LA FIN DE LA GAUCHE

Par Franck BULEUX

Les élections européennes de mai prochain devraient, selon toute vraisemblance, mettre fin à l’existence électorale crédible des gauches françaises.

L’avènement de l’ancien ministre de l’Économie du dernier président socialiste, François Hollande, Emmanuel Macron, a laissé en déshérence le champ électoral de l’ancienne gauche.

Que reste-t-il de l’ancienne et éphémère Union de la gauche signée en 1972, qui avait su présenter un candidat unique lors de la présidentielle de 1974 (qui avait frôlé la victoire avant de l’emporter 7 ans plus tard) et de la gauche plurielle symbolisée par le mandat de cinq ans de Lionel Jospin, Premier ministre entre 1997 et 2002, qui avait su intégrer à la gauche traditionnelle de gouvernement, le parti des Verts ?

Électoralement, les partis traditionnels de gauche ont quasiment disparu : le PCF souffre de ses absences lors des dernières élections présidentielles de 2012 et 2017. La dernière prestation nationale du PCF remonte à 2007 avec Marie-George Buffet, ancienne ministre communiste de Jospin, qui n’avait pas atteint 2 % à la présidentielle qui vit la victoire de Sarkozy. Ils paraissent loin les 7 % de Robert Hue obtenus lors des élections européennes de 1999, date du scrutin correspondant au dernier modèle de vote national pour ce type d’élection. Le siècle dernier déjà… Le PS, lui, a perdu son ancien candidat à la présidentielle, Benoît Hamon n’est même plus certain de rassembler les fonds nécessaires (l’ancien député socialiste de Trappes risque bel et bien de passer à la trappe…) et va soutenir une tête de liste non cartée au PS, fils du philosophe André Glucksmann, Raphaël Glucksmann. On sait qu’un parti qui n’a plus la capacité de porter une liste est un parti qui s’efface, qui s’éteint. Jean-Luc Mélenchon a totalement occulté le PCF en quelques années, Raphaël Glucksmann va, lui aussi, dans les limites de son charisme (on l’a vu lors du débat à 12), va occulter l’ancien parti qui a compté deux présidents de la République sous la Ve. Enfin, le dernier parti de gauche historique, les radicaux de gauche ont disparu… Bernard Tapie avait relancé l’enseigne, la marque (pour parler comme l’ancien ministre de la Ville du président Mitterrand) lors des élections européennes de 1994, avec 12 % des suffrages exprimés. Depuis, si Bernard Tapie est malade, le MRG, devenu PRG en 1998, est mourant. Amis lecteurs, savez-vous que son président se nomme Guillaume Lacroix ?

Au-delà de ces trois partis historiques, qui gagnèrent en 1981 l’élection présidentielle, Lionel Jospin sut ajouter Les Verts, mouvement devenu Europe-Écologie-Les Verts (EELV) en 1997. Il ne s’agissait pas d’un exploit, l’électorat PS et EELV est très similaire : diplômé, urbain, humaniste, plutôt aisé… Rien ne les sépare, le vote EELV est une contestation de premier tour à l’ancienne hégémonie du PS sur la gauche. Depuis 1977 (et probablement 1974 avec Dumont à la présidentielle), les voix écologiques servent de réservoir de voix au vote utile, forcément à gauche, du second tour. Les municipales de 1977, qui ont offert une large victoire à l’Union de la gauche, ont vu cette porosité électorale alors que de nombreuses listes « vertes » obtenaient de bons scores au premier tour. Depuis 1977, les voix de Brice Lalonde ont largement permis à Mitterrand d’être élu président et les voix qui se sont portées sur Antoine Waechter en 1988 n’ont pas fait, non plus, défaut à l’ancien premier secrétaire du parti à la rose. On ne peut pas dire non plus, plus tard, que les Dominique Voynet, Noël Mamère ou autres leaders verts ont manqué à la gauche, au moins électoralement parlant. Il s’agit de la discipline républicaine… Une voix contre la droite (et l’extrême droite) ne se perd jamais : elle peut s’égarer au premier tour mais elle retourne au second tour au sein de l’union progressiste (d’où la surprise horrifiée, horresco referens, de 2002 lorsque Jean-Marie Le Pen élimina Lionel Jospin, car le fondateur du Front national avait alors cassé cette logique de discipline, c’est cela qui, somme toute, avait eu la portée la plus grave, l’élection du Menhir étant, mathématiquement et sans doute pour d’autres raisons, improbable).

PS, PCF, PRG, EELV… Le cimetière des éléphants ?

Il ne faut pas oublier le mouvement de Mélenchon qui a pris le nom de La France insoumise (LFI) avant la présidentielle de 2017. Bien lui en pris, il a frôlé les 20 % et le député de Marseille ne s’est toujours pas remis de ne pas avoir pu affronter le candidat libéral Macron au second tour. Ce mouvement est issu de la gauche la plus dure et sociologiquement, la plus pure. Il n’est que certains populistes qui pourraient s’y laisser prendre car le « ni droite, ni gauche » de Mélenchon n’est qu’un attrape voix contre le FN, devenu RN. La limite électorale de Marie Le Pen à 21 % en avril 2017 (contre 28 % aux régionales de 2015, 26 % aux départementales de cette même année et 25 % aux élections européennes de 2014) vient probablement de cette manipulation sémantique. D’ailleurs, pour être objectif, cette manipulation ne vient pas du candidat Mélenchon, toujours prompt à intégrer en son sein l’électorat des banlieues mais des médias, qui mettent trop souvent cette « gauche-Shadock » (qui pompe les voix de l’ennemi populiste) et les populistes de droite.

Bref, tout cet éventail des gauches semble attendre un crash électoral. Aucun de ces mouvements, même La France insoumise (qui a largement essayé…), n’a su emporter les manifestations des Gilets jaunes. Justice sociale et pouvoir d’achat étaient pourtant, a priori, les thèmes favoris des défilés et des ronds-points. On n’y parlait surtout pas d’immigration, ni d’identité. En même temps, en parler c’est flirter avec la correctionnelle (si l’on ne maitrise pas la novlangue), or les « gens » ne sont pas totalement sots. Même si la politique migratoire coûte chère, il est de bon ton de dénoncer les conséquences mais d’en chérir les causes… Les médias font semblant de se limiter aux doléances exprimées par la voie du Net, le président Macron aussi…

Pour en revenir à notre sujet, il semble convenu que tous ces mouvements de gauche ne dépasseront pas, pour chacun d’entre eux, un score à deux chiffres…

LFI, EELV, Place publique (le faux nez du PS), Génération.s, PCF… Toute cette gauche en-dessous de 10 % !

Certes, cet état de fait n’empêchera pas l’héritier des bourgeoisies de droite et de gauche, LREM, de tirer les marrons du feu, obtenant la pole position ou, au pire, une deuxième place à quelques dixièmes de points du RN (qui rappelons-le avait réalisé 25 % il y a 5 ans…).

Mais qu’importe, pour tous les « anciens combattants » des campagnes électorales, voir les listes de gauche être incapables d’atteindre les 10 % sera tout de même un grand soir.

Rien que pour cela, une mobilisation contre les forces de gauche est nécessaire en mai prochain. Certes, je le rappelle, LREM est l’hydre libéral-libertaire qui procède, notamment, de la faiblesse des gauches mais pour ceux de ma génération qui me comprennent, balayons une fois pour toute la gauche !

Un joli mois de mai nous attend. Et si on enterrait, une fois pour toutes, 68 !