ANTICHRIST–ANTECHRIST : DES RUMINATIONS THEOLOGIQUES

Par Bernard PLOUVIER   

Depuis la nuit des temps, l’humanité espérante et pensante a toujours aimé les peseurs de nuées, les fabricants de casse-têtes spirituels – dans le noble langage de la philosophie : les créateurs d’apories, soit les devinettes intellectuelles qui ne peuvent que rester sans réponse.

Le christianisme a renouvelé l’eschatologie individuelle – ce qui attend l’âme humaine après la mort du corps dans les religions spiritualistes – et collective – le triomphe qu’une communauté de fidèles peut espérer sur la vilenie des « païens », des « non-élus ». Et, contrairement à l’exemple donné par les conquérants qui officient « au nom du christ » – de nos jours : les guerriers des USA -, ce triomphe doit se faire par la seule persuasion, par la prédication, car Jésus ben Joseph était un doux, sûrement pas un matamore de style « Captain America ».  

Dans le registre de la fiction théologico-poétique hyper-rude, le rédacteur de l’Apocalypse frauduleusement attribuée à Jean l’évangéliste – une attribution d’autant plus absurde qu’il s’agit d’une fiction vengeresse et très sanglante – a battu tous les records et les cinéastes de l’ère numérique ne s’y sont pas trompés qui puisent autant dans ce texte que dans la mythologie germano-scandinave du Crépuscule des dieux ou du Mahâ Pralaya hindou.

Dans cette unique Apocalypse retenue par l’Église chrétienne lorsqu’elle a fixé au IVe siècle le corpus de ses textes saints – il existait plusieurs centaines de candidats et les non-retenus ont parfois disparu, du fait du fanatisme ou de l’impéritie de moines-copistes -, on trouve la légende fantasmagorique, bien connue de tous les auteurs de délire fantastique, qu’ils soient théologiens patentés, romanciers ou scénaristes de navets hollywoodiens : celle de l’Antichrist et de l’Antéchrist.

Issu de la malignité de Satan, survient un Antichrist dont le rôle est d’anéantir la secte chrétienne – en une préfiguration de la tant lamentée Shoah. Et débute, dans la plaine d’Armageddon (à la jonction de la Judée et de la Galilée), un combat entre les Forces du Mal (variante poétique : les Forces des Ténèbres) et les Légions d’anges descendues de l’empyrée. Ce combat titanesque est de longue durée, avec des phases de triomphe apparent d’un bord et de retour en force de l’autre côté, puis – en un happy end qui ne peut que rassurer les bonnes âmes – les Forces du Bien triomphent de celles du Mal… c’est assez dire que l’on est dans la pure fiction, dans le deus ex machina si différent de la triste réalité terrestre où, toujours et partout, l’emportent canailles et voyous !

Et tout naturellement, à ce combat gigantesque succède la Parousie : le retour triomphal et définitif du Christ sur une Terre redevenue Jardin d’Eden – du moins dans certaines versions, car après le pseudo-Jean, une foule d’halluciné(e)s, d’hystériques et d’épileptiques ont divagué sur le thème de base.

Par définition, l’Antichrist est aussi un Antéchrist. Son irruption dans l’histoire de l’humanité et son action maléfique sont nécessaires au retour glorieux du Christ que les premiers apôtres et disciples de Jésus avaient fait espérer de façon très proche à la communauté de Jérusalem, ainsi qu’aux communautés-filles du Bassin méditerranéen et d’Asie du Sud-Ouest… jusqu’en Inde, s’il faut en croire la légende concernant les pérégrinations de l’apôtre Thomas. Et il fallut très vite déchanter : la Parousie ne se manifestait pas !   

Du temps des premiers apôtres, vivait un fort bon Imperator et Princeps senatus de tendance populiste, mais également de type histrionique, à la manière d’un Mussolini qui aurait été bisexuel et amateur de scandale public – ce qui en fait un personnage très moderne : le sieur Néron, qui n’a pas plus bouté le feu à Rome qu’ordonné de tuer d’innocents chrétiens. D’ailleurs, à son époque, les chrétiens étaient surtout des esclaves, de très pauvres artisans, voire des courtisanes, pas toujours de bonnes vie et mœurs, mais épris de rédemption, et les canailleries, voire les crapuleries de certains membres de la secte expliquèrent largement diverses condamnations à mort.

NERON

Aux IIIe et IVe siècles, alors que la religion chrétienne subissait une nouvelle poussée d’authentiques persécutions sous Dioclétien, après celles de Domitien (fin du Ier siècle) et de Marc-Aurèle au IIe siècle, on inventa un Néron de fantaisie, qui devint le premier Antichrist. Puis on attribua ce vilain rôle au grand Imperator Julien… et l’on n’observait toujours rien du côté de Satan et de ses suppôts !

Pour tromper l’attente des fidèles, l’Armageddon passa de l’état de toponyme à celui de grande vision eschatologique, que l’on ressortit aux temps d’Attila (Ve siècle) et de ses hordes orientales, puis de Mahomet (VIe–VIIe siècles), de Gengis Khan le Mongol du XIIIe siècle, et ainsi de suite jusqu’au Führer nazi, présenté comme le Néron des temps modernes par le théologien Gustav Wurtemberg – en 1948 : c’était plus prudent !

Bien avant sa résurrection par le cinéma hollywoodien à grands effets numériques, la légende chrétienne avait été supplantée par le Crépuscule des dieux, une recette indo-germanique.

