LA REVENDICATION FISCALE ET LA HARELLE NORMANDE

par Franck BULEUX

Paris a pour la Normandie les yeux de la métropole sur la province (du latin pro vincere, signifiant un territoire vaincu dirigé par un gouverneur issu des vainqueurs).

La France a pour la Normandie les yeux d’un État-nation sur une région plus que millénaire, dont les activités industrielles (vallée des boucles de la Seine), agricole et touristique donnent plus à la France qu’elle ne reçoit de cette dernière. C’est ainsi, chaque région contribue à l’essor de la France. La notion de contribution est importante, nous y reviendrons.

Mais ce que la France a oublié, c’est que la Normandie est à l’origine de la révolte fiscale. La révolte fiscale incarnée dans notre histoire contemporaine par Pierre Poujade et Gérard Nicoud fut reprise, à son début, par le mouvement spontané des Gilets jaunes. C’est bien souvent de la revendication fiscale que naissent les périodes révolutionnaires, comme en 1789.

Or, nous venons de l’entendre, la France est « championne » (sic) des prélèvements fiscaux et sociaux. En France, le taux de prélèvements obligatoires s’établit à 48,4 % du PIB pour l’année 2018, le taux le plus élevé des pays de l’OCDE. La France est ainsi décrite comme une « championne » de la pression fiscale dans le monde » avec, en 2018, le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé dans le monde. La Belgique et le Danemark complètent ce podium.

Il serait probablement utile et nécessaire de connaître les causes de ce « dérapage » puisque les prélèvements obligatoires n’ont jamais été aussi élevés que sous la présidence d’Emmanuel Macron, qui passe pour un homme libéral, du moins en économie (pas en matière de libertés publiques, si j’en juge par la loi Avia, du nom de la députée LREM de Paris qui agressa, voici deux ans, un chauffeur de taxi… mais c’est une autre histoire). Donc, notre chantre du libéralisme économique, dont les électeurs dits « bourgeois » lui permettent de maintenir un socle électoral de 22 % des exprimés (lors des élections européennes de mai dernier) et lui permettront, sans nul doute, d’être présent au second tour de la prochaine élection présidentielle, voire probablement de l’emporter sauf arrivée d’un « Monsieur-ou Madame- X », peu probable à l’heure où j’écris ces quelques lignes. Bref, la mobilisation de l’Ouest de la capitale française permettra au très libéral Macron de vaincre alors qu’il est le champion toutes catégories du fiscalisme. L’UDCA et le CIDUNATI, mouvements syndicaux opposés au fiscalisme, sont bien éloignés… Et ce retour à l’évocation de ces mouvements populistes (au sens positif du terme, c’est-à-dire mouvements dont l’essence est issu des revendications populaires : la fin du mois avant la fin des temps !) me rappelle la Normandie, comme je l’indiquais au début de ce billet d’humeur, désormais devenu, au moins pour moi, une coutume dominicale. J’espère d’ailleurs, qu’il en est de même pour vous.

En effet, la première révolte populaire fiscale est née sur les bords de la Seine, à Rouen au XIVe siècle. Cette révolte se nomma la Harelle, du terme normand Haro (qui signifiait « se plaindre de », « accuser » devant un tribunal comme c’est d’ailleurs toujours le cas dans les juridictions britanniques des îles Anglo-normandes). La révolte de la Harelle (du nom de Haro, cri poussé par les émeutiers pour attirer l’attention sur eux) éclate à Rouen le dimanche 24 février 1382, lorsque le peuple de Rouen apprend le rétablissement des contributions indirectes (dites les aides) sur les marchandises, en particulier sur le sel et le vin, décidé par une ordonnance royale sur la perception des aides du 15 janvier 1382 et applicable au 1er mars suivant. La Normandie donne le signal de la révolte sans attendre la date de la perception des nouvelles aides. Ce signal, ce symbole venu des Normands fut repris dans l’ensemble du royaume, y compris à Paris par les Maillotins.

Cette révolte fut réprimée, mais n’y voyez aucune ressemblance avec la politique « virile » de Castaner face aux manifestants issus des Gilets jaunes. Encore que…

Or, cette révolte populaire et anti-fiscale nous rappelle combien est fragile le pacte social consacré (par le suffrage universel actuellement, hier par des chartes octroyées par le pouvoir aux personnes) entre les pouvoirs publics et la nation. La souveraineté nationale puisse sa source dans la représentation, mais cette représentation a besoin, sans cesse, d’être validée, d’être réaffirmée, or le pouvoir exécutif s’éloigne, inexorablement, des préoccupations des Français, leur laissant comme seule prérogative celle de financer. Les prélèvements ne sont que l’instrument d’une politique. Chacun nous rappelle que nous avons la meilleure protection sociale du monde, c’est très bien mais si la répartition est nécessaire, la contribution l’est aussi. Ainsi, répartir des sommes n’est louable que si l’on contribue à celles-ci. Je préfère, et de loin, le principe bismarckien de la répartition contributive à celui de l’universalité dont on nous rabat les oreilles. C’est en contribuant que l’on s’associe à l’effort national et notre éventuelle prestation, née d’un besoin, se justifie par cette même contribution.

Il est temps de revoir les grands principes de la protection sociale. En 1919, les Alsaciens et les Mosellans, peu soucieux d’intégrer l’ensemble du système national français, ont préféré conserver les règles prussiennes, issues des politiques sociales avancées du chancelier Bismarck, il devait bien alors y avoir une raison. La raison est simple : le droit local d’Alsace-Moselle, en matière d’assurance maladie, est encore aujourd’hui, excédentaire. La contribution entraîne, aussi, la responsabilité. Bien évidemment, les minima sociaux sont indispensables pour ceux d’entre nous qui sont considérés comme les plus faibles et qui nécessitent protection nationale.

Mais la révolte fiscale est une double contestation : combien et pourquoi ? J’allais écrire, pour qui ? La France s’est longtemps considérée comme la sommité morale du monde, elle n’est que la pointe occidentale du continent européen, c’est déjà beaucoup mais c’est, géographiquement, limité. Lorsque le « libéral » Macron et ses électeurs auront compris la relation entre prestation et contribution, alors la Harelle n’aura plus beaucoup de sens.

Un dernier mot, une anecdote sur la Harelle : voici quelques mois, un collectif de Rouennais a souhaité voir apparaître la rue de la Harelle au cœur de notre cité. Oui, pourquoi pas, il y a Rollon, Jeanne d’Arc, Jean Lecanuet, tous grands noms de notre cité, alors pourquoi pas la Harelle.

Croyez-moi si vous voulez, la majorité socialo-écolo-communiste du conseil municipal de la métropole normande a refusé. Sans débat. Sans doute parce que l’expression populaire contre l’abus de fiscalité ne les concerne que très peu.