Par Michel LHOMME

L’absence de réaction occidentale à la prise discrète de Hong-Kong par la Chine, sa violation manifeste du traité international de rétrocession anglo-chinois (l’Angleterre à ce moment là était prise par les négociations difficiles du Brexit et les Etats-Unis dans la tourmente électorale anti-trump et le trucage des élections) puis le retrait américain d’Afghanistan aurait-il dopé les Chinois pour une prise rapide de Taiwan, objectif fixé par le plan chinois officiellement pour 2030 (car en Chine tout est planifié, tout est écrit, tout est donc consultable d’une certaine manière) ? On peut effectivement se poser la question d’une fenêtre de tir qui se serait ouverte du côte de Pékin mais on peut aussi la voir du côté de Washington, de l’autre côté du Pacifique.
Du côté des Chinois, même à l’intérieur de l’état-major, les avis divergent : faut-il attendre la supériorité maritime chinoise ou attaquer de suite ? Le Parti Communiste Chinois a déjà tenté d’envahir Taïwan : il avait échoué et avait du se replier mais la Chine communiste n’a jamais subi de dégât sur son territoire ! Or, aujourd’hui, avec les missiles livrés par les Américains à Taiwan, l’aveu officiel aujoud’hui par la présidente indépendantiste et pro-américaine de Taiwan de la présence des forces spéciales US sur place, cela pourrait changer la donne.
Dans l’œil du viseur tactique, le barrage des Trois Gorges accessible aux tirs taïwanais or la rupture d’un tel barrage facile à réaliser tout compte fait inonderait des villages entiers et puis sans aller jusque là, les villes chinoises sont composées de tours de grande hauteur, de gratte-ciel dont quelques éboulements seraient immédiatement impressionnants. Ils auraient un effet médiatique immédiat et entraînerait de surcroit une surenchère obligée du gouvernement chinois de par sa fierté nationaliste. Effectivement en cas de représailles taiwanaises martiales, la Chine se retrouverait dans une position totalement inconfortable : elle ne pourrait pas ne pas répliquer ou maintenir un ton pacifique, diplomatique, concilant et multipolaire à l’international sans contredire à l’intérieur du pays dans sa population sa propagande de puissance. Elle ne pourra pas le faire d’où le réel risque d’escalade interne d’autant qu’il y a à l’intérieur du PCC des tendances contradictoires, des courants divergents avec des faucons (schmittiens) et des plus ou moins pacifistes (confucéens).

Du coup, les stratèges chinois semblent avoir calculer leur tactique sur une guerre non pas éclair – comme on le croit trop parfois en Occident – mais un conflit plutôt long. Tout prend une certaine cohérence si l’on se rappelle un peu la Seconde Guerre mondiale. S’il s’agit d’amorcer la bataille décisive, la troisième guerre dans la lutte pour l’hégémonie planétaire, le belligérant doit s’assurer d’abord de son approvisionnement énergétique : ce fut en avril-juin 1940 la campagne de Norvège puis Rommel en Afrique du Nord. La Chine doit s’assurer de même au plus vite que ses approvisionnements énergétiques suivront et ne puissent pas être coupés. Or son principal oléoduc passe par le Cachemire pakistanais qui demeure à portée de tir de l’Inde qu’il serait bon du coup de neutraliser au plus vite ! Le Cachemire est peut-être plus que l’Afghanistan ou Taiwan un point crucial, de friction possible de la guerre à venir, en tout cas nous certifions ici que l’Inde, puissance nucléaire sera nécessairement de la grande partie qui paraît se profiler.
Face au repositionnement indo-pacifique des Etats-Unis, la Chine ne se retrouvera-t-elle pas sans réelllement le vouloir aujourd’hui à la limite de ses positions diplomatiques ? Pourquoi n’utiliserait-elle pas alors de suite l’arme boursière qu’elle possède et qui plongerait en quelques secondes l’économie mondiale dans l’un des plus grands krachs de son histoire ? Les États-Unis, le Japon se sont engagés ensemble militairement pour défendre Taiwan. Effectivement, la crise asiatique en Mer de Chine s’aggrave et l’Europe soutient également Taiwan et la France pourtant moquée et ridiculisée par l’affaire des sous-marins australiens la suit après y avoir même envoyé il y a quelque temps sa marine faire un petit défilé naval avec les USA et le Canada comme si elle pouvait compter demain sur les Américains pour l’aider rapidement en cas de contestation des ses « territoires d’Outre-Mer » !
Les commentateurs français semblent commettre en tout cas une grave erreur, un anachronisme en lisant la crise actuelle par le prisme de la « Guerre Froide ». Nous sommes certes en face d’une politique hégémonique du commerce mais pas d’un désir expansionniste spatial. Les Etats-unis, l’administration Biden semblent mettre le paquet dans l’idéologie du « péril jaune » accusant la Chine de tous les maux en passant par l’origine du covid 19, la prise de Hong-Kong, la visée « impérialiste » sur Taiwan, les camps de concentration des Ouighours et même en allant chercher la Russie en toile de fond comme partenaire et complice ! N’est-ce pas en faire un peu trop ?

