Franck Buleux
L’origine du gilet jaune, une incarnation dévoyée
« C’est jaune, c’est moche, ça ne va avec rien mais ça peut sauver la vie »: c’est le couturier allemand Karl Lagerfeld, lunettes noires,chemise blanche et nœud papillon noir de rigueur, qui avait initialement endossé le gilet rétro-réfléchissant jaune pour défendre le port de cet accessoire en cas de panne automobile.C’était le choix des pouvoirs publics, médiatisation oblige. En 2008, le célèbre styliste était la vedette d’une campagne d’affichages dans le cadre d’une opération de sensibilisation « gilet et triangle » de la Sécurité routière à l’occasion du bilan de 2007 de l’accidentologie sur les routes. Il paraît que cet accessoire était tellement laid que Karl Lagerfeld, adepte du « bon goût » en toute matière, comme chacun sait, ne l’aurait jamais porté et qu’il s’agissait d’un photo-montage… Bon, l’important est qu’il ait profité financièrement de cette campagne, lors du quinquennat de son ami Nicolas Sarkozy. Le concept était né : un « outil » pour la France qui conduit dont l’égérie était un individu snob, méprisant, célèbre et riche.
L’élite s’occupe de vous. C’est « moche »,donc c’est pour les Français.
Merci de ce terrible aveu, M.Lagerfeld ! Ce buzz de l’été 2008, sur nos écrans, fut vite oublié et le label Lagerfeld ne laissa pas de souvenirs. L’objet du désir refoulé, puisque son designer le trouvait « moche »fut enfermé dans les véhicules. Refoulé pendant plus de 10 ans. Visible, mais refoulé, comme la colère latente des Français, comme l’a si bien remarqué l’ancien maire du Havre, le Premier ministre Édouard Philippe, visionnaire s’il en est. Karl Lagerfeld, pour allemand qu’il est, ne sera donc pas le Daniel Cohn-Bendit des amateurs de révolution.
Mais revenons-en à notre sujet, le gilet jaune : la réglementation est claire : en circulation, le conducteur doit disposer de ce gilet à portée de main. Lorsqu’il conduit un véhicule à deux ou trois roues à moteur ou un quadricycle à moteur non carrossé, il doit disposer de ce gilet sur lui ou dans un rangement du véhicule. Bref, compte-tenu du marché de masse que représente l’automobile,le gilet jaune était partout, mais tapi, « à portée demain »… Quelle erreur du pouvoir ! Car lorsque qu’un danger est tapi, il peut surgir !
L’incarnation désincarnée
Lorsqu’un mouvement populaire (à gauche, on dit citoyen, mais essayons d’éviter les poncifs de celle-ci) prit l’initiative de mener des opérations le 17 novembre, le signe de ralliement fut le gilet jaune. Nul n’est besoin d’un styliste allemand pour trouver cette idée. Tous les possesseurs de véhicules détiennent un gilet jaune,donc utilisons ce symbole de reconnaissance. Les pouvoirs publics l’appellent « gilet de haute visibilité ». Il sera donc visible, extrêmement visible aurait dit le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, qui voit « la peste brune »sous la couleur des reflets du soleil. Le profil lunaire de certains ne colle pas au jaune, effectivement. Visible, forcément visible…
Le mouvement des Gilets jaunes, apparu le 17 novembre, est né, a priori, d’une contestation liée à la fiscalité. Il est vrai que notre pays est connu pour ses nombreux taxes et impôts. Les révoltes fiscales parsèment l’histoire française, y compris en 1789. Toutefois, la vigueur des manifestations tend à démontrer qu’il ne s’agit pas seulement d’une contestation de nature fiscale,mais qu’elle s’inscrit dans une contestation globale sinon du système, du moins du style de gouvernance.
Or, Emmanuel Macron, élu avec 24 % des suffrages exprimés au premier tour (et 66 % au second) de la présidentielle s’inscrit dans une France bourgeoise, pacifiée, heureuse d’être européenne, ne correspond pas à cette France des oubliés, si bien décrite depuis de nombreuses années par le géographe Christophe Guilluy, qui ad’ailleurs déclaré, dans le magazine Causeur : « Les Gilets jaunes demandent du respect, le pouvoir répond par l’insulte ! ».Le prophète de « la France périphérique » ne confond pas, comme l’ancien maire de Tourcoing, « peste brune »et « oubliés ». S’installer dans le Nord de la France ne garantit pas un brevet de « populisme », n’est pas Dany Boon qui veut…
Christophe Guilluy a compris que, depuis trois ou quatre décennies, la France privilégie des minorités, laissant pour compte certains -la plupart ?- de ses enfants, probablement les plus fragiles. Des années Tapie au label Lagerfeld, on présente à notre peuple des réussites ou des avatars de réussite qui ne correspondent en rien à leur quotidien. Les jeunes rêvent de YouTube et leurs parents votent Emmanuel Macron. La France des 24 % règne sans partage grâce à une Constitution s’appuyant sur un parti majoritaire issu d’une méthode électorale dont la France a le secret (jamais vu en Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie…). Mais cette France installée au pouvoir, cette « union des bourgeoisies » de gauche et de droite n’a personne face à elle.
