Par Yves MONTENAY
On parle beaucoup du « monde d’après ». Il arrive. Les discours sur la reprise se multiplient, mais les inquiétudes face à la dette aussi. Une énorme masse d’argent a été dépensée pour soutenir les entreprises et leurs employés et cet argent vient « de la dette ». Mais encore ? Il y a ceux qui disent « la dette, il faut s’asseoir dessus », et ceux qui prévoient des années d’austérité pour pouvoir rembourser…
Il y a un peu plus d’un an, à la fin de la première vague, il se disait fréquemment que la reprise serait lente et difficile. J’ai alors écrit qu’au contraire elle serait rapide et vigoureuse, bref en « V », et les chiffres d’il y a un an, après la fin du premier confinement m’ont donné raison. Avec un avertissement : ne pas vouloir tout faire comme avant et accepter le changement !
Malheureusement sont arrivés la deuxième puis la troisième vague et leurs dégâts économiques.
Maintenant que cette troisième vague s’estompe, et en supposant que la vaccination nous en épargne une quatrième, voire une cinquième, la discussion reprend.
D’un côté l’optimisme est général, mais de l’autre nous avons pris conscience de l’importance de la dette dont on perçoit mal les conséquences économiques.
Un optimisme en gros justifié
Il y a un an, notre optimisme était fondé sur le fait qu’il n’y avait pas eu de dégâts matériels, et que très peu d’actifs avaient perdu la vie, les morts étant surtout « des vieux ». Donc que tout pouvait repartir rapidement. Cette constatation est toujours valable aujourd’hui.
À cette première raison d’optimisme s’ajoute le soutien de l’économie par une aide massive de l’État français, et celle, encore à venir, de l’Union européenne. Ces mesures de soutien ont notamment permis à l’investissement des entreprises de se maintenir ce qui est fondamental pour leur compétitivité à venir.
Par ailleurs les personnes dont le revenu a été garanti : les retraités, les fonctionnaires, les personnes remboursées par « le chômage partiel » ont épargné énormément, un peu par crainte de l’avenir, mais aussi parce qu’il y a eu beaucoup moins de dépenses de voyages, de restaurants, de spectacles…
Cette épargne commence à se déverser dans l’économie, dans les restaurants pour commencer et dans les réservations de voyages, par exemple.
Jusqu’à présent j’ai raisonné comme si la France était seule et autosuffisante, mais tout cela dépend aussi de l’international. Voyons comment.
L’influence de l’international : les plans de relance des autres
D’abord, un point positif : beaucoup de pays, et principalement les États-Unis, ont lancé des distributions d’argent massives, pour les individus comme pour les entreprises. Le gouvernement américain a notamment promis aux entreprises d’énormes travaux d’infrastructure.
Il faut dire que l’Amérique en avait grand besoin, car, contrairement à sa réputation, ce n’était un pays moderne que dans certains secteurs, alors que ses routes, ses ponts et bien d’autres choses étaient en très mauvais état.
Il y a aussi les commandes des pays qui ont redémarré avant nous, la Chine en premier lieu, qui est un énorme marché pour les entreprises françaises certes, mais aussi et surtout pour les entreprises occidentales en général, allemandes notamment, qui sont nos clients. Et si nos clients se portent bien, ils nous commandent.
Mais, en sens inverse, les confinements dans les autres pays ont ralenti la production de biens qui nous manquent maintenant
Les pénuries
Le cas le plus médiatisé a été la pénurie de semi-conducteurs, indispensables aux ordinateurs et beaucoup d’autres choses.
Mais c’est aussi le cas de beaucoup d’objets courants, eux-mêmes nécessaires à la fabrication d’autres biens : pour vacciner il faut non seulement des vaccins, mais aussi des aiguilles, des flacons, des frigidaires, des camions… qui eux-mêmes ont besoin d’autres matériaux ou objets pour être fabriqués.
On peut en tirer deux leçons.
La première est une confirmation de mes remarques d’il y a un an, alors que des médecins préconisaient un confinement total « pour sauver des vies ». J’écrivais que l’économie forme un tout et que tout arrêter sauf l’hôpital et la nourriture de base, finirait par paralyser assez vite les soins et l’alimentation.
C’est devenu évident ensuite, et les pouvoirs publics se sont contentés de confinements partiels, les moins paralysants possibles.
Il reste toutefois des nostalgiques de cette manière forte, qui reprochent à nos gouvernants leur manque d’énergie, voir « leur soumission aux intérêts économiques ».
