LE MASQUE COMME VERTU

par Franck BULEUX

En ces dernières heures de confinement obligatoire, j’écris « obligatoire » car il y aura des heures de confinement facultatif, pour mettre les Français face à leurs responsabilités, la technique de l’exécutif est ainsi prévue : pour les personnes âgées, pour les personnes dites à risque, il va falloir un confinement non plus exigé mais solidaire. Ce serait mieux pour les autres d’éviter toute sortie, d’ailleurs quel est le motif de votre sortie, dira le garde-chiourme (il y a des « brigades » sanitaires) en essayant de décrypter votre « auto-attestation », Ausweis devenu nécessaire, sacralisant ainsi la société numérique (l’imprimante ou le mobile avec téléchargement étant devenus des objets indispensables pour franchir la propre porte de son domicile.)

Ainsi va notre société libérale et libertaire, comme on pouvait la considérer jusqu’au 17 mars 2020.

Le Covid-19 permet donc la fondation de la société idéale, solidaire et responsable, c’est-à-dire sans pensée, ni envie individuelle qui viendrait contrarier le processus de la volonté unique qui, elle-même, se fonde sur un hygiénisme radical.

Depuis le 17 mars, je n’ai entendu aucun média (important) mettre en doute les décisions du couple exécutif Macron-Philippe, ou si vous préférez du couple politico-médical Véran-Salomon, de toute façon, il n’est plus possible de contester l’incontestable. Si vous n’intégrez pas le système de pensée global, vous serez considéré comme un mauvais citoyen.

La dernière passion, récente, du gouvernement et de la caste médicale, c’est le port du masque. On conjugue le masque chaque jour, il peut être chirurgical ou en tissus, payant ou pas… Je constate qu’après y avoir été opposé (tout simplement parce qu’il y avait pénurie), le gouvernement y est devenu plus que favorable. Désormais, le gouvernement a une nouvelle idée pour maintenir cette pression d’unité nationale supposée qu’il a mise en place depuis deux mois. Celui qui porte un masque est le citoyen averti (par qui ?), solidaire et responsable qui, on ne le répète inlassablement, « protège les autres ». Encore mieux, il ne se protège pas mais protège autrui. Demain, il sera décoré.

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C’est étrange car, lors de la pandémie de SIDA, je n’ai pas souvenir d’une telle obligation de protection vis-à-vis des autres, obligation qu’il aurait été possible de prendre par le port du préservatif pour certains, voire la fermeture des établissements, ou de certains établissements, pour noctambules avertis, ou comme l’écrit l’hebdomadaire Rivarol, invertis. Vous n’auriez pas imaginé (si vous avez moins de 50 ans) le hourvari que cela aurait provoqué : rendre obligatoire le préservatif pour les populations à risque et fermer les backrooms dans un but de protection (entendons-nous bien) mais Paris, ville lumière, aurait été dans la rue, contre l’immonde répression. Les virus ne sont pas tous égaux à moins que les libertaires de Mai 68 aient vieilli ou ne soient terrassés par la trithérapie.

Donc, pour en revenir au masque, si celui qui le porte est un individu-citoyen, celui qui ne le porte pas est un être irresponsable, quasiment abject et immonde, quant à son degré de responsabilité, en un mot, méprisable.

Ainsi, dans l’espace public, une division va s’installer entre ceux qui portent le masque, véritables héros de la révolution sanitaire et les ennemis de la lutte contre le virus, désignés, selon l’expression de Carl Schmitt, comme l’« ennemi principal ». Les citoyens porteurs de masques vont pouvoir porter des regards (car le masque ne couvre pas, encore, les yeux ; j’écris « encore » car lorsque le professeur Salomon décidera que le postillon peut atteindre le globe oculaire, nous serons bon pour le voile, pardon le masque). Vous n’avez pas déjà remarqué le regard inquisiteur du porteur sur le non-porteur, cet œil vindicatif, qui juge, qui interpelle, presque l’œil d’Horus.

Le gouvernement a donc décidé, enfin décidé sous le contrôle de la caste médicale médiatique, d’imposer le masque dans certains cas, dans certains lieux, les transports, les établissements scolaires (sauf pour les moins de 11 ans) … Pour faire bonne mesure, certaines professions vont appliquer ces mêmes règles, tel magasin pourra être interdit aux non-masqués. En cas de vol, il faudra reconnaître le « masqué » mais cela, on verra à l’usage.

Nous allons donc rentrer dans la civilisation du masque. Le respect des autres se fonde donc sur sa propre absence d’identification. Dois-je vous rappeler qu’il faut être découvert sur la photographie d’une pièce d’identité. Comme je l’écrivais la semaine passée, il est heureux, pour la paix sociale, que cette obligation provienne d’un gouvernement centriste (centre gauche ou centre droit, selon vos propres évaluations et en fonction de l’individu considéré, centre droit pour Le Maire, centre gauche pour Le Drian), soutenu par les grands médias. De toute façon, la principale opposante de 2017, a, elle aussi, appelé à porter le « masque ».

Sans porter de jugement sur la nécessité ou l’utilité sanitaire de porter le masque, ici et maintenant, c’est-à-dire en 2020 pour ce virus précis, il n’est plus possible de soulever une critique, voire une simple objection sur ce port.

Notre société est donc mûre, dans la totalité de son expression démocratique, pour le port du masque. La raison en est très simple : un seul décès (même d’une personne atteinte de pathologie grave et, cumulativement, dont l’âge dépasserait 90 ans) est synonyme d’entrée en responsabilité, une responsabilité qui serait de plein droit, c’est-à-dire sans exonération possible. Le juge serait donc prêt à rentrer en condamnation, civile et pénale, de toute personne susceptible d’engager sa responsabilité : un élu, un médecin mais aussi un directeur d’école, un commerçant, un chef d’entreprise pour ses salariés…. la liste n’étant pas exhaustive car soumise, en matière civile, à l’appréciation souveraine du juge judiciaire.

La peur du virus, si terrible (sic) soit-elle, n’est rien par rapport à la peur du juge. Aujourd’hui, vous voyez Salomon au « 20 heures », demain vous verrez les juges.

En même temps, si l’on ne commente pas les décisions médicales (lorsque l’on n’est pas médecin, les journalises le ratiocinent à longueur d’écran), on ne doit pas, non plus, commenter les décisions de justice.

Il y a tout de même un paradoxe dans cette histoire, puisqu’il est impossible de commenter quoi que ce soit, pourquoi y-a-t-il de plus de plus de chaînes informatives ou de temps consacré à l’information ?

On rit beaucoup, depuis quelques années, des pratiques de la Corée du Nord. En même temps (terme favori de nos gouvernants), le masque couvre nos lèvres, rendant ce rire presque incongru.