Par Franck BULEUX
L’élection présidentielle au suffrage universel direct, depuis la réforme constitutionnelle de 1962 votée par référendum, a apporté un certain paradoxe : l’incarnation d’un homme (ou d’une femme, mais si cela ne s’est jamais produit à ce jour) versus la désincarnation des territoires vis-à-vis de l’exécutif élyséen.
La réforme de 1962 visait, in fine, à ce que la France s’incarne dans une personnalité transcendante, qui rassemblerait une large et solide majorité de Français. Bien évidemment, l’initiateur de cette réforme, De Gaulle, pensait alors que cette personne, lui-même, saurait rassembler. « Deux Français sur trois » était l’objectif de Giscard d’Estaing.
Or, dès 1965, cette réforme montra ses limites, le candidat « officiel », le sortant, « celui qui ne pouvait pas perdre » et qui devait même être réélu dès le premier tour, plafonna à 55 % au second tour face au candidat de l’union des gauches, rassemblant pour l’occasion d’autres électorats, classés plus à droite, notamment du fait de la perte programmée de l’Algérie française.
Ainsi, au lieu de réunir, l’élection présidentielle devenait le combat d’un camp contre un autre, scindant clairement la France en deux. Il n’était déjà plus question d’un homme providentiel, connecté avec le peuple, mais d’établir la confiance, comme les médias le rapportent de « la moitié des Français plus un ». Dans cette locution, ce qui importe, c’est le « plus un », celui qu’il faut convaincre, même et surtout s’il n’est pas de notre camp initialement. Le combat présidentiel devient « la mère des batailles », celle de l’affrontement ultime. Souvenez-nous des à peine 51 % de Giscard d’Estaing contre Mitterrand en 1974 et des presque 52 % de Mitterrand face au même Giscard en 1981. Les 53 % des Chirac en 1995 et Sarkozy en 2007 face, respectivement, aux socialistes Lionel Jospin et Ségolène Royal et les 52 % de Hollande contre le sortant Sarkozy en 2012 furent des scrutins de haute lutte.
L’écart s’est parfois élargi lorsque les deux protagonistes paraissaient politiquement proches (Pompidou 58 % face à Poher en 1969) ou, au contraire, éloignés par le fait du phénomène médiatique de la diabolisation politique (les 82 % de Chirac face à Jean-Marie Le Pen en 2002) et, dans une moindre mesure, la persistance du « cordon sanitaire contre l’extrême droite » en 2017 avec un Macron qui culmine à 66 % contre 34 % à Marine Le Pen.
Mais, quoi qu’il en soit, l’élection présidentielle n’est pas synonyme de concorde et d’apaisement. Des « diamants » collés sur les yeux de Giscard en 1981, pour lui rappeler les cadeaux de Bokassa, potentat centrafricain, à son profit jusqu’à la honteuse et ridicule campagne anti-Le Pen de 2002, mettant des centaines de milliers de citoyens dans la rue « contre le fascisme » entre les deux tours et l’utilisation de procédés contraire à l’esprit démocratique, y compris le jour de vote (des pédiluves pour se désinfecter dans certaines communes de gauche…), la lutte pour le pouvoir a fait fi de l’unité nationale.
Et ce clivage n’a pas entraîné, loin de là, l’incarnation des territoires dans la fonction présidentielle. Souvenons-nous, avant 1965 (première élection au suffrage universel), le président de la République était élu… par les élus municipaux, départementaux et nationaux, établissant ainsi le lien organique entre le peuple, via ses représentants, et la nation-France, constituée de plus de 35 000 communes. La réforme constitutionnelle a brisé ce lien. Dont acte.
Et les candidats l’ont compris. Lors d’un récent débat sur TVLibertés, dans l’émission « Synthèse » animée par Roland Hélie et Philippe Randa, je rappelais le fait que De Gaulle, avant 1965, n’avait pas participé à des joutes électorales : ni maire, ni conseiller général (devenu conseiller départemental), ni même député. Né à Lille, retiré en Haute-Marne, De Gaulle souhaitait incarner la France, comme une entité globale et non comme une patrie charnelle. Il ne pouvait pas se contenter d’un mandat local, ni même d’un mandat parlementaire.
Cette disposition verticale, du haut vers le bas, se ressent encore et toujours. Emmanuel Macron n’a jamais brigué le moindre siège de conseiller municipal de la plus modeste commune de France. Venu du monde de la finance, subsidiairement ministre (socialiste) de Hollande, il est devenu, en quelques mois, l’homme qui, avec 24 % des suffrages exprimés (merci, notamment, au Canard enchaîné pour la déstabilisation, arrivée à point nommé, de François Fillon [mais surtout n’oublions pas la « balance » et l’instigateur du « coup » à savoir le droitard Castex, actuel premier ministre et véritable instigateur en coulisses et sur ordre de Juppé de la dénonciation programmée des affres de Fillon d’où son poste de récompense actuel, en bon renvoi d’ascenseur ! ; NdR] est devenu le « meilleur » des candidats qui refusait l’extrême droite. Ni plus, ni moins et sans défilé massif entre les deux tours.
De passage au Touquet (le Pas-de-Calais fut un des rares départements à voter Marine Le Pen au second tour de la présidentielle, avec 52 %, ce qui prouve son absence totale d’ancrage), né à Amiens, Macron est surtout Parisien. Paris, avec près de 90 % des suffrages exprimés en sa faveur, le lui rendra bien.
Giscard élu malgré un parti (la Fédération nationale des Républicains indépendants) peu implanté en 1974, Macron, lui, fut même élu sans le soutien d’élus (à part les ralliements majoritairement venus du Parti socialiste).
Cette désincarnation des territoires semble persévérer : les candidats de La République en marche (LReM) font de plus en plus mauvaise figure dans les élections locales et Macron, malgré cela, reste le favori des sondages.
À droite, on ne peut pas dire que Marine Le Pen soit la candidate des élus locaux (le Rassemblement national devra encore batailler pour obtenir les 500 signatures pour valider sa candidature…) et l’hypothèse Zemmour est soutenu par… le maire d’Orange, ancien du FN et quelques autres élus locaux.
L’élection présidentielle a réussi à désincarner la fonction présidentielle des collectivités territoriales. Certes, ce n’est pas dramatique en soi mais cela nous porte à une réflexion plus profonde : le peu de cas que font Macron et sa majorité (sans assise territoriale) des élections locales est la conséquence de la nature institutionnelle de l’élection suprême.
Or, les circonstances font qu’il serait plus que temps que la France retrouve ses racines et, à travers elles, son identité plurielle, celle définie par des siècles de présence des populations. La représentation d’un président « hors sol » n’a de valeur que dans une société sans repères, l’incarnation d’un homme sans racines n’a finalement qu’une réalité, celle de la désincarnation nationale.
En ce sens et en rapport avec les tragiques évènements, Macron est bien le président désincarné d’une France sans repères.