DE LA DEMOGRAPHIE, DE L’IMMIGRATION ET DE QUELQUES NON DITS DE LA CAMPAGNE ELECTORALE 3/3

par Michel LHOMME

LE CAS  JAPONAIS

Nous avons abordé ici même sous la plume de Yves Montenay la crise démographique chinoise, coréenne, japonaise. (https://metainfos.com/2021/10/22/demographie-chinoise-histoire-dun-declin-annonce/ https://metainfos.com/2021/06/03/coree-du-sud-succes-economique-naufrage-demographique/)  On ne peut en effet  s’attaquer au problème démographique sans aborder  la crise démographique de la première société asiatique qui était  sortie du sous-développement. Hier, il n’y a de cela qu’une cinquantaine d’années, le « péril jaune » était japonais. On en est loin et on est loin et justement pour des raisons non pas politique ou économiques mais démographiques au monde. Le déclin japonais est avant tout le déclin de sa population et visible, il nous oblige à repenser les rôles de genre, le sens de la réussite familiale et professionnelle, la question de l’immigration et de la robotisation de la société,  de remettre en question forcément la prémisse d’une croissance infinie, de questionner le mal nommé « développement durable », la crise écologique mondiale.

Motion blur on large crowd at the famous Shibuya Crossing in the Japanese capital

Le Japon a été le premier pays, la première société au monde déclarée « sur-vieillie » et du coup est devenue sociologiquement la « société pionnière en matière de perte de population », ayant inversé très rapidement la pyramide démographique sur laquelle l’État moderne avait été construit. Depuis 1989, lorsque le faible taux de fécondité de 1,57 enfant par femme est devenu une préoccupation sociale majeure, les chiffres ont continué de suivre une tendance à la baisse. En février 2021, le gouvernement japonais a annoncé les résultats préliminaires du recensement de 2020, révélant que le nombre de naissances cette année-là était le plus bas jamais enregistré.

La population du Japon : évolution et projection moyenne | Download  Scientific Diagram

L’Etat japonais a bien évidement réagi et les efforts du gouvernement depuis le milieu des années 90 se sont concentrés sur l’encouragement des femmes à avoir plus d’enfants. Or même si toutes les femmes capables de le faire donnaient naissance à trois enfants dans les prochaines années, cela ne résoudrait pas les effets économiques et sociaux de l’actuel « baby buster », l’effondrement des naissances.

Qu’a-t-il de fait entraîné ? La pénurie de main-d’œuvre et le fardeau pressant des retraites et des absences, des soinsde courte durée pour les personnes âgées contraintes encore de travailler après l’âge officiel de départ, exactement la tendance forte que nous constatons chez nous, rappelant au passage que l’année 2020, année du confinement covid a été pour la France l’année de la plus forte baisse de la natalité française relevée depuis plusieurs années. 

La population japonaise en chute depuis 4 ans

De plus, contrairement à une idée reçue chez les « décroissants », la crise démographique japonaise a aggravé plutôt que résolu les crises plus larges du pays liées à l’agglomération urbaine et à la dévastation écologique. 

Comme on l’écrivait plus haut, le Japon a vivement réagi : ce fut en 1995 le Plan Angel puis le New Angel Plan de 1999 qui se sont tous les deux concentrés sur le soutien aux femmes qui voulaient continuer à travailler tout en élevant leurs enfants. Nonobstant, les crèches urbaines continuent d’avoir de longues listes d’attente qui obligent les pères mais surtout les mères à quitter leur emploi. Les politiques visant à encourager les femmes à travailler plus dur ignorent que le « deuxième quart » du travail domestique incombe dans une société encore assez machiste aux femmes. Au Japon, le mariage et la maternité sont liés à une série de revendications sociales plutôt considérées hier comme conservatrices comme celles autour du mariage hétérosexuel, de la division sexuelle du travail et des sacrifices féminins naturels tant au travail qu’à la maison alors qu’un autre processus, celui libéral du déracinement et de l’hyper-individualisation accélère le modèle occidental de la vie célibataire ou de la sexualité gay (présente de plus en plus dans les mangas ou groupes musicaux adolescents).  

Qu'est devenu le comique Masaki Sumitani alias Hard Gay, au Japon ?

Enfin, il y a aussi un cercle vicieux des crises démographiques : l’insécurité économique générale qu’elles entraînent (la faiblesse des pensions de retraite du futur) a tendance également à faire baisser le taux de natalité national. 

Certaines initiatives gouvernementales ont tenté de profiter de l’insatisfaction individuelle face aux pressions sociales existantes pour revitaliser les régions rurales les plus durement touchées par l’implosion démographique du Japon. Cela a nécessité un changement dans le concept dominant de réussite sociale (la vie de bureau) loin des emplois exigeants des zones urbaines considérées comme prestigieuses. Mais les politiques qui mettent l’accent sur les actions individuelles comme solution masquent la responsabilité du gouvernement dans la création d’un fossé socio-économique aussi profond entre les régions périphériques et les centres urbains (là encore on retrouve une grande similitude avec le modèle français).

Une décision de la Cour suprême du Japon de juin 2021 vient confirmer une loi obligeant les couples mariés à partager un nom de famille – une loi soit dit en passant totalement originale,  qu’aucun autre pays au monde n’a institué, le mouvement étant plutôt inverse d’adopter et d’accoler les deux noms des époux. La loi a suscité des réactions inattendues et est devenue  impopulaire. L’opinion publique aujourd’hui totalement en faveur du mariage homosexuel (résultat de la propagande LGBT chez les adolescents ?) diffère également de la position straigt du gouvernement mais bien que les unions homosexuelles soient reconnues dans certains contextes, l’adoption est toujours hors de question pour les couples homosexuels. Le Japon n’autorise encore qu’un seul type de famille.

Gay Pride àTokyo

On vient donc de voit par notre trois contributions que la crise démographique pose toujours un défi provocateur aux définitions de ce qu’est une société et une économie saines. Le « déclin » démographique, malthusien considéré comme la meilleure option pour atténuer le coût écologique de la société de croissance est critiquable. Certains observateurs écologistes  japonais ont tenté de porter un regard positif sur le déclin démographique, en particulier en insistant sur le renouveau des zones rurales mais il demeure difficile de savoir combien de régions en déclin ont pu au Japon reproduire les quelques réussites célèbres du rajeunissement rural. 

Du coup inévitablement, en plus de la migration des zones urbaines vers les zones rurales, le Japon devra faire face à l’immigration. De nombreux arguments pro-natalistes ont qualifié l’augmentation de l’immigration d’impossible en raison de son impopularité, mais les sondages d’opinion montrent que la population japonaise ne serait plus catégoriquement opposée à l’immigration ou aux immigrés. Mais on le sait plus que tout par l’exemple catastrophique français, si l’immigration atténue effectivement les pénuries de main-d’œuvre à court terme, elle remet en question très vite l’identité d’un peuple et, pour être durable, elle nécessite une planification stricte, une rigueur politique implacable. Vu chez nous par des patrons prédateurs, et par une élite politique arrogante comme la variable miraculeuse d’ajustement appropriée pour maintenir de bas salaires, l’immigration ne pouvait conduire en France qu’à ce que nous voyons tous les jours sous nos yeux avec toute l’inculture politique qui en découle.

La solution à la crise démographique française de demain devra alliée un peu plus d’imagination. Pour cela, les jeunes doivent acquérir plus de pouvoir.