par Franck BULEUX
La candidature de Nathalie Ducoulombier, future épouse Loiseau, début 1984, lors d’une élection de représentants d’étudiants à l’IEP (Sciences-Po Paris) est très emblématique de la dédiabolisation de la droite nationale, populaire et sociale telle qu’elle avait été mise en place, dès 1983, par le secrétaire général du Front national, Jean-Pierre Stirbois et son président, Jean-Marie Le Pen.
Personne n’a relevé l’exceptionnelle candidature d’une liste complète étiquetée et identifiée « extrême droite » à Sciences-Po ! Il faut, un peu, nous replonger 35 ans dans notre passé politique, et pour certains d’entre nous, comme Nathalie Loiseau, militant. Car, en général, les étudiants cherchent leurs candidats parmi leurs proches, militants comme eux.
En 1983, les droites ont vaincu la gauche à Dreux, en obtenant plus de 55 % lors de l’élection municipale partielle de Dreux en septembre. Le maire gaulliste de Dreux a nommé trois adjoints FN, dont le numéro 2 du parti, Jean-Pierre Stirbois. Peu après, le FN a obtenu plus de 9 % à Aulnay-sous-Bois et a fait battre le maire communiste sortant au second tour et le président Le Pen a capitalisé en décembre 1983 plus de 12 % des suffrages exprimés lors de l’élection législative partielle dans la circonscription d’Auray, dans le Morbihan. Prophète en son pays, le Menhir a obtenu 51 % dans sa commune natale, La Trinité. Malgré son absence du second tour, le FN s’implante, partielle après partielle, et ne va pas tarder à devenir un parti qui compte. Ce sera fait après l’Heure de vérité mémorable de Le Pen sur Antenne 2, puis l’ « effet Le Pen » lors des européennes de juin, avec 11 % et 10 députés élus.
Or, cette période marque une réelle volonté d’ouverture du FN : dans l’opposition de droite, seuls le Centre des démocrates sociaux (CDS) et Simone Veil refusent de s’unir mais les autres, Jacques Chirac compris, n’y voient pas, au moins localement, de difficultés.
Mieux, Jean-Marie Le Pen ouvre son mouvement : son suppléant, lors de la législative partielle, a été Yann Cadoret, légende vivante de la moto, qu’un terrible accident cloua à jamais dans un fauteuil roulant : une leçon de courage de tous les instants et son numéro 2 pour les européennes sera Michel de Camaret, compagnon de la Libération.
À cette époque, Nathalie Ducoulombier, déjà diplômé de l’IEP, est en prépa-ENA. Elle ne peut pas ignorer la vie politique. Issue d’une famille de droite, elle ne peut que se réjouir du désenclavement de cette droite nationale, longtemps ostracisée ou, au mieux, ignorée par les partis de droite.
De plus, il y a, à cette époque, de nombreux allers-retours entre militants RPR et FN. Localement, de nombreux jeunes RPR passent au FN. A l’Institut d’études politiques de Paris, où Nathalie Ducoulombier étudie sérieusement, point de passage avant l’ENA des élites républicaines, nombre de jeunes très marqués à droite font leurs premiers pas en politique. Les syndicats étudiants y sont fortement politisés. Les gaullistes, les giscardiens avec les libéraux et les proches du FN disposent chacun de leur syndicat. Mademoiselle Ducoulombier aurait pu adhérer à l’UNI (Union nationale interuniversitaire), proche du RPR, à l’Union des étudiants gaullistes (UEG) ou au CELF (Comité des étudiants libéraux de France, toujours dans l’espoir du retour de Valéry Giscard d’Estaing). Mais non:elle préféra l’Union des étudiants de droite (UED), syndicat tenu par le GUD. La quasi-totalité de ses animateurs appelait au meeting « pour abattre le communisme, pour abattre le libéralisme » qu’organisa le GUD le 20 mars 1981 dans son bastion, le centre universitaire de la faculté de droit d’Assas. La droitisation apparaît ici car de nombreux étudiants rejoignent l’UED qui réunit alors, effectivement, des personnes venues de la droite extrême, des giscardiens, des gaullistes, des anciens du GUD.
Mais ce regroupement n’est pas lié à une espèce de « récupération » d’éléments d’extrême-droite au sein d’une liste, non, il s’agit du phénomène Le Pen qui permet d’agglomérer des gens de droite issus de mouvements auparavant plus modérés.
1984 est l’année où de nombreux élus, cadres, militants de droite RPR et UDF vont rejoindre le FN.
À l’IEP, 17 % des étudiants votent en faveur de l’UED. Le même score qu’à Dreux quelques mois auparavant.
La force du FN, en 1984, était son attractivité. Nathalie Ducoulombier en a été un des exemples. Quoi de plus naturel ? Jeune femme de droite, il lui a semblé rejoindre un groupe « utile ».
La politique de Jean-Pierre Stirbois, auquel j’ai consacré un ouvrage (chez Synthèse diffusion) transparaît ici dans la candidature de la future tête de liste de La République en marche (LREM).
Dernier point, il va être difficile, désormais, d’ostraciser le vote de droite populiste. Soyons réalistes, un mouvement qui a obtenu 25 % des suffrages exprimés aux élections européennes de 2014, 26 % aux élections départementales de 2015, 28 % aux élections régionales de la même année, 21 % au premier tour de l’élection présidentielle de 2017 puis 34 % au second tour avec près de 11 millions de voix en faveur de la fille cadette du Menhir, est désormais partout dans la société…
Personne ne peut pas ne pas connaître un électeur ou une électrice de l’ex-FN, voire un ancien candidat ! Le gaullisme des années 1960 représentait le métro parisien aux heures de pointe, le PS des années 1970 était devenu le parti des classes moyennes, le FN a réussi à devenir, lui aussi, un parti « attrape-tout », même s’il lui manque des alliés qui comptent électoralement pour passer ce fameux « plafond de verre ».
Allons, tout le monde connaît, a connu ou connaîtra sa Nathalie Loiseau. Bien sûr, à ce niveau cela surprend toujours, ne dit-on pas que « moins le Français est instruit, plus il a de probabilités de voter FN(RN) ». Nathalie Loiseau, elle, est très instruite. Ce qui ne l’a pas empêché de faire une « connerie », comme elle dit.
A noter que c’est l’hebdomadaire Minute et non Mediapart comme cela est répété en boucle qui a révélé que Nathalie Loiseau avait figuré en 1984 sur une liste d’extrême droite à Sciences-Po.
