LA DROITE, ANNÉE ZÉRO : BUDAPEST, VIENNE OU ROME ?

par Franck BULEUX

Il est désormais de coutume d’indiquer que le Rassemblement national (RN) dispose des électeurs et LR (Les Républicains) des élus.

La démocratie représentative, telle que nous la supportons et vivons, ne peut pas, uniquement, s’appuyer sur les électeurs, aussi nombreux soient-ils. On l’a vu, un candidat représentant des millions de Français peut ne pas être représenté au Parlement. La droite nationale représente des millions d’électeurs depuis 35 ans mais n’a disposé, depuis 1984, qu’au maximum de huit élus, d’ailleurs lors de cette mandature. Longtemps, les millions de voix de Jean-Marie Le Pen n’étaient représentés que par un élu (Marie-France Stirbois, Yann Piat ou Jean-Marie Le Chevallier), voire aucun.

Cet élément est pour rappeler que le système de représentation électorale ne se limite pas aux résultats électoraux.

Sans candidats solides inscrits dans les territoires, sans soutiens, sans reports de voix, il apparaît difficile au RN de constituer une majorité parlementaire. Certains pensent que l’élection présidentielle, placée avant les législatives, permet de rallier à la cause du président élu, la majorité des Français. Cette analyse ne repose que sur les quatre dernières élections (2002, 2007, 2012 et 2017) et ne promet pas à un ou une élue de disposer d’une majorité à l’Assemblée nationale. La campagne du « président sans majorité » n’est pas à exclure si Marine Le Pen accédait à la magistrature suprême. Rien n’est impossible en la matière.

Pour LR, a contrario, ce qui pose problème, ce ne sont pas les élus même si nombre d’entre eux désertent pour rejoindre La République en marche (LREM). Ce parti, encore hyper-représenté, grâce aux résultats des dernières élections locales (municipales mais aussi départementales et régionales), semble ne plus être en mesure de rassembler un nombre important de Français et donc, in fine, d’être présent lors d’un second tour d’une élection présidentielle. Cette carence électorale s’est produite en 2017 mais a aussi failli se produire dès 2002 (l’élimination de Lionel Jospin fut due essentiellement aux 8 % remportés par Chevènement et Taubira ; d’ailleurs, cette « peur » d’être absent au second tour avait entraîné la fondation de l’UMP).

Et entre un parti sans élus et un parti sans électeurs, il n’y a rien.

Il n’y a rien car toute union est prohibée. Le FN qui n’a pas toujours été diabolisé (il y a des exemples d’union et d’entente entre la droite et le FN) a fait place à un RN, totalement diabolisé contrairement à ce qu’en rapportent les médias. En effet, la dédiabolisation ne passe pas par les mêmes discours mais par la reconnaissance mutuelle électorale et la formation d’une espèce de «  national » qui aurait permis de battre la gauche ou qui permettrait de faire jeu égal avec LREM et d’empêcher le retour en force des écolo-progressistes.

Il n’y a rien car aucun pont n’existe. Thierry Mariani souhaite ancrer le RN avec son mouvement, ancien pseudopode de l’UMP, Droite populaire, mais il a déjà passé le rubicond. Il lui est donc difficile de se présenter comme trait d’union depuis son élection sur la liste RN de Jordan Bardella. Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France (DLF) comme le président du Centre national des indépendants et paysans (CNIP), Bruno North, ont tenté de briser l’opprobre infondée contre le FN, lors de la dernière élection présidentielle, en appelant clairement à battre Emmanuel Macron, voire même à déposer un bulletin Le Pen dans l’urne. Le bilan est assez clair ; les Français ont largement préféré la liste RN à la liste DLF-CHIP, qui a cumulé à 3.5 % lors des élections européennes. Cet échec remet en cause la théorie du « pont » entre droite libérale et conservatrice et droite nationale et populaire.

S’il n’y a pas de pont, les rives ne peuvent pas se rapprocher. Par stricte définition.

Ainsi, nous venons d’examiner, sans le rappeler, deux exemples :

  • celui de la Hongrie, avec un mouvement de droite populiste hégémonique, fortement implanté et puissant, regroupant élus et électeurs face notamment aux dangers des migrations de masse ;
  • celui de l’Autriche, avec un accord d’égal à égal (ou presque) entre deux partis aux forts résultats et fortement représentatifs, les conservateurs et les libéraux-populistes.

Si nous pouvons donc exclure ces deux modèles, il n’en reste plus d’un, celui de l’Italie.

L’Italie a porté au gouvernement, un mouvement, la Lega, avec 18 % des suffrages exprimés voici un peu plus d’une année. Mais cette victoire n’a pu avoir lieu que parce qu’il y a eu un accord de gouvernement. Pas un accord électoral (d’ailleurs, il n’y en a toujours pas puisque lors des élections locales et régionales actuelles, les deux alliés présentent, à chaque fois, des listes distinctes), non mais un accord de gouvernement, c’est-à-dire en l’absence d’un consentement préalable des électeurs.

Cette option ne peut être retenue qu’avec la présence effective d’un allié qui plus est, aux forts résultats. Le M5S (Mouvement 5 Etoiles) n’a pas son équivalent en France. La France insoumise (LFI) a une conception économique marxiste et se pose en strict défenseur de l’immigration, ces deux éléments distinguent totalement LFI du M5S. D’ailleurs, il n’a jamais été question d’union entre eux : à Strasbourg par exemple, le M5S siège avec les partisans du Brexit britanniques et pas avec Podemos et autres alliés de Mélenchon.

L’arrivée au gouvernement de la droite nationale est conditionnée à trois possibilités, nous venons de les recenser : Budapest, Vienne ou Rome.

Cette arrivée potentielle et éventuelle passe donc par l’émergence d’un mouvement nouveau, régionaliste, localiste et anti-système.