RAYMOND MONTANER, LE GUERRIER JUSTE 1/2

Par Rémi VALAT-DONNIO

« Je n’ai jamais donné un ordre à mes hommes que je ne puisse exécuter moi-même! »

Le 19 octobre 2021, le lieutenant-colonel Raymond Montaner aurait eu cent ans. Étrange destin que celui de cet officier, né en Algérie, combattant de la France Libre, puis cadre de troupes supplétives en Indochine, en Algérie et à Paris et enfin grand ami des musulmans au Maroc. Fondateur de la première unité anti-terroriste digne de ce nom en France, il s’éteint à Villefranche-d’Albigeois le 7 janvier 2015, le jour même de l’attaque contre le siège de Charlie Hebdo, qui fit 11 victimes. Raymond, Joseph Montaner appartenait à une famille modeste catholique d’agriculteurs de Boufarik de quatre enfants. Il était le troisième né. Ses lointains ancêtres étaient probablement des Béarnais, son patronyme est l’éponyme d’un village se trouvant dans l’actuel département des Pyrénées-Atlantiques. Son destin s’est peut-être scellé sur les fonds baptismaux, car son prénom sonne comme un hommage à Ramon Muntaner (1265-1336). Ramon Muntaner était soldat et chroniqueur, il participa aux conquêtes méditerranéennes du roi de Catalogne à la tête de la Compagnie catalane, formée à partir de compagnies d’Almogavres. Ces milices avaient été créés au moment de la Reconquête de la péninsule ibérique, et une fois les Musulmans expulsés du continent européen, ils furent recrutés comme mercenaires ou agirent pour leurs comptes en différents points de la Méditerranée. Ces Almogavres acquirent leurs titres de noblesse pendant la Reconquista, époque durant laquelle ils étaient considérés comme les meilleurs combattants de la chrétienté : très mobiles et faiblement armés, ils pratiquaient la guérilla et étaient animés d’un esprit de corps particulier (femmes et enfants les suivaient en campagne et se battaient avec eux). Le situant d’emblée dans la continuité des relations entre l’Orient et l’Occident comme son homonyme catalan, Raymond Montaner se trouvera au cœur de l’Histoire, à la croisée des destins de la France, de l’Orient et du Maghreb.

Du Mont Cassin aux rizières de l’Indochine

Raymond Montaner est né et a grandi en Algérie. Pendant son enfance, il se familiarise naturellement avec la langue française et arabe, puis apprend l’espagnol sur les bancs de l’école publique. Son enfance sera endeuillée par la disparition prématurée de sa mère, départ qui créera des tensions entre le jeune homme et son père. En septembre 1939, la Seconde Guerre mondiale éclate en Europe. Raymond Montaner quitte le foyer familial et devance l’appel de quelques semaines. Il s’engage pour la durée de la guerre. Le 5 décembre, il rejoint le 3e régiment de spahis marocains à Meknès (Maroc). Pendant la phase de constitution du Corps expéditionnaire français (CEF) en Afrique du Nord, il se présente à l’école des aspirants de Cherchell, mais n’est pas reçu aux examens (novembre 1943). Il participe ensuite aux campagnes du CEF en Italie, en particulier aux opérations de débordement du Mont Cassin en mai 1944, puis sera blessé près de Lecci, le 9 juillet 1944. Avec la 1ère Armée de De Lattre de Tassigny, il se bat vaillamment en Provence, en Alsace et en Allemagne (il est alors chef de char).

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La guerre aussitôt terminée, il entame une formation d’élève officier à Coëtquidan, mais l’interrompt abruptement pour partir en Indochine (il y fera trois séjours). Il est alors incorporé au 2e régiment de spahis marocains en qualité de chef de peloton blindé, commandant en charge du secteur de Vinh-Kim (1947). Après une permission en Algérie, il demande à faire un séjour supplémentaire en Indochine (1951). Il retourne à son précédent poste, puis il est réaffecté  au secteur de May Phop, puis de Camau. Entre 1954 et 1955, il reçoit le commandement des forces supplétives de la zone militaire de l’Est de l’Indochine et participe à l’intégration de 2 000 combattants indochinois ayant passé par les rangs de l’armée française. La période 1939-1955 est fondamentale pour comprendre la personnalité du jeune officier. Les nombreuses citations acquises sous le feu de l’ennemi témoignent d’un caractère bien forgé et de qualités militaires et humaines exceptionnelles. Son courage et son sang froid sont déjà soulignés par ses supérieurs. Par ailleurs, il se distingue comme un meneur d’hommes ayant une expérience des unités supplétives. Le parcours de Raymond Montaner est celui d’un soldat sorti du rang ; sa formation théorique est vraisemblablement inférieure à celle d’un officier ayant intégré les grandes écoles militaires, mais cette carence qu’il comblera est suppléée par son expérience de la guerre. L’Indochine a été un cap important dans sa vie militaire et personnelle, il y découvre les implications de la guerre psychologique dans les conflits de la Décolonisation et, surtout, connaît à l’instar de ses compagnons d’armes, l’humiliation de la défaite militaire et ce que bon nombre de soldats engagés dans ce conflit considère comme l’abandon de l’Indochine (quelques-uns des soldats et officiers qu’il aura formé seront exécutés par le Viêt Minh). Si Raymond Montaner a beaucoup apprécié la liberté d’action que lui offrait son commandement (la guerre d’Indochine était une « guerre de lieutenants » ne l’oublions pas). ce conflit est resté pour lui de loin le plus traumatisant. En particulier, l’extrême brutalité de ses hommes qu’il peinait parfois à contrôler, oublieux des règles morales de la guerre et ne faisant pas de prisonniers.

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