour ce dernier point, rappelions que les victimes ont d’abord été des personnes âgées, et que les progrès de la vaccination ont considérablement réduit le nombre des cas invalidants et les décès.

Rappelons aussi que, contrairement aux États-Unis, les mesures sociales qui ont été prises dont le chômage partiel ont fait qu’une partie importante des employés sont restés liés à leur entreprise et donc disponibles pour la reprise.

Enfin, contrairement aux crises économiques classiques, il n’y a pas eu une marée de faillites.

Ce fut bien sûr un choix politique qui a été résumé par la formule « quoi qu’il en coûte  ».

Donc la tempête a été bien traversée, mais il faut voir maintenant les conséquences.

Tout cela a créé une immense épargne forcée : les revenus ont été en gros maintenus, alors que les dépenses ont diminué. Le cas extrême est celui des voyages à l’étranger : les Français n’ont plus dépensé dans ce domaine tandis que les employés ont continué à être payés.

France : dépôts à vue et épargne réglementée Dépots-vue-epargne-reglementee
L’épargne forcée liée aux confinements

Alors qu’en l’absence de toute politique de soutien, non seulement le « quoiqu’il en coûte «, mais aussi des allocations-chômage, cette diminution des dépenses des uns aurait été annulée par la diminution des recettes et salaires des autres.

Des pénuries et de l’inflation bien naturelles

En simplifiant, la masse des Français a touché autant d’argent que si la production avait été maintenue. Or cette dernière a diminué, d’où l’épargne forcée évoquée plus haut. Cet argent ne devrait pas exister puisqu’il a été créé sans contrepartie de travail, notamment par l’endettement de l’État et d’autres acteurs économiques.

Comme la production ne revient pas instantanément au niveau précédent, notamment pour des questions de pénuries internationales dont nous parlerons plus loin, il y a plus de demande que d’offre et les prix montent.

La remontée de l’inflation en France (2021)

C’est une inflation naturelle et qui n’est pas injuste, puisque ça ne fait que rogner de l’argent gagné sans travailler. Appelons ça « la dette morale ». Autrement dit on « rend » progressivement cet argent, et les consommateurs, particuliers ou entreprises payent ainsi progressivement la dette.

Mais l’opposition, ainsi que de nombreux économistes, ne nous parlent pas de cette dette « morale » mais de celle de l’État. C’est oublier qu’en économie tout estlié par un ensemble de vases communicants.

Par exemple, ce qui revient l’État par la TVA et l’impôt sur les sociétés (voir les bénéfices affichés par les sociétés françaises cotées) est gonflé par cette hausse des prix, qui elle-même génère des bénéfices en cascade. Même si la hausse des prix s’arrêtait demain, ce sont les fournisseurs des sociétés bénéficiaires actuellement qui prospèreront.

Il y a d’autres canaux pour la circulation de cet argent, et certains aboutissent à l’immobilier et à la bourse. Pour l’immobilier l’offre n’est pas élastique, et pour la bourse, il faut distinguer entre les actions actuellement cotées, donc en nombre limité et qui vont monter, d’autant que les bénéfices augmentent aussi (sauf mésaventures de certaines entreprises) et les souscriptions nouvelles.

Ces souscriptions vont par exemple aux start-ups. Une grande partie sera perdue, ce qui est moralement normal. Mais d’autres iront à des métiers nouveaux qui permettront de limiter les pénuries et contribueront à sauver la planète du dérèglement climatique.

Il est impossible de savoir à l’avance ce qui marchera, mais, pour le passé proche, on peut penser à Tesla, tout nouveau constructeur automobile, et qui vaut aujourd’hui davantage en bourse que l’ensemble des autres constructeurs mondiaux !

Non seulement cela a considérablement enrichi son fondateur et ses actionnaires, mais cela délivrera de la pollution automobile. Reste à savoir si l’électricité fournie sera « verte », c’est-à-dire viendra des renouvelables ou du nucléaire. 

Ce schéma simple a été perturbé par les événements internationaux.

Des échanges internationaux embouteillés

Non seulement, on a moins produit tout en distribuant autant d’argent qu’avant, mais ce qui est produit n’arrive pas toujours en France, du fait d’une série de problèmes :

  • celui de la production en Chine avec des confinements locaux qui se multiplient, et la fermeture, pour des raisons écologiques, d’établissements particulièrement sales;
  • l’embouteillage des ports, tant au départ, pas seulement en Chine, qu’à l’arrivée, (États-Unis, Pays-Bas…). On voit même les ports français classiquement délaissés à cause des caprices de nos dockers servir de ports de secours à Rotterdam ! Car la demande s’est réveillée à peu près en même temps dans plusieurs grands pays avec la fin de la quatrième vague,
  • et le manque de conteneurs, dont on réalise, un peu tard, qu’ils sont principalement fabriqués en Chine !

