Par Michel LHOMME
Selon les sondages et s’ils sont corrects, l’Italie sera bientôt dirigée par un gouvernement de droite le plus radical depuis la Seconde Guerre mondiale. La position vis-à-vis de Bruxelles et de Moscou, ainsi que la gestion de l’économie ou la protection de l’égalité hommes-femmes seront alors des enjeux clés.
Le 25 septembre, une coalition de partis politiques – dominée par le parti d’extrême droite et anti-immigrés Frères d’Italie (FdI) et La Liga de Matteo Salvini – semble en effet en passe d’obtenir une majorité claire, sinon absolue, au Parlement. Cela ramènerait l’Italie à un gouvernement de droite, le premier depuis l’effondrement de la coalition de centre-droit de Silvio Berlusconi lors du risque de faillite de l’Italie en 2011.
Malgré ses origines néo-fascistes sur lesquels les médias français ne cessent de discourir, le FdI demeure favori avec près de 25 % des suffrages et Giorgia Meloni deviendra alors le premier Premier ministre du pays et la première femme chef de gouvernement d’extrême droite de l’histoire républicaine de l’Italie. La Ligue de Salvini et Forza Italia de Berlusconi sont les autres principaux membres d’une coalition de droite qui, en cas de victoire, aurait des répercussions bien au-delà de l’Italie. Pour l’Europe néo-libérale et atlantiste de Bruxelles, cette victoire sera comme un coup de semonce et un autre signe de la propagation du conservatisme d’extrême droite, après les gains électoraux du Front national français ces dernières années et la récente victoire des démocrates suédois.
Que s’est-il de fait passé en Italie ces dernières années ?
Le paysage politique italien s’est transformé depuis la chute du gouvernement Berlusconi en 2011 et le pays est devenu une sorte de laboratoire pour de nouvelles formes de populisme à la fois de gauche et de droite qui, plus tard, ont eu des échos en Europe et au-delà, comme dans les États-Unis et le Royaume-Uni avec le Brexit. Berlusconi lui-même peut s’attribuer une partie du mérite de cette influence populiste en Europe. C’est lui qui a introduit un nouveau style de politique au cours de ses deux décennies à la tête du centre-droit italien, exploitant son empire médiatique pour promouvoir des formes de communication plus directes avec le public, tout en bafouant les formes établies et traditionnelles de la partitocratie.
Le style de Berlusconi mélangeait la démagogie envers l’Europe avec une sorte d’approche néo-populiste envers la politique quotidienne et envers le peuple. Cependant, ce style a fini par être supplanté par de nouveaux partis, notamment par le Mouvement 5 étoiles (M5S), traditionnellement eurosceptique et antisystème, aujourd’hui dirigé par l’ancien Premier ministre Giuseppe Conte. Fondé en 2009, le M5S est sorti de la blogosphère pour devenir le deuxième parti le plus voté aux élections nationales de 2013. S’appuyant sur ses promesses électrisantes de changement par la démocratie directe et citoyenne et la rhétorique anti-élitiste dirigée à la fois contre l’ establishment,la « bureaucratie » italienne et bruxelloise, le M5S a fait entrer l’Italie dans le populisme moderne et a fini par devenir le premier parti politique du pays en 2018 (33 %), la dernière fois que les Italiens se sont rendus aux urnes.
Bien que le M5S ait absorbé un certain soutien de la coalition de centre-gauche dirigée par le Parti démocrate italien (PD), c’est le parti de Berlusconi qui a subi alors le plus grand déclin électoral. Cela offrait une ouverture au M5S, mais aussi au jeune et ambitieux Salvini, qui a battu son ancien allié de la coalition en faisant basculer la Liga vers la droite eurosceptique et nationaliste, tout en défendant la cause populiste et anti-immigrés en Italie et en Europe.
En 2018, la Ligue Salvini devient alors le troisième parti du pays (17%), rejoignant le M5S (33%) dans une nouvelle coalition populiste qui a duré jusqu’en 2019. En septembre de la même année, le M5S a changé son alliance avec le PD ( 19%), formant le deuxième cabinet de Conte, qui excluait la Liga, le tonitruant Salvini et les autres partis de droite. Cette nouvelle coalition plutôt modérée sur les sujets chauds comme l’immigration est restée au pouvoir jusqu’en février 2021.
Lorsqu’alors le président de la République italienne, Sergio Mattarella, a choisi Mario Draghi pour diriger un nouveau gouvernement d’union nationale en 2021, le petit parti FdI a choisi de rester dans l’opposition. Ce fut le bon choix.
Dirigée par la charismatique et incendiaire Meloni, qui partageait une grande partie des sentiments conservateurs et anti-immigrés de la Ligue, ainsi que les tendances eurosceptiques présentes dans les secteurs du grand et hétéroclite M5S, le FdI s’est alors imposé comme le seul parti d’opposition, bénéficiant alors de l’accélération d’un processus de normalisation après des années de diabolisation et de relégation aux marges de l’extrême droite.
La coalition de Draghi s’est effondrée fin juillet, brusquement abandonnée par Salvini, Berlusconi et le leader cinq étoiles Conte, qui ont tous regardé nerveusement avec jalousie l’ascension de Meloni. Aujourd’hui, le FdI apparaît dans les sondages comme le premier parti d’Italie et devrait obtenir environ 25 % des voix, une croissance impressionnante par rapport aux 4 % qu’il a obtenus en 2018. Cela place le FdI bien au-dessus de ses partenaires de la coalition de droite, avec La Liga de Salvini avec un peu plus de 10 % et le parti Forza Italia de Berlusconi avec environ 8 %.
