RUSSIE LE SPECTRE DES GILETS JAUNES

Par J.-M. BOVY

Fin novembre, la sociologue française Karine Clément est refoulée à son arrivée à Moscou, où elle est invitée à donner une conférence sur les Gilets Jaunes. Raison donnée par le FSB, successeur du KGB: Mme Clément présente «une menace pour la sécurité de l’État». Elle a vécu plus de vingt ans en Russie, où elle a dirigé des recherches sur les mouvements sociaux naissants dans la Russie contemporaine. Connue aussi comme l’ex-épouse d’Oleg Chein, leader syndicaliste et député de l’opposition de gauche à la Douma, elle a milité publiquement à ses côtés jusqu’en 2008, année où elle a été agressée à plusieurs reprises pour son activisme. «Cela fait dix ans que j’ai cessé toute activité militante, justement après ces attaques. Je ne faisais que de la recherche, certes sur des sujets, les mouvements sociaux, qui peuvent déranger. Mais je ne sais même pas s’ils [le FSB] savent vraiment ce que je fais…». Le titre de son prochain ouvrage à paraître en russe parle de lui-même: Le patriotisme d’en bas. Comment est-il possible que les gens vivent si pauvrement dans un pays si riche?. Elle est rentrée en France en 2018, où elle dirige des recherches sur les Gilets Jaunes.

Le diagnostic posé par la sociologue sur la relation des gueux de Russie — en fait près de la moitié de la population — avec l’oligarchie régnante a manifestement paru plus pernicieux et dangereux que sa frêle personne et ses talents de tribun (voir son article intitulé « Russie: Avec sa réforme des retraites, Vladimir Poutine dévoile son visage antisocial et préserve les plus fortunés»). A lire ses études savantes ponctuées de références à de doctes maîtres en sociologie, on a pourtant de la peine à comprendre comment elles pourraient aider à rédiger des manifestes de combat et inspirer dans le petit peuple de Russie une vraie opposition d’en bas, semblable à celle des Gilets Jaunes.

A partir de préceptes complètement différents, il se dessine en Russie une autre contestation de conviction patriote et populiste. Cette opposition rejoint la gauchiste Karine Clément dans ses conclusions: Poutine, après avoir sauvé la Russie de l’effondrement et restauré sa pleine souveraineté, reste prisonnier du milieu des oligarques et des élites libérales, qu’il continue d’aider à s’enrichir sur le dos des crie-misère et dont il a peuplé son administration. Nikolaï Starikov, leader du Parti de la Grande Patrie, va même plus loin en dénonçant un véritable hold-up opéré par le milliardaire Boris Mints, qui aurait détourné à son profit une partie non négligeable des cotisations à la sécurité sociale investies dans des fonds de pension privés. Boris Mints, qui par prudence а acheté au prix fort un deuxième passeport maltais, s’est réfugié à Londres pour échapper à des poursuites portant sur des centaines de millions. On jurerait entendre une histoire d’oligarques des années 90.

Source : Antipress du 21 décembre 2019 (https://log.antipresse.net/russie-%e2%80%a2-le-spectre-des-gilets-jaunes/ )

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