par Franck BULEUX
Après l’armée et la police, institutions emblématiques et dignes de respect – par les honnêtes gens – du pouvoir régalien, va-t-on voir les préfets se manifester contre le pouvoir ?
En effet, le symbole de la représentation de l’État à la tête des collectivités territoriales vient d’être mis à mal : le corps spécifique et identifié des préfets va être supprimé comme l’a annoncé récemment le Premier ministre Jean Castex. Deux cents ans après la disparition de l’Empereur, à l’origine de la création de ce corps, cette décision de l’exécutif a une haute portée, celle de la remise en cause de l’organisation territoriale française.
Selon l’expression malheureuse du président Macron, il y a comme un parfum de « déconstruction » qui, dans notre époque de délitement du commun, après un an d’une crise sanitaire où l’État a montré d’inquiétantes limites, paraît curieusement à contretemps. Toucher à la préfectorale, clé de voûte de l’État, c’est risquer de fragiliser l’édifice tout entier et cette réforme n’est pas liée à une préoccupation décentralisatrice, loin de là !
Ce changement, je cite, « doit permettre de mieux recruter, former et accompagner les cadres supérieurs de l’État dans la diversité de leurs fonctions et métiers. Il n’est donc pas question que cette réforme puisse porter atteinte à la fonction préfectorale, à ses spécificités et à son attractivité », précise l’entourage de Jean Castex. Elle « doit permettre, au travers de la création d’un corps unique des administrateurs de l’État, de favoriser des parcours plus ouverts et moins cloisonnés, mieux suivis et régulièrement évalués tout au long de la carrière ».
Déjà, il existait hors du corps, des préfets « hors cadres ». Un préfet hors cadre n’était rattaché à aucun territoire spécifique. Il était un « préfet sans préfecture », en quelque sorte, puisqu’il avait la charge d’une « mission » particulière confiée par le gouvernement. Mais il bénéficiait toutefois des avantages accordés aux membres de la « préfectorale », dont le traitement. Fonctionnaire, il avait la sécurité de l’emploi et ne pouvait donc pas être licencié si une nouvelle majorité arrivait au pouvoir. Le ministre socialiste de l’Intérieur Bernard Cazeneuve avait modifié le statut des préfets pour supprimer la position hors cadre et la remplacer par le statut de préfet en mission de service public pour le gouvernement, ce qui revient, peu ou prou, au même. Ce statut spécifique permet un recrutement « hors corps ».
À un an de la présidentielle, alors qu’il est très attaqué sur le régalien, Emmanuel Macron prend un vrai risque en s’attaquant à « la colonne vertébrale de l’État », la Préfectorale, qui l’a véritablement sauvé pendant la crise des « Gilets jaunes », mobilisant les forces de l’ordre pour sauvegarder le pouvoir.
On peut critiquer la fonction de préfet, qui, elle, de toute façon, ne sera pas modifiée mais ici, le but est purement politique, celui de nommer des « présidents de conseils régionaux » ou des « présidents de conseils départementaux » bis. Les élections territoriales ne sont pas favorables aux candidats (quand il y en a…) estampillés La République en marche (LREM), aussi le couple exécutif, plutôt que de s’appuyer sur un corps insuffisamment politisé, préfère élargir le spectre des possibilités de nomination.
On peut penser que ces nouvelles règles permettront à nos dirigeants de reclasser les anciens parlementaires battus par le suffrage universel. Ainsi, le préfet deviendra, encore plus qu’il ne semble l’être, le représentant du pouvoir plus que de l’État. Cette modification peut sembler sans incidence, elle en a pourtant une, et d’importance : celle de substituer l’autorité au pouvoir. L’autorité d’un corps va laisser la place au pouvoir politique, celui qui n’a qu’un but, se maintenir par tous moyens en éliminant ses adversaires.
Le réformateur, tel que se présente Macron, n’est qu’un prestidigitateur : supprimer l’ENA puis le corps préfectoral pour y substituer des hommes et des femmes dévoués. Il suffit d’écouter les journalistes, excepté CNews, pour comprendre ce qu’est un État qui verse dans un système totalitaire, fut-il démocratique par principe.
Un corps, ou un ordre, n’est pas une conception négative dans une société : il s’agit de personnes définies par une certaine compétence et des aptitudes pour exercer une activité. Pour mettre fin à la Révolution française, purement individualiste, Napoléon a su restaurer un certain nombre de structures appelées corps ou ordres.
Les hommes et les femmes ne sont pas interchangeables dans une société que l’on pourrait comparer à une ruche. Chacun a une fonction, qui s’harmonise avec celles des autres, permettant une symbiose sociale. La politique de l’exécutif, appuyé par une mandature-croupion issue de la réforme absurde du quinquennat, repose sur un seul mot, celui de la « diversité ». On comprend la portée de ce terme : il sera donc opportun de récompenser tel ou tel citoyen en le nommant préfet de la République ! Mais la République n’a pas besoin de prébendiers !
Lorsqu’un homme n’a qu’un seul mot à la bouche, celui de la « réforme », il faut s’attendre au pire. C’est la fonction du préfet qu’il est possible, et probablement souhaitable, de réviser dans le cadre d’une politique de décentralisation, pas son recrutement.
La « réforme » a un synonyme, celui de « déconstruction ». La force de la France fut longtemps sa pérennité dans le temps et l’espace. L’espace s’est rétréci, le temps commence à lui être compté.