RUSSIE 2020 : QUE RETENIR ?

Par Michel LHOMME (adapté de Scipion de SALM)

Dans le bilan de l’année 2020, obnubilé par le coronavirus, les élections américaines truquées ou l’ « empoisonnement » du principal opposant russe,  peu auront relevé ce qui constitua pourtant pour la Russie un événement majeur du coup passé inaperçu à savoir la victoire de Vladimir Poutine au référendum constitutionnel qu’il avait annoncé en janvier 2020 et qu’il a toujours fidèle à sa parole d’honneur tenu.

Les Russes étaient donc invités à se prononcer directement sur une série de réformes substantielles de leur constitution actuellement en vigueur et adoptée par référendum en décembre 1993, à l’époque de Boris Eltsine. En réalité et c’est pour cela que nous surprend le silence sur cette réforme constitutionnelle, ce qui a été entériné au début de l’été 2020 correspond en pratique à une nouvelle constitution, même si les choses, il est vrai n’ont jamais été présentées ainsi officiellement.

Ce référendum avait été repoussé plusieurs fois, du fait de l’opposition quelque peu bruyante de son propre parti Russie Unie à la Douma, puis de l’épidémie mondiale du coronavirus. Il a tout de même eu du 25 juin au 1er juillet, sur une semaine, sur un texte modifié par rapport au projet initial, dans un sens disons-le plus conservateur et patriotique russe, ce dont il y a tout lieu de se féliciter pour la Russie.

Le score de 78 % de “oui” avec 68 % de participation — 74 millions de votants pour 109 millions d’inscrits — paraît à la fois très poutinien, élevé tout de même mais en même temps, à peu près crédible.

Certes, les chiffres ont probablement été gonflés d’une dizaine de points dans les deux cas, tant pour la participation comme pour le score du “oui”, une évidence avec un vote là encore,  comme aux Etats-Unis par correspondance important, justifié par le coronavirus. Nonobstant, il reste tout à fait vraisemblable que cette constitution ait été approuvée par une majorité effective des électeurs du pays.

Les 21 % de “non”, que l’on estime ne nous cachons pas, un peu minorés, reflètent certainement quand même la somme des oppositions des libéraux inconciliables — que ce soit contre Poutine ou contre un texte conservateur —, des communistes sectaires, et surtout des minoritaires ethniques partisans d’une sécession immédiate de la Russie. Toutes les régions et républiques du pays ont voté “oui”, les campagnes russes, les petites villes, les grandes villes, les minorités ethniques — avec des scores parfois plus faibles —, et seul un district très peu peuplé de la zone arctique a voté “non”, celui des Nenets, vraisemblablement pour se faire remarquer du pouvoir central d’autant que pour les Nenets  il s’agissait aussi d’une action de protestation bien identifiée contre un projet de fusion avec la région voisine d’Arkhangelsk. En fait, les “non” furent fort minoritaires mais localement significatifs et donnent du coup de précieuses indications sur la situation interne de la Russie et ce, bien davantage que les “oui”.

Les “oui” correspondent en effet à un mélange difficile à distinguer de conviction réelle — certainement une majorité —, de clientélisme électoral — “bien” voter pour recevoir des crédits fédéraux —, de trucages et de fraudes purs et simples — problème réel dans certaines régions. Remarquons que le “non” l’avait quasiment emporté, autour de 45 %, dans la République de Sakha ou Yakoutie même si ça n’a pas été le cas au final dans le score officiel. Ce vote en Sakha correspond certainement à une volonté séparatiste persistante des populations turques yakoutes locales. Cette vaste république de Sibérie Orientale, plus proche de Pékin que de Moscou, de plus de 3,1 millions de kilomètres carrés, peuplée d’un million d’habitants, aux très importantes ressources naturelles ( charbon, diamant), a vu, sur les trente dernières années, les autochtones yakoutes devenir à nouveau majoritaires, du fait d’une forte natalité yakoute et d’une émigration massive des Russes, qui apprécient peu ce climat très froid l’hiver. Cet exemple de la République de Sakha, reste très significatif du danger structurel persistant d’éclatement de la Fédération de Russie, état multiethnique par définition. Il faudrait du coup évoquer ici le cas des régions ethniques musulmanes qui sont doublement  anti-russe, comme la Tchétchénie ou le Tatarstan, ou les “oui” massifs effectivement là sont plus que suspects (98 % en Tchétchénie) !

UNE CONSTITUTION LIBÉRALE RÉÉCRITE DANS UN SENS CONSERVATEUR

Revenons maintenant sur le fond de la constitution, son contenu.