Alors qui pour incarner le combat des Gilets jaunes ?
BFMTV a tenté de nous imposer, cette semaine, l’ex-syndicaliste,comédien au petit pied, Xavier Mathieu, sorti de la fabrique CGT et ancien « Conti ». Heureusement, la France des oubliés lit Wikipédia, une des rares encyclopédies accessibles à tous. Il apparaît donc difficile d’incarner cette contestation qui est effectivement protéiforme et dont les revendications sont, en apparence, multiples. Peut-être sera-t-il nécessaire d’y ajouter, par exemple, le refus de signer le pacte des migrations ?
Un sondage indiquait, hier dans le quotidien L’Opinion, que l’immigration était la deuxième motivation des Gilets jaunes, après la fiscalité abusive. Il doit y avoir probablement un lieu, le coût social des migrations, non ? Ah, ce débat n’est pas autorisé… C’est dommage car je ne pense pas, compte-tenu de l’image de la France diffusée par les officines du « Vivre ensemble » incite à intégrer notre pays. Donc, si ce n’est pas pour ses valeurs, quel est le motif essentiel des migrations ?L’argent, toujours l’argent, répondrait Harpagon. Il paraît que nos aides sociales sont inégalées. Cela doit se savoir, c’est le critère universel des aides, le caractère universel de la France.
L’impossible incarnation
En toute logique, l’opposition de droite devrait trouver à s’affirmer dans ce combat. Des têtes, issus des 47 % de l’électorat du premier tour de l’élection présidentielle ( le cumul des suffrages exprimés qui se sont portés sur Marine Le Pen, FrançoisFillon, Nicolas Dupont Aignan et Jean Lassalle), devraient émerger.Mais qui ?
Le gouvernement attend avec une certaine impatience que le Rassemblement national (RN) prenne la tête de l’insurrection. Le magazine Paris-Match, par pure démagogie, essaie d’aider nos élites en mettant à la « une « de son hebdomadaire, cette semaine, le militant d’extrême-droite Hervé Ryssen, qui n’a d’ailleurs rien à voir avec le RN de Marine Le Pen, mais l’amalgame était un des piliers de notre République (enfin, pas pour tous les thèmes…), le lien sera vite établi. En effet, la diabolisation, quoi qu’on est dise, du RN est tellement puissante qu’il suffirait d’apercevoir le cousin de la sœur de Marine LePen au sein d’un cortège que le mouvement prendrait fin dès le lendemain… Il prendrait fin, non du fait du gouvernement, mais de la peur d’y participer. Il faut, en effet, rappeler que la diabolisation ne naît pas des actions de la personne diabolisée,mais de ses adversaires.
Une question illustrant ce propos : à votre avis, pourquoi Georges Tron a été relaxé ? Parce qu’il était défendu par la star des prétoires ? Que nenni, parce qu’une des victimes connaissait le beau-frère de la présidente du RN. En effet, ils résident dans la même commune. Voilà qui est plus clair !
Inutile donc d’attendre de l’opposition naturelle (34 % au second tour de l’élection présidentielle) une quelconque aide. Nous ne sommes pas au Brésil, ni en Italie, ni en Hongrie, en Autriche, ni même aux États-Unis. Ici, voter François Fillon est déjà dramatique,car le mouvement Sens commun qui l’avait soutenu est diabolisé aussi, alors au-delà, la patrouille médiatique avec Gérald Darmanin vous guette. Derrière les Gilets jaunes, il y a les Chemises noires.
Une incarnation centrale
Un mouvement, en France, se doit d’être incarné. La France est ainsi. Il n’y a pas de mouvement sans chef. Le syndrome Poujade, de Gaulle… Le Mouvement 5 étoiles est italien, il n’entre pas dans notre logos. Et pourtant, il est temps d’appeler à une femme ou à un homme. Bref, une incarnation qui puisse être reconnue par ses qualités, par ses actions.
Notre peuple a besoin d’un véritable berger qui sache porter le gilet jaune. Notre peuple a besoin d’un élu qui ne se confonde pas avec les élus. Il est temps que le juste combat des Gilets jaunes, combat qu’il est nécessaire d’étendre à d’autres messages,s’incarne dans un représentant du peuple, non inféodé au système. Or qu’il vienne de l’extrême-centre ne doit pas nous faire oublier son extrême droiture.
Jean Lassalle peut devenir le héraut de cette France périphérique, oubliée, indignée, en colère. Avant que nos gouvernants ne déstabilisent le mouvement ou ne le désincarne par un agitateur syndicaliste néo-communiste, il est temps d’y penser. Face au maître des horloges, il est temps de reprendre notre avenir en mains. Demain nous appartient.