CHARLIE COMME MODELE ?

Par Franck BULEUX

Depuis l’odieux attentat de janvier 2015, il est de bon ton de citer Charlie-hebdo comme modèle de résistance à l’hydre islamiste et symbole, tel une référence absolue, de la liberté d’opinion et d’expression.

Certains enseignants utilisent même cet hebdomadaire comme « manuel scolaire » puisqu’il prétend être (cet « hebdo ») le vecteur de l’opinion française libre.

On peut donc penser, sans crainte, que chaque établissement scolaire devrait s’abonner à cette revue. « Mourir pour Charlie » restant le sacrifice suprême. Le « bourgeois bohême » en achetant Charlie hebdo, chaque mercredi, devient le parangon de l’expression libertaire contre l’ordre religieux.

En matière de religion d’ailleurs, Charlie est resté sur des opinions bien arrêtées. Dans son récent numéro du 30 décembre 2020, on découvre un dessin d’une rare obscénité : on y reconnaît un prêtre en soutane en train de « réduire au silence » un enfant de chœur de la façon la plus abjecte qui soit. Et la légende accompagnant ce dessin indique : « encore un qui voudrait bien que les enfants de chœur fassent vœu de silence ».

En s’interrogeant quelques instants, tout en regrettant cette image ignoble (mais il s’agit de la liberté d’expression…), on essaie de se faire une raison : Charlie lutte contre la pédophilie. Certes, il prend un Père de l’Église catholique comme instrument mais (on peut rêver) cela aurait pu être un imam, un instituteur, un éducateur sportif… Probablement.

Alors, on se plonge dans la lecture de Charlie. Charlie n’est pas né en janvier 2015 comme la plupart des hérauts de la liberté d’expression le pensent.

Les plus jeunes d’entre vous (tout en ayant déjà un certain âge) me diront : il y avait Patrick Font, ancien instituteur et chroniqueur du journal satirique, qui avait été condamné en mars 1998 à six ans de prison pour « attouchements sur mineurs » dans un cadre institutionnel, commis sur des jeunes filles élèves dans son établissement ouvert à la rentrée 1994, une école parallèle de formation au spectacle. L’école, la mal nommée (sic) s’appelait « Marie Pantalon ». Font s’est notamment illustré, sur scène, en compagnie de Philippe Val, longtemps rédacteur en chef de Charlie, mais ce dernier, malgré les nombreuses représentations réalisées ensemble, ne se doutait de rien. Vous savez, ce fameux « silence » dont parle Charlie du 30 décembre. Philippe Val, qui a dirigé France-Inter (nommé sous le quinquennat du très droitier Sarkozy), était en quelque sorte un « enfant de chœur ». Bon, admettons, Font est décédé en 2018 et il ne répandait pas ses goûts sexuels dans Charlie. C’était un chroniqueur, simple mais vigoureux chroniqueur.

Pourtant, si on lit un peu plus Charlie, on retrouve, dans la seconde partie des années 1970, une journaliste, Victoria Thérame. Cette dernière chroniquait (aussi) régulièrement dans Charlie (dans L’Humanité aussi…) et le 27 janvier 1977 elle écrit un article, intitulé Mœurs, pour soutenir les 3 accusés d’attentat à la pudeur sur mineurs de moins de 15 ans dans l’affaire dite de Versailles. La Cour d’assises des Yvelines les a d’ailleurs condamnés à cinq ans de prison, dont une partie avec sursis.

En voici le texte in extenso :

« Si vous aimez les petites filles et les petits garçons quand ils ont encore le cartable dans le dos, si vous les suivez dans la rue, si, eux, vous regardent, vous attendent à la station du bus, s’ils viennent s’asseoir juste en face de vous, s’ils frôlent vos genoux comme par mégarde mais ne s’excusent pas, si vous les retrouvez à la sortie de l’école, si vous leur parlez, s’ils viennent dans votre chambre, si vous découvrez les ciels de cuisses tendres et sans duvet, leur trouble et le vôtre, quand ils vous disent « tu » et êtes leur ami-confiance, leur ami-plénitude, si vous allez ensemble au bois, à la clairière, derrière les volets où la lumière filtre à point, si vous les photographiez pour prolonger la vie, pour la fixer, parce qu’elle est fugitive et trop courte et que vous êtes trop amoureux, allez défendre Bernard Dejager, Jean-Claude Gallien et Jean Burckardt, emprisonnés depuis trois ans, qui passent devant la cour d’Assises de Versailles les 27, 28 et 29 janvier à 13 h et risquent cinq à dix ans de réclusion criminelle pour amour à enfants. »

Les émois de l’ultra gauche ne valent guère mieux que celles de la gauche sociale-démocrate. Au-delà de ce procès criminel, le quotidien de référence Le Monde publie le 23 mai 1977 dans ses pages « Opinion » une « Lettre ouverte à la Commission de révision du Code pénal pour la révision de certains textes régissant les rapports entre adultes et mineurs », lettre envoyée par 80 personnalités et intellectuels au Parlement français. Dans la liste des 80 noms, il y avait, notamment, la journaliste de Charlie. Mais avant cette « lettre », peu avant le procès de Versailles, une pétition circulait, soulignant que « Trois ans de prison pour des caresses et des baisers, cela suffit. Nous ne comprendrions pas que le 29 janvier Dejager, Gallien et Burckhardt ne retrouvent pas leur liberté », Bernard Kouchner l’avait signée. Des deux mains. Vous me direz, Kouchner n’était pas chroniqueur dans Charlie. Non, mais aujourd’hui, il passe pour un « charlot ».