par Michel LHOMME
Depuis deux dimanche de suite, des centaines de milliers de personnes ont manifesté à Hong Kong. Ce sont les plus grandes manifestations de l’ancienne colonie britannique depuis son retour en Chine en 1997. La protestation est axée sur un projet de loi permettant le droit de l’extradition d’un Hongkongais vers la Chine qu’une bonne partie de la population considère comme une atteinte délibérée à l’autonomie de la ville. La raison en toile de fond est cependant le déséquilibre croissant entre le pouvoir de Hong Kong et le reste de la Chine. Le projet de loi sur l’extradition a donc été la cerise sur le gâteau d’un processus de transformation qui, selon beaucoup de Hongkongais, commencent à leur échapper.
Le clou de la manifestation du premier dimanche a été sa transversalité, ce qui lui a permis d’attirer un nombre aussi élevé de personnes. Alors que lors de la célèbre « Révolution des parapluies » de 2014, les manifestants étaient en réalité minoritaires dans l’ex-colonie britannique, la manifestation du dimanche a mis en scène un sentiment général de protestation de toute la ville. Les personnes âgées, les familles, les hommes d’affaires et les secteurs même les plus conservateurs se sont déplacés. Les manifestants défendent le statu quo, c’est-à-dire l’autonomie de Hong Kong en Chine. Alors que les militants de la Révolution des parapluies réclamaient des réformes qui visaient à transformer la vie politique de l’ancienne colonie britannique, les manifestations du Hong Kong de 2019 sont plutôt « défensives », conservatrices et effectivement dirigées contre Pékin et l’actuelle chef de l’exécutif, la première ministre jugée « collaborationniste » Carrie Lam, à la tête d’une coalition pro-Pékin.
« Un pays, deux systèmes« . L’acceptation de l’appartenance de Hong Kong à la Chine impliquait la défense des libertés et des droits acquis en 1997. La grande majorité des Hongkongais approuve le statu quo. Dans une étude de l’Université de Hong Kong, 70% considèrent que la situation actuelle en matière d’autonomie est la meilleure option. 11% soutiennent en revanche que Hong Kong est indépendante, tandis que 15% soutiennent que la ville est directement gouvernée par Pékin.
Cette position conservatrice explique en partie le choc social provoqué par ce projet de loi, que beaucoup de Hongkongais ont vu comme une érosion de leur autonomie judiciaire. Les amendements eux-mêmes ne voulaient pourtant officiellement que remédier à la situation anormale actuelle qui fait de Hong Kong un refuge pour les criminels évadés, puisque la ville n’a pas de traités d’extradition avec la majorité des pays du monde. Le fait divers particulier justifiant ce projet de loi a été celui d’un Hongkongais qui ayant tué sa petite amie à Taïwan s’était enfui à Hong Kong et qui du coup, ne pouvait plus être jugé à Taipei faute d’accords d’extradition.
Le fait est que ces modifications d’extradition s’appliqueraient dans le projet de loi également à la Chine continentale a soulevé la colère et l’indignation des habitants de la presqu’île. Beaucoup craignent que Pékin en profite pour « accueillir » des réfugiés dissidents à Hong Kong, des activistes locaux ou des hommes d’affaires en colère contre le régime, pour les envoyer dans les prisons chinoises. La responsable de Hong Kong avait pourtant déclaré que les amendements ne couvraient pas les crimes politiques, mais seulement les crimes graves de droit commun, mais rien n’y a fait, les critiques de l’opposition affirmant que cette restriction pourrait être facilement contournée par un montage juridique pour accuser vite fait les dissidents de corruption ou d’autres crimes visés dans le projet de loi.
Dans la première manifestation, la présence d’une minorité radicale et plus jeune qui avaient entraîné de violents affrontements avec la police a surpris le gouvernement actuel ainsi que la popularité des grèves, des blocus et des actions menés contre des membres du parlement local. Des sortes de « gilets jaunes » à la Hongkongaise qui ont totalement déstabilisé en une semaine le pouvoir. Ce dimanche, dans la deuxième manifestation monstre on a réclamé ouvertement la démission du chef du gouvernement et la suppression sine die du projet de loi et non sa suspension.
Quoi qu’il en soit et il faut le souligner, ni les manifestants ni les manifestations ne modifieront le déséquilibre croissant qui existe de plus en plus entre Hong Kong et la Chine continentale. En effet, la situation initiale de leurs relations s’est inversée. Lorsque Hong Kong a été renvoyé en Chine en 1997, la ville était une référence en matière de modernité et d’ouverture pour l’ensemble du pays. Sa connexion avec les marchés occidentaux, la tradition coloniale britannique et son développement lui conféraient un avantage comparatif par rapport au reste de la Chine. De nombreux Hongkongais avaient alors profité des facilités d’entrée sur le marché continental pour s’enrichir. Avant 1997, le peuple de Hong Kong avait aussi bénéficié du flux de migrants continentaux pauvres qui arrivaient dans la ville, en leur attribuant des emplois extrêmement modestes, mal payés qui permettaient de doubler leurs profits.
Maintenant, la situation a changé. Plusieurs villes chinoises comme Pékin, Shanghai, Guangzhou, Shenzhen manifestent aujourd’hui plus de dynamisme et d’ambition que Hong Kong, qui s’installe même peu à peu dans un certain sous-développement, en tout cas une évidente baisse de ses revenus et de son attractivité. Bien qu’il s’agisse toujours d’un centre d’affaires et d’investissement de très haut niveau, la ville a bien perdu de son éclat. De plus, le profil que Hong Kong envisage d’adopter pour faire face à ce nouveau scénario n’est pas très clair et pour sa part, Pékin est largement conscient que Hong Kong n’a pas tant de cordes que cela dans son arc pour défendre son autonomie et rattraper le coche. Beaucoup craignent à juste titre que le Parti communiste chinois n’en profite et engage avec l’appui de la haute bourgeoisie locale une intégration absolue de Hong Kong dans l’écosystème des villes chinoises.
D’autre part, ne nous leurrons pas aussi, il est bon aussi pour Pékin d’avoir un port « libéral » pour gérer ses relations avec l’extérieur de manière différente. Contrairement à Taïwan,La Chine n’ira jamais à la confrontation avec Hong Kong d’autant qu’elle va avoir à gérer de plus en plus l’instabilité de ses relations avec les États-Unis (voir article à venir sur le sujet). La tactique de Pékin consiste donc plutôt à faire pression pour que certaines « lignes rouges » ne soient pas dépassées comme la formation d ‘un mouvement pour l’indépendance de Hong Kong. Le projet de loi sur l’extradition allait peut-être probablement dans ce sens mais il visait aussi les criminels en col blanc, des corrompus ou lâcheurs du parti qui auraient eu l’intention de tout balancer en se réfugiant sur l’île.