Les efforts infructueux du PD pour créer une coalition centre-gauche parallèle ont donné au bloc de droite un solide avantage. Cette dynamique a été renforcée par la rupture de l’alliance du PD avec le M5S et l’implosion interne du M5S lui-même, puisque plusieurs de ses parlementaires ont créé leur propre groupe centriste (avec un pourcentage inférieur à 2 %) allié au bloc centre-gauche dirigé par le PD.
Dans son ensemble, le bloc de droite obtient 47%, tandis que la coalition de centre-gauche dominée par le PD s’élève à 28%. Le M5S, pour sa part, est en dessous de 14%, tandis que la nouvelle coalition centriste dirigée par l’ancien ministre Carlo Calenda est autour de 7%.
Bien que les résultats semblent clairs, environ 40 % de l’électorat italien n’a pas encore décidé pour quel parti voter (ou s’il votera), un élément qui a été utilisé par le bloc de gauche pour affirmer qu’une surprise électorale pourrait encore se produire le 25 septembre.
Mais en tout cas, quel que soit le gouvernement élu, la première priorité sera de traiter une série de problèmes internes : la crise du coût de la vie, la hausse de l’inflation et la hausse des prix de l’énergie, ainsi que la soutenabilité de la dette, qui devraient toutes s’aggraver dans les mois à venir. Plus important encore, le nouveau gouvernement devra superviser l’élargissement et la mise en œuvre du plan de relance de l’UE négocié par Draghi, et ainsi s’assurer que l’Italie continue de recevoir les milliards de fonds post-Covid fournis par Bruxelles.
Dans ce contexte, la crédibilité internationale du pays, un défi pour l’Italie compte tenu de son histoire d’instabilité politique, sera d’une importance primordiale. Bien qu’aucun autre leader n’égale Draghi, la campagne de la coalition de droite n’a rien fait pour rassurer les partenaires. Des plates-formes économiques confuses, voire contradictoires, et des promesses répétées de réductions d’impôts importantes et d’augmentations des retraites ont déjà ébranlé les marchés et les alliés européens, en particulier compte tenu de l’important ratio dette/PIB de l’Europe. Les appels à renégocier le plan de relance de l’Italie dans l’UE, ou les attentes d’une plus grande flexibilité des politiques budgétaires par Bruxelles en réponse à la crise de l’énergie et de l’inflation, accroissent le « malaise italien » à Bruxelles.
Meloni a soufflé le chaud et le froid pendant toute sa campagne, tentant de trouver un équilibre difficile entre les efforts pour rassurer les alliés traditionnels de l’Italie (et surtout les marchés) tout en ne s’écartant pas de sa rhétorique conservatrice d’extrême droite, le socle de son électorat. Elle semble ne pas vouloir céder sur la question de l’avortement et elle a catégoriquement refusé de retirer la flamme tricolore du logo de son parti, héritage du parti néo-fasciste formé peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Mais la dirigeante de la FdI a aussi pris soin de minimiser sa position anti-européenne antérieure, modéré quelque peu ses propos sur les immigrés alors que l’Italie se retrouve depuis l’été face à une nouvelle vague d’arrivée de clandestins du Maghreb et en particulier de Tunisie.

Pire, elle a réaffirmé à plusieurs reprises et sans aucune équivoque l’alignement total de l’Italie sur l’OTAN et l’alliance transatlantique, promettant catégoriquement un soutien continu à l’Ukraine si elle était élue même si lors d’un récent meeting de campagne, elle a également averti que « si je gagne, la fête est finie pour l’Europe. […] Ne laissez pas Bruxelles faire ce que Rome peut mieux faire, et ne laissez pas Rome s’occuper de ce qui peut être résolu par elle-même ». (application du principe populiste de subsidiarité).
Pour revenir sur la question migratoire, Salvini et Meloni sont unis dans leur quête de pouvoir mais divergent parfois en réalité sur des questions politiques essentielles comme le meilleur moyen de faire face à l’endettement du pays quasi en état de faillite. Au milieu se trouvera donc le parti de Berlusconi, qui jouera désormais le rôle de garant institutionnel dans la coalition à venir, un changement surprenant compte tenu de l’héritage de sa démagogie anti-bruxelloise à laquelle l a tourné le dos depuis longtemps. Récemment, Berlusconi a même prévenu ses partenaires de la coalition qu’il est prêt à faire défection si le futur gouvernement adopte un biais trop anti-européen.
Mais Meloni et Salvini ne pourront tout de même pas trahir leurs électeurs trop ouvertement et ils ont bien tous deux exprimé leur intention de promouvoir les éléments forts de leur programme radical de droite, allant d’une position plus dure à l’égard des immigrés à la critique de l’avortement et des droits à l’égalité des sexes, à l’idéologie du genre (Lgbt), promotion réactualisée d’un nouveau conservatisme chrétien nationaliste en Italie et en Europe.
Reste qu’aux yeux de l’Europe et du monde, le scénario politique italien du week-end déroute une fois de plus l’opinion publique mondiale et enrage les bien pensants et les journalopes du système. La montée de la droite conservatrice par sa diabolisation médiatique aura sans aucun doute un impact sur la perception extérieure de l’Italie et par ricochets sur celle de l’Europe et de tous les peuples Européens.