Par Franck BULEUX
La campagne est lancée, elle sera rude, droite contre gauche comme avant l’intrusion du Front national (FN) dans le jeu politique, ou bien Front républicain contre nationaux, ou bien encore partisans de la mondialisation avancée contre les tenants de la souveraineté nationale. Une campagne ou l’énergie d’un combat comme des visions de la société qui s’opposent.
Vous vous souvenez, ces grands chapiteaux sous lesquelles, parfois sous la pluie battante et le froid, on allait acclamer ses représentants espérés au terme d’une campagne active, parfois agressive, y compris lors de collages d’affiches ou à l’entrée, ou à la sortie du rassemblement des partisans : coups de poing, coup de pieds, pire parfois… Se battre pour un leader, une campagne électorale « à la française ».
Le militant colle, surveille que ses affiches « tiennent », puis recolle au cas où, intimidé parfois, il passe une nuit blanche souvent, parfois deux… Pas de couvre-feu pour les militants. On termine la nuit pas un verre en s’appelant « camarades », une communauté de pensée naît, parfois une bande de copains.
Il y a aussi les débats télévisuels ou audiovisuels, de vraies prises de becs entre deux camps ou plus. Le soir, on débat autour de la table familiale, on se fâche parfois le temps d’une campagne. Trop d’immigrés en France ?… Oui, bien sûr, mais ne confondons pas les Européens et les populations qui ne souhaitent pas s’assimiler ou s’intégrer. Oui, enfin, moi, je pars d’un principe de nationalité. Eh bien pas moi…
On refait le monde, comment s’il était encore possible de le faire.

Le jour du vote, on s’apprête, on choisit « son » bulletin, le « bon », celui qui n’est pas tâché par le café chaud matinal, celui qui nous représente, celui que l’on ne confond pas avec la profession de foi. C’est dommage, il y a une grande photo du candidat, c’est plus frappant, plus évocateur. Oui, mais c’est écrit en bas « ceci n’est pas un bulletin de vote ». Au pire, il va falloir prendre plusieurs bulletins sur la table du bureau électoral devant l’instituteur Martin, celui que l’on a eu enfant. Le jeune homme n’aime pas cela car, prendre un bulletin trop à droite devant son instituteur, militant infatigable de gauche, va lui valoir les gros yeux. Bon, il faut prendre au moins deux bulletins, Mélenchon et Le Pen, ça passe ? Il ne sera pas dupe, l’instituteur Martin. Tant pis, c’est tellement impressionnant de voter… Et puis, c’est plus grisant qu’à distance, comme chez Biden.
Passer dans un isoloir, le fermer, passer devant le voisin Lambert, qui tient fermement l’urne, l’entourant de ses deux avant-bras. Tiens, il me sourit. Peut-être votons-nous de la même façon ? Qui sait ? Il m’inscrit d’office pour « dépouiller » le soir, à 18 h. La démocratie, cela a du bon, je vais savoir comment vote mon quartier. Est-il représentatif de la moyenne nationale ? Il ne faudra pas s’emballer, à 19 h, je ne connaîtrai d’une infime quote-part de la France. Ceux de ma rue… Mais c’est palpitant. Le jour du scrutin, je me suis retenu de ne pas déchirer les affiches des candidats autres que celui que je supporte… Les affiches sur les panneaux officiels, ça ne s’arrache pas sous peine de sanction pénale m’avait enseigné l’instituteur Martin. À vrai dire, il m’avait surpris, un jour, en train de gratter une affiche un jour de printemps pré-électoral. L’instituteur Martin ne plaisante pas avec la démocratie. Il n’admet pas simplement que des individus opposés à la démocratie se présentent. Il a fait une liste d’antidémocrates. C’est plus simple. Il a un don qui lui vient de ses propres lectures : il sait qui est démocrate et qui menace la démocratie. Ce n’est pas donner à tout le monde.
En ce jour de printemps, je sentais ce parfum électoral. La France, ce vieux pays démocratique, où il y a, à peu près, une élection chaque année.
J’avais, à vrai dire, un peu perdu la notion du temps, de la vie. Peut-être étais-je tombé amoureux ? J’avais rencontré une nymphe d’une très grande beauté et le temps suspendait son vol.
La porte ouverte du stade où j’avais déposé, déjà maintes fois, un bulletin de vote m’entraînait vers, pensais-je, un nouveau choix électoral. Un « deal » disent les Anglo-Saxons. Pourtant, étrangement, je n’avais pas aperçu les panneaux d’affichage officiels. Mais sans doute les tenants de l’écologie punitive avaient-ils réussi à supprimer la propagande exprimée sous la forme papier. Je ne sais pas. La campagne devait probablement se terminer, il était temps d’éliminer car choisir un candidat c’est d’abord éliminer les autres.
À peine entré dans ce lieu habituellement consacré aux prouesses sportives des écoliers, on me demande de m’identifier, ce qui semble logique.
À cet instant, j’ai ressenti un flottement, une espèce d’égarement de ma part (ou de la société). L’assesseur ressemblait à un professionnel de santé, il avait, comme un vieil instituteur républicain, une blouse. L’urne devenait un flacon, le stylo, une seringue. Il y avait bien une liste à émarger, mais pas d’isoloir. Certes, on me parlait de secret mais celui-ci était médical. Un secret médical à indiquer sur un éventuel laisser-passer.
La campagne électorale s’était muée en campagne vaccinale. En entrant dans ce lieu, il n’y avait plus de choix. Même pas la marque du laboratoire… Je suis ressorti. Je m’étais trompé de campagne. Moi, tant passionné par la politique, j’enviais à présent les abstentionnistes.
