LE CIRED HORS SOL OU QUAND trois « sachants » DERAILLENT !

Par Michel GAY

Trois chercheurs du Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (CIRED) ont publié dans Le Monde du 7 janvier 2021 une tribune intitulée « La fin de l’électricité nucléaire bon marché » dans lequel ils affirment qu’« un mix électrique majoritairement nucléaire n’est pas la meilleure option économique » et qu’il serait viable avec une majorité d’énergies renouvelables.

Ils appuient leurs affirmations militantes sur deux publications récentes dans des revues à comité de lecture et sur un modèle optimiste d’un système électrique en 2050. Mais leur validité est réfutée par un chercheur, directeur de recherche émérite au CNRS qui était associé au CIRED jusqu’en décembre 2020 (Dominique Finon).

Une réponse a été apportée par les auteurs de ces études.

Des comités de lecture imparfaits

La première publication dans « The Energy Journal » démontrerait qu’un mix 100% énergies renouvelables (EnR) serait non seulement faisable, mais économique par rapport au prix payé actuellement par les Français. Les auteurs ne se préoccupent pas des émissions de gaz à effet de serre (CO2) ce qui leur permet d’ignorer que d’autres études avec des technologies bas-carbone pilotables, dont le nucléaire, montrent des coûts d’ensemble deux à trois fois inférieurs à ceux d’un mix avec 100% d’EnR.

Leur seconde publication dans « Energy Economics » indique que le mix optimal compterait environ 25 % d’électricité nucléaire en 2050 si son coût de production était divisé par deux, ou même 0% s’il ne diminuait pas d’au moins 40 %…

Dans ces deux articles, les auteurs n’expliquent pas pourquoi ils trouvent des résultats différents de deux autres études connues sur le mix électrique à 80-100% d’EnR.

En effet :

1) l’étude de l’Agence de la transition écologique (ADEME de 2016), qui est pourtant également douteuse, trouve des coûts doubles,

2) et celle de l’étude conjointe de l’OCDE-AEN[1] et du MIT[2] de 2019 montre que, dans le meilleur des cas, la part optimale des EnR intermittentes (EnRI) par rapport au nouveau nucléaire est au maximum de 15% (voire nulle) avec les techniques connues de stockage. Au-delà, le surcoût devient de plus en plus important, atteignant 75% du coût du mix optimal pour 70% de part de production d’EnRI.

Ces différences de résultats s’expliquent par leur modèle supposant un important développement de technologies de stockage par méthanation, par pompage hydraulique (STEP) et par batteries Lithium-ion (Li-ion) aux performances très optimistes.

Leur modèle formalise aussi de façon erronée une technologie de stockage « d’électricité polyvalente » qui permet de résoudre les problèmes d’équilibrage (horaire, hebdomadaire et surtout inter saisonnier) dus à l’intermittence.

Ces hypothèses « hors sol » permettent de mettre pratiquement au même niveau les EnRI avec les technologies bas carbone pilotables, ce que les comités de lecture des deux revues précitées ne semblent pas avoir remarqué. Peut-être étaient-ils influencés par le biais culturel « vert » actuel qui incline à ne pas rechercher la source de résultats surprenants dès qu’ils sont favorables aux EnR, ou tout simplement trop pressés pour analyser des résultats obtenues sur un sujet complexe (l’économie des systèmes électriques avec EnRI).

De nombreuses revues scientifiques à comités de lecture ont été fondées ces dernières années pour répondre aux besoins de nouvelles communautés spécialisées dans les divers domaines de l’énergie et l’environnement.