La deuxième leçon à en tirer est que la reprise de l’offre va être freinée, ce qui est un facteur d’inflation.
L’inflation
L’inflation par la pénurie va s’ajouter à celle générée par la création monétaire. Bien que l’on ne sache pas très bien où arrive cette monnaie créée par la Banque Centrale Européenne (peut-être nulle part pour partie, d’après Henri Lepage), une partie ira vraisemblablement à la bourse et à l’immobilier. Ce n’est pas un drame, des sommes importantes seront stockées là, qui éviteront de surenchérir sur des objets indispensables à la production.
Bien sûr on entendra les pourfendeurs des inégalités dénoncer que l’argent « aille aux riches »… alors que ces derniers ne le seront vraiment que s’ils vendent sans faire baisser les cours. Bien malin celui qui sait aujourd’hui s’ils seront gagnants ou perdants.
Ces traqueurs d’inégalités proposeront des impôts « sur les riches » (comprendre « sur les autres »), quitte à perturber encore un peu plus les producteurs et les épargnants et à retarder la reprise.
Les pessimistes disent que non seulement la création monétaire et les pénuries vont être une cause d’inflation, mais que nous allons être étranglés par le remboursement de la dette.
Quelle dette ?
En fait on ne sait pas très bien.
Dette française et dette européenne
C’est clair pour l’État qui a dépensé, est en déficit et s’est endetté pour pouvoir continuer à payer. C’est probablement vrai pour d’autres institutions nationales, dont les caisses de retraite, la SNCF, Air France… mais j’avoue ne pas avoir remarqué grand-chose dans la presse. Quelle pudeur !
C’est beaucoup moins clair au niveau européen, nous l’avons vu.
Quel sera l’impact du remboursement ?
C’est très difficile à évaluer. Si vous remboursez votre dette, votre créancier reçoit votre argent. Ce dernier n’a donc fait que se déplacer et ça ne change rien.
En fait tout dépend qui est le créancier et ce qu’il fera de l’argent, ce qui est imprévisible. On peut néanmoins imaginer qu’après une cascade d’intermédiaires, l’argent retombe chez un particulier ou une entreprise, qui elle-même va commander, consommer ou investir… donc, a priori, rien de bouleversant. Sinon qu’il faut être conscient qu’on ne sait pas, et qu’il faudra de l’agilité pour se placer commercialement au bon endroit !
Avec le rebond de la consommation, une grande partie des entreprises va retrouver une activité normale et remboursera ses dettes et le gros du problème de l’endettement disparaîtra de lui-même.
Celles qui ne pourront pas (Air France ?) vont en principe disparaître, ce qui est normal et sain en économie de marché. Toutefois certaines entreprises politiquement importantes recevront discrètement de cadeaux de l’État. C’est-à-dire que leur dette sera transférée à ce dernier, qui s’endettera un peu plus. Espérons que le marchandage qui aura lieu à cette occasion les obligera à s’alléger !
Mais, même en tenant compte de cela, on sera loin de ce mur de la dette qui affole tant de monde aujourd’hui. D’autant que l’inflation va diminuer indirectement les dettes.
Pourquoi ? Parce que les marges des entreprises vont augmenter, ainsi que l’assiette fiscale, donc les débiteurs auront des recettes en hausse alors que leurs dettes sont en général fixes. Comme il est normal et moral, c’est de l’argent distribué sans contrepartie de travail qui disparaît ainsi du porte-monnaie des consommateurs du fait de l’inflation. C’est donc bien une façon indirecte de rembourser la dette.
Conclusion
Craindre à la fois l’inflation et le remboursement est donc incohérent. D’ailleurs ce dernier est habituellement considéré par des économistes comme déflationniste.
Par ailleurs, ce qui importe pour la masse des gens, c’est ce qu’ils peuvent acheter, donc ce qui est produit puisqu’il y a (momentanément) beaucoup d’argent à la suite de l’épargne accumulée et des sommes empruntées. Quelles que soit les péripéties financières liées à la dette, c’est donc la production qui leur apportera ce qu’il faut.
Or, sauf événement politique majeur (tension internationale, blocage de frontières donc accentuation des pénuries…), la production va retrouver un niveau normal, et peut-être davantage puisque la pandémie aura été un accélérateur de la numérisation de beaucoup d’entreprises, et l’occasion de lancer des idées nouvelles.
Le libéralisme et le capitalisme sont peut-être haïssables, mais ils ont comme qualité de s’adapter et d’innover. Ne les cassons pas !
Source : yvesmontenay.fr