COMMENT LA DEMOGRAPHIE BOULEVERSE LE MONDE ? 1/2

Par Yves MONTENAY

Qu’est-ce que la démographie ? Commençons par un petit rappel étymologique : si la démocratie c’est le pouvoir du peuple, la démographie, c’est écrire (graphie) les peuples, c’est-à-dire les décrire. Les compter d’abord, globalement puis par tranche d’âge. Et, en principe aller plus loin : étudier les langues, les races etc. mais sur ce point on se heurte souvent à des obstacles politiques.

Alfred Sauvy, père de la démographie

Que sais-je : La démographie par Alfred Sauvy

Reprenons l’illustration d’Alfred Sauvy (1898-1990) : « la démographie c’est très simple : c’est constater qu’un enfant de 9 ans en aura 10 l’année suivante. Mais c’est tellement simple qu’on n’y fait pas attention ».

Alfred Sauvy est le père de la démographie opérationnelle en France et probablement dans le monde entier, bien que la deuxième guerre mondiale ait mis en avant les démographes américains. J’ai travaillé avec Sauvy à la fin de sa vie lorsqu’il était au Collège de France, institut accueillant des personnalités non universitaires. Avec Gérard François Dumont, nous avons aidé au fonctionnement de sa chaire lorsque sa santé a décliné.

Alfred Sauvy était en effet un polytechnicien, donc un matheux non-universitaire. Il est à l’origine de la création de l’INSEE et de l’INED (Institut National d’Etudes Démographiques), suite au constat que les gouvernants, à l’époque du Front populaire, n’avaient aucun chiffre à leur disposition tant en économie qu’en démographie.

Des évolutions lentes

La démographie, ça devrait servir à prévoir.

Une population qui augmente de 2 % par an, ça ne dit pas grand-chose au grand public ? Et pourtant cette évolution apparemment faible bouleverse totalement une nation : la population est multipliée par 8 en un siècle, par 40 en 2 siècles.

C’est par exemple le cas de l’Égypte qui comptait 2,5 millions d’habitants d’après le recensement lancé par Napoléon en 1800 et qui a maintenant 100 millions d’habitants.

pyramide des ages egypte 2019

Si la France avait suivi la même évolution en même temps nous serions bien plus de 800 millions…

Or, en général, la puissance économique et militaire d’un pays est liée à sa population, si le gouvernement est sérieux. « Puissance » pouvant s’entendre au sens positif courant, mais aussi à celui de « capacité de nuisance » ou de « problème ingérable ».

6,3 enfants par femme : la population triple à chaque génération

Notez qu’à 6,3 enfants par femme, soit le triple nécessaire pour le simple renouvellement (2,1 enfants par femme), chaque génération est le triple de la précédente, à mortalité constante… or la mortalité diminue et il y aura trois fois plus de parents, donc beaucoup d’enfants, même si la fécondité baisse. Il faudrait qu’elle soit divisée par trois pour que le nombre d’enfants reste constant et la population continuerait néanmoins à augmenter au fur et à mesure du vieillissement des parents.

Ce triplement à chaque génération était le cas général en Afrique il y a peu, et reste encore vrai dans certains pays.

1,4 enfants par femme : la population diminue de moitié en 2 générations

Voyons maintenant ce qui se passe en cas de faible fécondité, par exemple à 1,4 enfants par femme au lieu de 2,1, c’est à dire ce qui est aujourd’hui le cas fréquent en Europe et en Asie.

Les générations ne sont alors remplacées qu’aux deux tiers et donc diminuent de plus de moitié (2/3×2/3) en deux générations … et ce problème démographique est aggravé par le fait que ces générations creuses doivent supporter un nombre disproportionné de « vieux », nés à l’époque où les générations étaient plus importantes.

Des évolutions irréversibles

Or ces évolutions sont pratiquement irréversibles : au « Nord », où la fécondité est basse, il y aura moins de parents une génération plus tard, faisant donc mathématiquement encore moins d’enfants, et il faudrait que la fécondité remonte énormément pour revenir à l’état antérieur. Et cela seulement pour les enfants de moins d’un an. Pour que la population active se reconstitue un peu, il faudrait que cette plus forte fécondité dure 20 ans, et même 65 ans pour reconstituer complètement cette population active.

La basse fécondité, et la diminution corrélative de la population active a d’importantes conséquences… il ne s’agit pas seulement d’économie, mais de puissance militaire et de capacité à nourrir les vieux … ou à assimiler des immigrants qu’on aura bien été obligé de faire venir !

C’est en gros le cas de l’Allemagne et de bien d’autres pays où ce problème devient aigu.

En fait la situation est encore pire car non seulement « les vieux » sont mathématiquement plus nombreux à mortalité constante, mais en fait ils le sont encore plus du fait de l’augmentation de la durée de la vie. Et, quel que soit le système de retraite, ce sont les jeunes qui nourrissent les vieux.

https://www.yvesmontenay.fr/2019/08/06/la-retraite-par-capitalisation-peut-elle-vraiment-saffranchir-de-la-demographie/embed/#?secret=I0FEyjf7sj Le cas de l’Allemagne

On comprend donc pourquoi une partie de la population allemande est partisan d’une forte immigration, à commencer par les chefs d’entreprise, qui sont les premiers à voir leur main-d’œuvre diminuer et vieillir.

Bien sûr cette idée se heurte au fait qu’une autre partie de la population est choquée par la différence de culture avec les nouveaux arrivants.

En tout cas, même en mettant de côté l’immigration musulmane à laquelle je viens de faire allusion, l’Allemagne ne tient que grâce à un afflux d’immigrés, d’abord de Russes d’origine allemande après la chute du mur, puis d’Italiens et de citoyens de l’Europe de l’Est et des Balkans. Ce qui ne fait qu’aggraver la situation déjà catastrophique de ces pays.

L’Europe est globalement dans la même situation, même si certains pays comme la France ou la Grande-Bretagne se portent moins mal.

La « transition démographique », un modèle américain dépassé

Pendant que les démographes français, des pionniers mondiaux, quittaient la scène internationale du fait de la deuxième guerre mondiale, les Américains ont inventé « la transition démographique ».

Cette dernière est définie par l’INED comme « le passage d’un régime traditionnel où la natalité et la mortalité sont élevées et s’équilibrent à peu près, à un régime où la natalité et la mortalité sont faibles et s’équilibrent également ».

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Selon ce schéma, la mortalité décroît rapidement avec la modernisation, alors que la fécondité ne baisse que progressivement. La population croit donc rapidement dans un premier temps et dans un deuxième temps, elle cesse d’augmenter lorsque la fécondité atteint 2,1, niveau auquel elle est censée rester. Les projections de l’ONU ont longtemps été faites sur ce modèle.

Les démographes français de l’avant-guerre ne voyaient aucune raison pour laquelle la fécondité ne baisserait plus à partir de 2,1 et parlaient d’un « régime démographique moderne » où les populations finiraient par diminuer continûment.

La fin du 20e siècle et le début du 21e leur a donné raison, et l’ONU a fini par en tenir compte.

(A suivre)

Document : Sarkozy au Medef : la surpopulation mondiale