Certains journaux publient plus de 10.000 pages d’articles par an sans être vraiment critiques sur certains sujets car il y a une injonction gouvernementale et sociétale de préparer du « 100% renouvelables », notamment en Allemagne. Que peuvent faire ces « relecteurs », sinon se mettre dans le cadre imposé par les « politiques » de leur pays ? Certains d’entre eux savent parfaitement, par exemple, que l’hydrogène « vert » pour le transport est une ineptie, mais s’ils le disent trop fort, ils partent aux oubliettes…

Des hypothèses extravagantes

Pour justifier ce que les auteurs souhaitent ardemment « démontrer », ils font des simulations avec des hypothèses extravagantes dans un modèle (accessible). Seuls quelques spécialistes vérifieront ces hypothèses absconses insérées dans des équations alambiquées. Finalement, ce qu’ils écrivent doctement a de grandes chances de passer auprès des grands medias et d’imprégner ainsi la majorité des esprits crédules des bienfaits des EnR et des abominations du nucléaire.

Les hypothèses retenues par les trois chercheurs du CIRED sont très optimistes (capacités des stockages, performance des EnRI sur l’année, consommation en 2050 plus basse qu’en 2020 malgré l’électrification des usages). Elles sont mêmes fantaisistes pour les coûts de l’éolien et du photovoltaïque.

Si elles étaient réalisables, alors il serait possible de répondre techniquement à la demande d’électricité en toute situation. Mais les coûts seraient beaucoup plus importants : les études de l’OCDE-AEN et ceux de l’ADEME de 2016 et ceux de 2018 montrent qu’ils seraient au moins doublés.

Bien entendu, les consommateurs et les contribuables paieraient la facture sans rechigner

Cette étrange étude du CIRED ne s’interroge pas sur le réalisme des hypothèses d’installation de 70 gigawatts (GW) d’éoliennes et de 111 GW de panneaux solaires photovoltaïques (qui auront une occuperont respectivement 10 000 km2 et 1000 km2). Elle ne doute pas non plus de la durée d’alimentation de la France en hiver (quelques heures ?) en l’absence de vent et de soleil avec 23 GW d’hydro-électricité et… 21 GW de batteries Li-ion. Ces dernières représentent plus d’un million de tonnes pour 3 jours de restitution en continu (150 GWh).

Un détournement militant d’un exercice scientifique

Les résultats économiques surprenants de cette étude par rapport à cinq autres études qui aboutissent à des coûts deux à trois fois plus élevés, n’ont pas amené leurs auteurs à s’interroger sur le modèle qu’ils utilisaient car ils correspondaient à des résultats conformes à leurs croyances. Ceci ne relève pas d’une démarche scientifique et apparaît in fine comme une démarche militante à visée médiatique et politique.

L’usage de ce type d’exercice orienté dont les résultats sont ensuite résumés par des messages simples à destination des grands médias complaisants pour diffuser des points de vue politiques pose certainement un problème de fonds. Un chercheur militant ne peut pas être un « scientifique » comme le souligne Dominique Finon. C’est navrant de la part de « chercheurs » du CIRED qui participent à la campagne des bien-pensants en faveur d’une vision écologiste totalitaire de l’énergie.

Les auteurs se sont engagés dans une croisade « pro-EnR » visant à l’élimination du nucléaire afin d’influencer les études officielles attendues en 2021, notamment :

1) l’étude conjointe du gestionnaire du réseau d’électricité (RTE) et de l’Agence internationale de l’énergie (AIE),

2) l’étude de l’ADEME sur la faisabilité et les conditions d’un mix électrique avec moins ou sans nucléaire. Et il est bien connu que la fonction de l’ADEME (dont l’âme est antinucléaire) consiste principalement à promouvoir les énergies vertes et l’efficacité énergétique… au point de prôner le 100% d’EnR.

Cette publication de trois « sachants » dans Le Monde du 7 janvier 2021 est une belle illustration de l’idéologie militante hostile au nucléaire qui remplace de plus en plus la pensée rationnelle et fait fi du rapport prudent à la réalité que tout scientifique doit avoir. Nous vivons une époque formidable où quelques « savants » (heureusement pas tous…) tiennent la main des citoyens européens pour les accompagner vers ce qui s’apparente à un suicide intellec


[1] OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Economiques

AEN : Agence pour l’Energie Nucléaire

[2] MIT : Massachusetts Institute of Technology