Or certains composants sont particulièrement bloquants. On a vu par exemple que le manque de puces électroniques, qui sont les cerveaux de multiples appareils, bloquait de multiples industriels, dont Renault et Apple.

Remarquons que la demande est également forte pour le pétrole et le gaz, qui montent en flèche, période où ils étaient au contraire très bon marché.

Donc la réduction de l’offre, par ces embouteillages face à une demande de rattrapage, déclenche encore plus d’inflation (6 % aux États-Unis).

Inflation aux Etats-Unis (source francebourse.com)

Est-ce que ce sera durable ?

En partie oui, notamment pour les puces électroniques; dont la demande va croître pour des raisons structurelles puisqu’on va en équiper de plus en plus d’appareils. La 5G a été lancée pour cela.

Or il faut plusieurs années pour construire une usine et la mettre en production.

Pour le pétrole et le gaz, je parie pour un peu de sagesse dans quelques mois. Bien sûr il y a des menaces de limitation de livraison par la Russie, la Biélorussie et l’Algérie, mais ces trois pays ont trop besoin d’argent pour s’obstiner longtemps.

Rappelons que la principale usine mondiale de semi-conducteurs est à Taïwan, ce qui rajoute du sel au conflit inquiétant entre la Chine et ce pays. Son propriétaire prévoit certes une nouvelle usine aux États-Unis… mais qui ne sera pas opérationnelle demain.

Conclusion, qui va payer ?

Si vous m’avez suivi jusqu’à présent vous connaissez la réponse : tout le monde, au fur et à mesure des achats à des prix de plus en plus élevés.

Il est probable que certains compenseront et au-delà ces dépenses supplémentaires s’ils possèdent des biens dont la production ne peut pas augmenter rapidement.

J’ai cité plus haut l’immobilier et la bourse, et il en aura probablement bien d’autres, des plus luxueux aux plus basiques (les produits agricoles à production lente, annuelle, voire bien plus longue).

D’où l’idée affichée par certains partis politiques à l’occasion de la campagne pour l’élection présidentielle de 2022 : « Taxons les profiteurs de l’inflation ! »

On trouve dans ce camp l’inévitable Thomas Piketty qui est obsédé par les inégalités qu’il présente parfois de façon tendancieuse et mathématiquement fausse, et plus généralement l’opposition de gauche.

Il y a là une certaine logique sur le papier, mais je me méfie de ce qui arrive en pratique quand on s’attaque à un système qui forme un tout.

Souvenez-vous de l’ISF : une partie des assujettis ont émigré, et l’État français a perdu en impôt sur le revenu des intéressés et de leurs employés et en TVA sur leur consommation, probablement bien plus que le produit de cet impôt, par ailleurs compliqué et donc coûteux à collecter.

Sa suppression partielle était donc justifiée, et nous avons eu en prime une image plus tentante pour des investisseurs étrangers et l’emploi qu’ils apportent.

Mais pour l’avenir, c’est vous qui en déciderez bientôt puisque vous allez voter !

Pour en revenir à la dette, nous la payons tous les jours, et ça ne se passe pas trop mal jusqu’à présent. Et surtout, nous avons évité l’effondrement économique et social.

Note d’un lecteur :

« Sauf que structurellement, l’Etat continue de s’endetter sur des postes de dépense structurels en dehors de son domaine régalien. On pourrait croire à un redressement par l’inflation si l’augmentation de dépense avait été temporaire et dans des domaines qui subissent la crise mais repartiront une fois les échanges internationaux normaux repris. Mais ce n’est pas le cas. Les gouvernements créent depuis des années des bulles permettant à des entreprises de survivre en vendant des biens que le consommateur ne serait pas prêt à payer s’il avait le choix de dépenser son argent (aides à la rénovation, défiscalisation ceci ou cela, etc…) en plus de postes de fonctionnaires pour des missions qui pourraient être assurées d’une manière plus compétitive par le secteur privé. Mais nous sortons ici du sujet de l’article qui est le parallèle entre la dette du « quoi qu’il en coûte » et l’insuffisance de la production pendant la pandémie (qui n’est peut-être pas finie), d’où mon terme de « dette morale » pour la distinguer de la dette courante. Ici dans cette note est évoquée un autre problème, le déficit de l’État en période normale, et donc le creusement permanent de sa dette (ce qu’on appelle la « dette structurelle »).

Source : yvesmontenay.fr