par Bernard PLOUVIER
« Les hommes se contredisent dans leurs mœurs et dans leurs lois »
« Voltaire », La philosophie de l’histoire (1765).
L’un des théoriciens du doute envisagé comme source de progrès scientifique, moral et philosophique, René Descartes, avait écrit très justement, dans son Discours de la méthode pour bien conduire sa raison : « La multitude des lois fournit souvent des excuses aux vices ».
L’on imagine sans peine ce que seraient son indignation ou son sourire de pitié devant la relaxe de sordides canailles d’affaires et d’infâmes crapules criminelles pour raison de « vice de forme », une fioriture juridique grotesque, qui ne justifie en elle-même que la mise à l’écart de juristes ignares ou complaisants.
« Voltaire », fils de son époque – soit le reniement de l’absolutisme lors de la Régence et du règne très contrasté de Louis XV -, a émis un jugement tellement moderne qu’on le croirait visionnaire. C’est, en effet, une définition quasi-parfaite des lois des XXe et XXIe siècles – qui, certes, ne furent pas des Siècles de Lumières : « L’opinion fait les lois. Elles sont incertaines, insuffisantes et contradictoires… Ce qui rend les lois variables, fautives, inconséquentes, c’est qu’elles ont été presque toutes établies sur des besoins passagers, comme des remèdes appliqués au hasard, qui guérissent un malade et en tuent beaucoup d’autres ».
On a rarement mieux opposé que lui l’éthique individuelle, absolue et invariable, toutes époques et races confondues, et le droit, éminemment plastique, puisque soumis aux caprices de la puissance dominante, que dans son Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, de 1756 : « Tout ce qui est intimement lié à la nature humaine se ressemble d’un bout à l’autre du monde. Tout ce qui dépend de la coutume est différent et ne se ressemble que par l’effet du hasard ».
Un contemporain de la vieillesse de « Voltaire », l’abbé Ferdinando Galiani a introduit une notion qui était passée inaperçue avant lui, à savoir que si une société gagne en stabilité par un code de lois précis, elle perd en dynamisme : le triomphe des légistes aboutit à une sclérose du corps social. C’est vrai pour le mouvement des idées et des biens, lorsque des lois régissent la liberté d’expression et celle de fabriquer et de commercer.
La Justice a pour finalité de différencier l’ami de l’ennemi, en matières d’ordre public, de production et de jouissance des biens et des services. Est « ami » de la société qui est honnête et productif. En sont « ennemis», le voleur, l’escroc, le plagiaire, l’assassin, le violeur, le trublion politique ou religieux, le trafiquant d’objets de mort (stupéfiants ou armes).
Le trop célébré Carl Schmitt, rhéteur prolixe et peu inventif du XXe siècle, n’a fait que paraphraser dans son antithèse manichéenne l’une des rares phrases sensées du Contrat social de Rousseau : « Tout malfaiteur devient rebelle et traître à la patrie… Quand on fait mourir un coupable, c’est moins comme un mauvais citoyen que comme un ennemi de la société », une phrase que pourraient méditer les partisans de l’abolition de la peine de mort.
En effet, il est de bon ton depuis Cesare Beccaria, lui aussi du XVIIIe siècle, de disserter sur la proportionnalité du crime et de la peine. Mais comment punir l’assassinat, si l’on ne peut plus condamner à la peine de mort un homme qui a volontairement pris la vie d’autrui ? Comment se comporter face à des terroristes qui tuent des innocents – et parfois en grand nombre – ou commanditent ces meurtres prémédités ?
Tant que les citoyens de l’Europe actuelle n’auront pas répondu à ces questions et aux autres cas du même type (les narcotrafiquants sont des meurtriers potentiels à grande échelle), les sociétés européennes seront fragiles et instables, en plus d’être indignes de leurs grands ancêtres.
Critiquer la Police est proprement suicidaire pour une société. Qui abuse gravement de son autorité ou en trafique doit être chassé impitoyablement, c’est une évidence. Mais doit être respecté qui fait correctement son travail – et, en France envahie de millions d’indésirables, dont les rejetons sont trop souvent violents, malhonnêtes et incivils, l’exercice de ce travail est à la fois ingrat et usant.
Le policier défend l’intégrité des personnes et des biens des citoyens honnêtes et laborieux. C’est sa fonction première. Si, pour l’exercer, il doit faire preuve d’une violence légitime face à des voyous, face à des criminels endurcis, on doit accepter cette brutalité inhérente aux conditions de survie dans la faune sauvage.
En aucun cas, l’on ne doit prendre la défense de délinquants multirécidivistes et moins encore de criminels. Et jamais l’on n’aurait dû accepter la constitution dans nos villes de « zones de non-droit » : cela restera la honte de la Ve République française, agonisant dans l’abjection et la pourriture de ses soi-disant dirigeants et de ses majorités électorales imbéciles.
C’est le rôle des magistrats de Justice que de mettre hors d’état de nuire criminels et délinquants. Ce n’est pas le rôle des magistrats que d’orienter leur activité professionnelle par leurs choix politiques et moins encore par leur souci de carrière. Un magistrat partial ou soumis à ses pulsions et à ses ambitions est une honte pour un pays.
Enfin, qui, de nos jours, peut encore avoir confiance dans le personnel politique, fait de causeurs et de baladins, qui n’ont jamais exercé une profession utile à la collectivité avant de se proposer aux suffrages des électeurs ? Qui peut avoir confiance en des êtres dont la carrière ou l’enrichissement personnels, dont la gloriole sont les uniques objectifs de vie ?
Le grand « Voltaire », cité en exergue, avait raison : les Lois n’ont de force que si elles ont réellement une valeur normative durable, si elles ne sont pas des lois de circonstance créées pour flatter les puissants d’une époque, si, enfin, elles ne sont pas déformables à volonté par quelque démagogue de rencontre ou par quelque élu dont l’intérêt, personnel ou de parti, les module à volonté.
Nos mœurs politiques sont tellement pourries, dans le système « démocratique » actuel – qui est celui de la domination des puissances économiques et de la pure manipulation d’opinion publique -, qu’il est bon de rappeler cette triste évidence : Justice et Police ne sont pas des institutions au service d’individus dont nul homme d’honneur ne voudrait serrer la main. Justice et Police sont au service exclusif des contribuables qui forment la Nation, seul souverain légitime de l’État.