LE XINJIANG : TERRAIN D’EXPÉRIMENTATION DE L’ETAT TOTAL

Michel LHOMME

Urumki, capitale du Xinjiang, est une ville de 3,8 millions d’habitants peuplée de gratte-ciel et entourée de toutes nouvelles autoroutes, qui témoigne du réel effort de Pékin pour intégrer ses minorités d’Asie centrale à Zhongguo, le «royaume du milieu». Le Xinjiang est la province la plus occidentale de la Chine, peuplée principalement de Ouïghours, musulmans turcophones. Les affiches de la ville sont écrites en idéogrammes chinois, mais aussi en caractères arabes, où la langue ouïghour est écrite, et en cyrillique, l’alphabet utilisé par les Kazakhs et les Ouzbeks. Le Turkestan oriental, dont fait partie le Xinjiang, a été conquis par la dynastie Qing Manchu au XVIIIe siècle. Les campagnes du gouvernement central visant à assimiler les Ouïghours, les Tibétains et les Mongols à la culture Han, qui représente 90% de la population chinoise, sont anciennes mais se sont intensifiées ces dernières années en raison de la peur de l’intégrisme islamique à Pékin.

La Chine accuse les sécessionnistes ouïghours d’avoir participé à des centaines d’attaques terroristes au Xinjiang et dans d’autres régions du pays. Chen Quanguo, le gouverneur qui a doublé les dépenses de sécurité de la province à 9 000 millions de dollars par an, a interdit aux femmes de porter le voile intégral et aux hommes de laisser pousser leur barbe, signe de dévotion islamique. Pour le Parti communiste chinois, il s’agit d’un problème existentiel: le Xinjiang, dont la superficie double de celle de la péninsule ibérique, concentre d’énormes réserves d’eau, de fer et de cuivre. La province est également un important nœud routier d’où partent les routes, les voies ferrées et les oléoducs de la nouvelle Route de la Soie, ce qui explique la répression par la Chine de tout signe de violence interethnique ou de mouvements sécessionnistes.

Selon les Nations Unies et une campagne de presse relayée cette semaine sur les réseaux sociaux, cet effort serait en train de conduire à une tentative de génocide, avec la création de camps de concentration où jusqu’à un million de Ouïghours pourraient déjà être confinés, sur une population de 11 millions d’habitants. Dans ces goulag chinois, les prisonniers seraient soumis à des travaux forcés et endoctrinés afin d’abandonner leur langue, leurs traditions et leur religion. La récente disparition d’ Abdurehim Heyit , musicien, poète et folkloriste ouïghour, dans l’un de ces centres d’internement qualifiés de « camps de rééducation » par la Chine, a semble-t-il enfin brisé le mur de silence. Nonobstant, cela n’a pas empêché la Turquie d’empocher un prêt de 3,6 milliards de dollars chinois, même si son ministère des Affaires étrangères a condamné les camps de concentration du Xinjiang comme un crime contre l’humanité.

L’Indonésie et la Malaisie, contrairement à l’Arabie saoudite, à l’Iran ou au Pakistan, font partie des rares pays islamiques à avoir dénoncé l’oppression des Ouïgours. On dénombrerait au total 388 intellectuels chinois ouïghours détenus. Un grand nombre d’entre eux sont dispersés dans des prisons d’autres régions du pays, ce qui rend encore plus difficile leur localisation. Mais surtout, la Chine utilise le Xinjiang comme un laboratoire pour tester des technologies de surveillance électronique de pointe. Avec quelque 300 millions de caméras installées dans le pays, soit quatre fois plus que les États-Unis, le géant asiatique maître incontesté de la reconnaissance faciale et de la précision de la surveillance vidéo est à la pointe de l’avenir autoritaire que nous réserve la puissance capitalistique des nouvelles technologies dans lequel l’intelligence artificielle et les logiciels de reconnaissance vocale et vocale identifieront et pourront suivre les mouvements de millions de personnes en temps réel, sans compter le fichage systématique de tous les « citoyens ».

Le géant asiatique est ainsi devenu aujourd’hui le plus grand marché mondial des technologies de sécurité, qui génère environ 80 000 millions de dollars par an dans le pays. Hikvision et Dahua, sociétés chinoises qui fabriquent 30% des caméras de surveillance et des enregistreurs numériques vendus dans le monde, ont de grands centres de traitement de données dans le Xinjiang, dont les informations aident la police à identifier et à arrêter les suspects d’activités subversives partout sur le territoire chinois.

Cette semaine concernant les informations qui ont été relayées sur la Chine, outre la demande d’extradition aux Etats-Unis de la dirigeante de Huawei, est apparu l’évidence : l’Europe est maintenant très loin derrière les industries chinoises de haute technologie. La presse allemande a ainsi noté un changement de ton dans les grandes entreprises allemandes comme si mais un peu tard, les Allemands venaient enfin de comprendre que leur technologie a été pillée, avec leur consentement. Et que la Chine est maintenant passer à l’étape suivante : celle de l’élimination du partenaire concurrent devenu selon les principes de la stratégie chinoise maintenant un adversaire. Tant de naïveté déconcerte mais cette naïveté caractéristique de toutes les élites européennes et de leur classe dirigeante s’expliquent par le diktat dans les mentalités du court terme. La révolution « communiste » elle est un programme pour mille ans. En proposant ses propres produits Made in China mais aux standards Made in Germany et en dealant avec les États-Unis sur le dos de l’Europe et de l’Allemagne en particulier, L’Allemagne est devenue la cible de la Chine tout en restant aussi la cible des États-Unis. Triste sort d’une fin de puissance en progression.