MUNICIPALES 2020 : LE HAVRE, LE CAS EDOUARD PHILIPPE

par Franck BULEUX

La logique des élections municipales est assez étonnante. La loi exige, pour les communes de plus de 1000 habitants, la constitution de listes paritaires depuis l’élection de 2014. Cette élection de liste, éventuellement à deux tours, s’effectue au suffrage universel.

En revanche, le maire est élu par le conseil municipal, depuis la loi municipale du 5 avril 1884, qui institue notamment l’élection du maire et de ses adjoints par le conseil municipal pour un mandat, initialement de 4 ans, puis, en 1929, de six ans, renouvelable sans limite.

Donc, le peuple élit les conseillers municipaux et ces derniers élisent, entre eux et en public, le maire. Ce dernier n’est donc pas élu, stricto sensu, par le suffrage universel direct, mais indirect.

Cela ne me pose aucune difficulté mais alors quelle est l’utilité d’une tête de liste, sinon à détourner la loi ? Pourquoi, en effet, ne pas constituer une liste strictement composée de manière alphabétique, comprenant les candidats de A à Z, de l’alpha à l’oméga des politiques locaux. Cette idée passerait mal car, en cas de présence de listes multiples (ce qui est, heureusement, le plus souvent le cas) les candidats dont les patronymes commenceraient par les lettres R, S, T, U… ne serraient jamais ou très rarement élu(e)s.

Toutefois, ce système n’est pas parfait car il permet donc la composition de listes dont la tête de liste serait fictive. Je m’explique : il pourrait y avoir une tête de liste qui tirerait la liste mais pourrait ne pas être élu maire, puisque les électeurs ne lui auraient confié qu’un mandat de conseiller municipal.

Pourrait-on écrire qu’il y aurait une « tromperie » électorale ou, à tout le moins, une manœuvre qui viserait à faire voter en faveur d’une tête de liste qui ne souhaiterait pas, ou ne pourrait pas, siéger comme principal édile d’une commune. Après tout, lors des municipales, nous votons pour une liste… Je ne pense pas, toutefois, que les électeurs aient réellement le sentiment d’élire le candidat en 25e position, sauf éventuellement s’il s’agit d’un proche. Non, la population a bien compris que c’est la tête de liste qui compte, même si celle-ci sait bien s’entourer.

Alors, notre Premier ministre, l’homme « aux deux prénoms » se représente au Havre en tête de liste. Il avait été élu maire, initialement, en 2010 alors qu’il n’avait pas été tête de liste en 2008, puisqu’il avait remplacé un des hommes-lige de Jacques Chirac, Antoine Rufenacht, maire depuis 1995 après 20 ans d’échecs face au communisme municipal. Cette fois-ci, ce sera l’inverse, il emmène la liste dont fait partie le maire actuel, Jean-Baptiste Gastinne, qui fut adhérent du Parti chrétien-démocrate (PCD) de Jean-Frédéric Poisson et de Christine Boutin jusqu’en 2016. Considéré notoirement comme un traitre de la droite, notons qu’en matière de droitisation, Edouard Philippe semble peu regardant puisqu’il eut Sandro Gozi comme chargé de mission, un député européen italien élu sur la liste LREM mais ancien militant d’une organisation de jeunesse de la droite nationale italienne (comme Nathalie Loiseau d’ailleurs, ancienne candidate de la droite nationale française en 1984).

Bref, notre Premier ministre va donc être tête de liste pour être élu conseiller municipal du Havre. L’électeur lambda votera Édouard Philippe pour garder Gastinne. Bon, ce sera mieux que le maire précédent, Luc Lemonnier, qui s’exhibait nu sur la Toile, proposant ses services à des femmes, dont une ancienne co-listière (une belle équipe emmenée par Édouard Philippe, rappelons-le, en 2014 !).

Il apparaît tout de même étonnant que l’on puisse voter pour un candidat identifié (surtout un Premier ministre) alors qu’un autre candidatera, la semaine suivant l’élection, à la tête de la ville normande, Le Havre.

Oui, mais me direz-vous, si le Premier ministre voit son mandat prendre fin par la volonté du président Macron, il pourra donc demander (exiger ?) du maire en place de démissionner et de re-devenir le maire de la commune la plus peuplée de Normandie (plus de 170 000 habitants recensés) … Ainsi va la vie politique, il y a les textes et les exigences des hommes. Il y a le calcul des petites combinaisons politiciennes.

Au moins, lorsque le cumul des mandats était possible, un ministre, voire un Premier ministre pouvait être maire en même temps… Ainsi, Jacques Chirac était Premier ministre et maire de Paris, Pierre Mauroy Premier ministre et maire de Lille, Jacques Chaban-Delmas Premier ministre et maire de Bordeaux, tout comme Alain Juppé d’ailleurs. Et il y avait au moins une certaine clarté électorale.

Ici, l’avenir d’Édouard Philippe est double car incertain : Premier ministre ou maire du Havre mais quoi qu’il en soit, Premier ministre et conseiller municipal. Même si sa liste « fourre-tout » était battue, il serait conseiller municipal d’opposition, non ? Mais dans ce cas-là, il ne serait peut-être plus Premier ministre… Ce n’est pas la situation la plus probable, la liste « fourre-tout » imaginée par les états-majors de LREM et de LR (Nice, Toulouse, Rouen, Le Havre, Angers…) permet un certain vote « attrape-tout » mais cela, c’est un autre débat.

Les Havraises et les Havrais sont donc appelés à voter pour une liste sans tête ou plus exactement avec une tête de liste qui ne peut pas être maire, selon la loi. Dans ce cas-là, il s’agit tout simplement d’un détournement de la loi, non ? Le slogan « En même temps » né des élections de 2017 prend ici tout son sens.

Votez « En même temps » ! Si vous y tenez….