GωlgΩth, correspondant de metainfos.fr venu de nulle part
L’Eurasie regarde vers l’avenir
Le Monde s’oriente inexorablement (ruse de la Raison ?) vers une sortie d’une mondialisation essentiellement unipolaire et ultra-capitaliste. Un cycle succède progressivement à un autre. Un ordre mondial nouveau émerge dans la douleur mais aussi l’espoir. Notre objectif dans cet article et les suivants est de regarder ailleurs, mais lucidement. Des alternatives politiques et économiques mélange d’idéologies et de réalisations concrètes ont vu le jour à l’est de l’Europe, dans le vaste espace euro-asiatique, comme l’illustrent l’idéologie pan-russe du néo-eurasisme que nous abordons (très superficiellement) ici ou le projet de nouvelle route de la soie reliant par voies ferroviaire et maritime la Chine aux marchés émergents du Sud-Est Asiatique et l’Europe.
Observer ces phénomènes ne signifie pas pour nous Européens adhésion entière à ces desseins qui servent les intérêts particuliers des pays qui les mettent légitimement en oeuvre. Il est à la mode de nos jours de porter un jugement négatif sur les initiatives du président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine. Des critiques partisanes sur fond de morale allant à l’encontre des valeurs que leurs promoteurs estiment promouvoir (le soutien au régime ukrainien, qui recrute ouvertement des nazis dans sa garde nationale, bataillons d’Azov ou d’Aïdar, en est un bel exemple) ou par manque de vision politique à long terme. Comme l’a constaté le géographe Christophe Guilluy, les élites occidentales connaissent leur crépuscule par conformisme, paresse intellectuelle et la nécessité de défendre leurs intérêts de classe. Ceci dit nous ne sommes pas pour autant les nouveaux « rabcors de Poutine » (les « rabcors » étaient les correspondants ouvriers et paysans du parti communiste russe, implantés en Europe occidentale pour y relayer l’idéologie marxiste-léniniste et effectuer si nécessaire des sabotages).
Or,force est de constater que le modèle atlantiste s’épuise, tracté qu’il est par la soif inextinguible de puissance de Washington :aucune vision à long terme, si ce n’est celle de gouverner le monde en imposant Son modèle, Sa vision. Avec un budget de 686 milliards de dollars pour le financement de ses moyens militaires en 2019, aux dépens des besoins sociaux et environnementaux, les États-Unis sont sur la défensive et se préparent à participer à des conflits conventionnels en différents points du globe (comme le laisse entendre l’explosion du budget des munitions pour l’artillerie lourde). La résistance à ce modèle est multiforme et généralisée. Et le retour de la Russie et de la Chine sur le devant de la scène internationale y contribuent largement. La terre face à la mer, les puissances aux traditions profondes, de nouveaux espaces politiques et civilisationnels en devenir face à la puissance d’une nation qui dérive sans but,dont l’épisode historique s’achève peu à peu en traînant son lot de pauvres obèses, réduits à l’état primaire de l’identité et de l’être : le consommateur.
Au milieu des années 1990 Francis Fukuyama prophétisait naïvement la fin de l’Histoire, alors que nous avons assisté en réalité au début du déclin du modèle néo-libéral. Si un Bill Clinton,méprisant, pouvait alors se gausser d’un Boris Eltsine ivre (fait survenu lors du sommet de New York au sujet de la guerre en Bosnie, le 23 octobre 1995), nul n’aurait pu croire à un retour en force de la Russie (et de la Chine) sur la scène internationale. Pour ce pays ravagé par le communisme tout était à rebâtir. Mais pour se remettre en route et gouverner un pays, il fallait une direction et une idée. Si Vladimir Poutine a relevé l’économie de la Russie et lui a redonné sa fierté, ce redressement est aussi le fruit d’une réflexion des élites russes sur eux-mêmes. Parmi eux, Alexandre Douguine. Celui-ci (né en 1962) est un traditionaliste et un opposant de longue date au communisme, ce qui lui vaudra une incarcération par le KGB. Après la chute du Mur de Berlin, Alexandre Douguine assurera la co-direction du Parti national-bolchevique jusqu’en 1998, puis par ses réflexions arrivées à maturité, il deviendra le promoteur du néo-Eurasisme. Il est actuellement à la tête du Mouvement international eurasiatique, une organisation non gouvernementale fondée le 20 novembre 2003 ayant des représentations dans différents pays de l’Europe, des pays islamiques, des Amériques et de l’Asie.