La religion odinique était née sur les rives de la Baltique et fut exportée en Norvège, puis en Islande où, du fait de l’ennui provoqué par la rudesse du climat et la très faible densité de population, les conteurs de Sagas et d’Eddas sont devenus des personnages-clés de la société.

Elle n’était ni une religion de contrat comme la juive antique, où l’on offrait de coûteux sacrifices en échange d’une postérité et de la richesse, ni une religion d’amour comme les niaiseries d’Akhenaton, de Zoroastre ou de Jésus.

Le culte d’Odin-Wotan – un dieu pas vraiment bienveillant envers l’humanité, nullement omniscient ni omnipotent – était une religion méritocratique réservée à l’élite de la guerre et du savoir, dans laquelle on honorait la très nombreuse lignée divine par la bravoure, la loyauté et la sagacité.

Quant à sa mythologie, elle était aussi riche et sociologiquement évoluée que la grecque antique. Si rien n’est simple sur Terre (le Midgard), les autres mondes imaginés par les créateurs du cycle odinique sont tout aussi complexes.

Dans le monde des dieux (l’Asgard), en plus de la famille divine, on note la présence de Vanes, esprits de la Nature, capricieux comme les éléments et sédentaires comme des agriculteurs, d’Ases, esprits brouillons et nomades, qui sèment pagaille et destructions, enfin des Nornes qui tissent selon leur humeur du moment le destin de chaque créature divine, démoniaque ou humaine.

Mais il existe aussi des elfes, véritables sociopathes et serial killers du Midgard, qui tuent de l’humain ou du géant par pure joie de nuire. Enfin, l’on trouve celui qui hante les trois mondes : le rival d’Odin et son parent, Loki, canaille subtile et séduisante – authentique démagogue, que l’on croirait sorti tout frais émoulu d’une élection US ou franchouilarde -, également ivrogne – de nos jours, un romancier lui ferait sniffer de la cocaïne -, qui cherche à libérer le dragon et les diables du monde souterrain (le Midhogg), pour les lancer à l’assaut de l’Asgard, occasionnant le Ragnarök – soit l’équivalent nordique du combat de la plaine d’Armageddon.   

Dans ce cycle légendaire, après trois années de corruption de toute la création par cette lutte entre dieux et démons (aidés d’elfes et d’humains plus voyous encore que nos modernes terroristes), les divinités et les héros du Walhalla (les humains de grande qualité accueillis dans la compagnie d’Odin après leur mort) disparaissent à l’issue d’un combat titanesque avec les puissances des ténèbres. De cette mort, de cette nuit, naît un monde neuf, composé de dieux nouveaux et d’une humanité différente, plus belle, plus vigoureuse, plus pure. Le Crépuscule des dieux permet d’enfanter un monde meilleur… là encore, on nage en pleine utopie.

Pour le public qui adore les happy ends, c’est une belle et grande histoire, qui n’est pas sans rappeler le Mahâ pralaya des textes védiques, soit la fin, dans le feu et le sang, d’un monde périmé et l’accouchement d’un suivant, selon un cycle étalé sur des dizaines de milliers d’années et sans cesse renouvelé depuis l’organisation du Chaos primordial, mais sans avoir la prétention de créer en fin de compte un monde parfait… sauf dans certaines légendes issues de cerveaux d’optimistes béats.

Richard Wagner a repris et magnifié par sa musique le corpus de légendes germano-scandinaves, ce qui a bouleversé le paranoïaque très émotif Friedrich Nietzsche, d’où une multitude de textes vantant la Surhumanité à venir, dotée d’une morale dure, virile, exigeante, fondée sur l’orgueil.

Le grand chic philosophique depuis 1945 est de ne surtout pas faire de Nietzsche le grand inspirateur d’un autre paranoïaque nommé Adolf Hitler, qui a mixé les rêveries  nietzschéennes, nullement racistes, à celles ultra-racistes d’un autre paranoïaque censé avoir vécu 33 siècles plus tôt, le sieur Moïse, prophète du séparatisme absolu et du racisme matrimonial (cf. le Deutéronome et ses resucées dues à messieurs Esdras, Néhémie, Malachie et consorts) et grand ordonnateur de génocides – à l’échelle artisanale de l’Antiquité, bien sûr – pour cause de vol de territoires (in l’Exode, le Livre de Josué, les Livres des Rois et de Samuel).

La légende de l’Antichrist-Antéchrist, après avoir fait mourir quantité d’humains et d’êtres surnaturels, promettait un Paradis terrestre, comme le faisaient les optimistes germano-scandinaves ou le grand poète Nietzsche… c’est assez dire que ces auteurs s’ébattaient dans la pure fiction.

La vie sur terre reste le seul Enfer tangible pour l’humanité souffrante et perpétuellement espérante, ou comme disent les anglo-saxons « expectant », soit dans l’attente – mais le mieux arrive-t-il jamais ?

En Occident et au Ier siècle de l’ère globalo-mondialiste, on ne peut plus croire en une Parousie salvatrice, mais on assiste au Crépuscule de la civilisation, perpétré par des marchands de soupe populacière, qui financent hommes, femmes et « bizarres » des media et de la politique de la gamelle, afin de détruire l’existant grâce aux hordes d’envahisseurs africains et moyen-orientaux, pour bâtir un monde de métis, consommateurs béats, repus et crétins. « Le pire toujours arrive », proverbe en usage dans la Royal Navy