Il avait été initialement question en janvier 2020 d’une réforme libérale de la constitution russe, renforçant les pouvoirs des républiques et des régions au sein de la fédération, la place du parlement dans l’exercice du pouvoir de l’Etat et son contrôle, mais permettant aussi au président Poutine d’être réélu encore plusieurs fois, précisément en 2024 et 2030, chose théoriquement impossible selon la constitution de 1993 en vigueur jusqu’à cet été, qui aurait imposé en l’état le départ du « tsar » en 2024. Le message lancé à l’origine avait donc été confus et contradictoire : un aménagement constitutionnel pour permettre à Poutine d’exercer une présidence à vie ! Immédiatement, les pseudo-démocraties occidentales s’étaient engouffré dans la critique de l’autoritarisme russe.

Il y avait bien un dilemme difficile à tenir pour le pouvoir politique russe : comment libéraliser quelque peu, décentraliser la vie politique russe tout en permettant des réélections à venir de Poutine, l’homme qui dirige d’une main de fer la Russie depuis 2000 ?

Le parti de Poutine, Russie Unie, jusque-là fan-club inconditionnel du président russe émettait très vite quelques réserves : une constitution vraiment libérale serait-elle adaptée à la Russie, et en particulier en cas de disparition de Poutine ?

Le chef d’Etat russe, en bonne forme, n’est plus tout jeune — il est né en 1952 —, et n’est certainement pas immortel. Or, il n’y a pas de dauphin désigné, de successeur visible ; Poutine a sans doute à tort – on songe à la catastrophe de la transition franquiste en Espagne – probablement veillé à ce qu’aucune relève évidente n’existe à ce jour.

Alors la Russie aurait-elle vraiment besoin d’une constitution libérale qui entraînerait de fait une menace de disparition pure et simple de la Russie par éclatement ?  Une telle  crainte reste crédible en soi, dans l’hypothèse d’une faiblesse du pouvoir central, dans un pays immense, le plus étendu du monde avec seulement 80 % au mieux de Russes ethniques ou assimilés. Aussi, le parlement russe a-t-il effectué son travail. Des centaines d’amendements — 206 ! — ont été adoptés de façon conforme par les deux chambres, la Douma et le Conseil de la Fédération, toutes deux dominées par Russie Unie, modifiant considérablement le texte initial. On peut d’ailleurs se demander si tout cela n’aurait pas été une comédie politique, prévue dès l’origine : le président Poutine n’aurait-il pas voulu présenter l’image d’un grand libéral, contraint, à son corps défendant, par son parlement, mais respectant en bon libéral le parlement et ses prérogatives, de promulguer un texte conservateur ?

Mais est-ce une bonne constitution pour la Russie ?

Oui. La Russie dispose d’une constitution authentiquement conservatrice, invoquant Dieu, défendant la famille — et définissant le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme —, posant le principe du rôle essentiel du peuple russe ethnique en Russie tout en respectant les minorités historiques, mais leur refusant comme il se doit un pied d’égalité stricte, définissant enfin l’existence d’un salaire minimal pour les travailleurs. La vie est défendue, ce qui devrait amener à la restriction de la législation sur l’avortement, où subsiste une scandaleuse permissivité totale issue de l’ère soviétique.

Poutine, en vrai patriote, a beaucoup fait pour son pays. La Russie demeure – ce n’était pas évident en 2000, elle aurait pu parfaitement éclater ! – elle s’est agrandi de la Crimée en 2014, s’est affirmé sur la scène internationale, en particulier en Syrie et on l’a vu (récemment) dans le Haut-Karabagh (Cette nouvelle constitution est donc à ajouter à l’actif de son bilan.

Reste la question en suspens des Russes du Nord-Kazakstan sous la tutelle kazakhe, le conflit du Donbass gelé depuis février 2015, et le péril musulman quelque peu ignoré. Car l’Islam comme ailleurs reste des plus dangereux pour l’avenir de la Russie, avec des ethnies minoritaires musulmanes à la démographie prolifique — contrairement hélas aux Russes ethniques —, une augmentation numérique constante aggravée encore par une immigration régulière et importante, légale ou non, provenant d’Asie Centrale post-soviétique.  Plus de 15 % aujourd’hui, autant qu’en France, ils seront 30 % demain, ce qui sera ingérable, et, par hypothèse, si cela continue, les musulmans seront majoritaires en Russie vers 2060.

Le danger d’un Grand Remplacement musulman en Russie existe donc aussi comme en France et hélas, pour la Russie reste ignoré, à la soviétique, alors qu’il sera une menace terrible dans les années 2030-2040. Cet « oubli » sera peut-être la faille des années Poutine mais il est vrai que faut-il faire face à la démographie ?

Il y aurait enfin beaucoup à dire aussi sur la réécriture de l’Histoire nationale présentant Staline, le criminel de masse communiste géorgien, comme un très grand patriote russe, mensonge historique officiel énorme, devenue croyance quasi-obligatoire désormais. On relèvera ici un article inquiétant de la nouvelle constitution russe assurant vouloir défendre la « vérité historique », ce qui pour un Français prend des résonances sinistres comme imitation des lois Pleven et Gayssot.

Source : adapté de l’article de Scipion de SALM, dans Rivarol du 29 juillet, n°3435.