Qu’est-ce que l’Eurasisme ?
L’Eurasisme est une philosophie avec une dimension politique et une interprétation de l’Histoire. Ce courant de pensée fondé sur le structuralisme accorde une place prépondérante aux civilisations et à leurs singularités. Celles-ci ont leurs structures, cohérences et existences propres et doivent être considérées comme un tout. Chaque civilisation a une durée et un espace qui sont les siens et ne peut être évaluée que sur ses propres critères. Ainsi, l’Eurasisme est une philosophie holiste et organiciste, ce qui l’oppose à la vision unipolaire, hégémonique et ultra-libérale des États-Unis et de leurs alliés.
Ce néo-eurasisme qui milite pour un retour à la tradition et le rejet de l’impérialisme, est l’héritier du premier mouvement eurasiste, né en pleine guerre civile russe (1920). Les premiers eurasistes sont notamment le philologue et linguiste Nikolai S.Trubetzkoy (1890-1938), le géographe et économiste Pyotr N.Savitsky (1895-1965), l’historien et théologien Georges V.Florovsky (1893-1979), l’historien et géopoliticien George V.Vernadsky (1887-1973), ou le juriste et politologue Nikolai N.Alexeyev (1879-1964). Ces promoteurs prenaient notamment pour référence, le livre de Nicolai S. Trubetzkoy, L’héritagede Gengis Khan, publication qui souligne la singularité de l’État russe et sa double appartenance à l’Europe et à l’Asie (ce qui fut la caractéristique de l’empire mongol à son apogée). Mais c’est le livre de Petr Savitsky, Tournant versl’Orient, paru en 1921, qui a posé les fondations de l’idéologie. Ces premiers eurasistes décriaient la notion de progrès et considéraient le développement des sociétés comme cyclique. Ils rejetaient les démocraties, avaient le modèle des monarchies populaires en haute estime et niaient l’individualisme,qui ne serait qu’une forme superficielle de liberté.
Le néo-Eurasisme est une reformulation de cette pensée par Lev Nikolayevich Gumilev (1912-1992) qui a émergée des cendres encore chaudes du communisme. Il se pose comme une troisième voie prenant pour modèle la Révolution conservatrice allemande et la Nouvelle Droite française (Alexandre Douguine ne cache pas son admiration pour Alain de Benoist). Du point de vue géopolitique, lenéo-Eurasisme est un héritage de la Guerre froide se situant dans la continuité de la politique impériale russe d’avant 1917 et soviétique (Alexandre Douguine appelle à son tour à une« révolution mondiale » : « la révolution globale) : il est ouvertement anti-américain en prônant la tellurocratie (ce qui l’oppose à la thalassocratie) et son aire géopolitique propre (l’Eurasie). Surtout, l’un des points forts de cette philosophie est la réintroduction du sacré dans la politique (le tout étant de savoir jusqu’à quel point, celle-ci n’est pas dangereuse à la gouvernance d’un pays, car elle pourrait ouvrir la voie à l’irrationalité) et un renversement significatif des valeurs plaçant l’être avant l’avoir.
La connaissance de cette idéologie est donc une grille de lecture nécessaire à la compréhension des relations internationales contemporaines et une réflexion sur une démondialisation qui se met inéluctablement en place. Les premiers pas d’un monde multipolaire…
Pour les personnes qui désireraient approfondir le sujet, je leur signale que les publications d’Alexandre Douguine ne sont pas toutes disponibles en français. J’invite les internautes comprenant l’anglais à lire les traductions de celles-ci publiées par les éditions Arktos. Cette maison fait traduire progressivement du russe vers l’anglais (ou l’allemand) l’intégralité des écrits de cet auteur. La liste des publications actuellement disponibles et des entretiens d’Alexandre Douguine sont consultables sur la page auteur des éditions Arktos (https://arktos.com/people/alexander-dugin/). Un site d’information avec de nombreux écrits d’Alexandre Douguine est logé à l’adresse suivante : www.4pt.su ( lesarticles y sont rédigés en de multiples langues, notamment le français ).