Après l’AUKUS, les Etats-Unis ont tenté de convaincre cet été par le Quad les pays d’Asie du Sud-Est de les rejoindre. Ces derniers désunis et aux intérêts commerciaux disparates ont très bien compris la manoeuvre et ont fait avec raison la sourde oreille à Washington. Les Etats-Unis impatients tapent désormais du pied car en réalité, c’est peut-être pour eux que la fenêtre de tir s’est ouverte. Alors Biden osera-t-il ? Foncera-t-il ?…
En tout cas, après les ravages surévalués de la pandémie, le monde ne voudra pas souffrir pour Taïwan comme il n’a jamais voulu mourir pour Dantzig même si déjà des articles de journaux ouvertement atlantistes diffusent en sourdine ce genre de message anachronique de propagande (https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/10/20/mourir-pour-taiwan-c-est-tres-loin-taiwan-a-l-otan-les-europeens-n-ont-pas-signe-pour-ca_6099134_3232.html) .
Reste à se demander le pourquoi d’un retour du bellicisme américain après l’isolationnisme de Trump. Les Etats-Unis pressentent sans doute une crise boursière d’envergure et sentent que leurs intérêts économiques vitaux sont menacés (ressources énergétiques et technologiques, les semi conducteurs de Taiwan, accords commerciaux, approvisionnements alimentaires, retour de l’inflation).
Mais pourra-t-on confiner – mot à la mode ! – comme lors de la guerre de Corée, le conflit pressenti ? Taiwan est trop près des côtes chinoises pour être valablement défendu contre une invasion militaire chinoise mais le retentissement international déjà présent en sera très grand et les pays voisins pourraient en prendre ombrage ou en profiter comme par exemple le Japon notamment ou d’un autre point de vue, la Corée du Nord. Mais il importe aussi de comprendre surtout qu’il s’agira alors pour la Chine d’une question d’honneur, d’une cause nationale et qu’agressée ou provoquée, conduite à la guerre, tout chez elle sera mis en œuvre pour arriver à ses fins. On ne raisonne pas en Chine comme dans un Occident désidéologisé: le cœur nationaliste bat et il ne connaît pas la pitié.
De toutes façons, tôt ou tard, Taiwan sera sous protectorat chinois. Xi Jin Ping le sait et c’est pour cela que de son point de vue, il ne sert à rien pour lui d’entreprendre une guerre coûteuse en vies humaines et en destructions et d’accélérer les choses. C’est donc que s’il y a guerre, c’est que les Etats-Unis la voudront et la déclencheront allant une fois de plus jusqu’à en inventer les motifs et les occasions comme ils en ont eu si souvent l’habitude dans l’histoire, pour ne pas écrire qu’ils l’ont toujours fait.
