Par Michel LHOMME
Tout ce qui s’écrit sur l’Ukraine implique maintes précautions surtout du point de vue des médias français dont la servilité aux intérêts occidentaux depuis la Serbie et la Syrie est légendaire. Des informations récentes sur la contre-offensive ukrainienne réussie sur le front nord-est peuvent nous amener à revoir une fois de plus certaines déclarations que la réalité a réfutées. Du coup, ne peut-on pas parler et admettre qu’une inversion du rapport de force dans le conflit Russie-Ukraine s’est opérée depuis la fin mai-mi-août et s’est confirmée en ce mois de septembre sur le front de Kharokov-Izyoum ? Tous les analystes de plateau du « système » parlent d’un tournant dans la guerre et disent que l’Ukraine pourrait finir par gagner sur le champ de bataille, y compris l’annulation de l’annexion illégale de la Crimée. Cette conclusion semble bien prématurée, même si l’on peut admettre des carences stratégiques et tactiques du côté des forces armées russes puisque la Russie n’a pas voulu ou n’a pas été en mesure de faire usage de sa supériorité aérienne et navale revendiquée, neutralisant la première et causant de sérieux revers à la seconde.
Cette inversion apparente sur le terrain n’est pas due au hasard mais à l’usage d’une artillerie plus précise et de plus longue portée fournie par les Occidentaux (USA, Royaume-Uni et France) ainsi qu’une meilleure maîtrise du ciel par l’emploi de missiles dits « anti-radiation » de dernière génération fournis par les Etats-Unis et qui ont permis aux Ukrainiens de prendre Koupiansk et Izyoum.
Nous avons assisté en effet à la fuite des élites militaires par hélicoptères à l’Est et celle des pro-Russes en direction de Belgorod qui avait créé de longues files d’attentes sur les routes (les sous-titres sont corrects et peuvent être activés dans les liens ou les vidéos ci-dessous). Les militaires de la région de Koupiansk se sont réfugiés à Vovchask plus au Nord près de la frontière russe et les renforts russes arrivant de Belgorod et de Vsatove sont des recrues qui ont tout juste trois mois de formation militaire et n’ont jamais essuyé le baptême du feu ! Ainsi, les réunions d’urgence, nous dit-on, se succèderaient au Kremlin !
Certes, de part et d’autre, le front n’est pas stabilisé. La ville de Lisichansk n’aurait pas été prise et des combats s’y dérouleraient encore. Il y a comme toujours dans toutes ces informations qui nous parviennent un flou que laissent planer à la fois les Ukrainiens et les Russes.Or, de toute évidence, le jeu guerrier est loin d’être terminé.
L’offensive des Ukrainiens a été facilitée par l’armée russe, qui s’est repliée presque sans résistance – mais nonobstant, elle demeure intacte – sur une nouvelle ligne de défense avec un minimum de pertes, contrairement aux Ukrainiens qui, quittant leurs positions, ont été soumis à la puissance aérienne russe et à son écrasante artillerie. L’Ukraine elle-même reconnaît un prix élevé du sang (l’estimation sur tous les fronts est de 4 000 morts et 8 000 blessés entre le 6 et le 10 septembre). Les troupes ukrainiennes auraient atteint les tranchées russes et ont été stoppées dans leur élan à la rivière Oskol et à Krasnyi Limán, où trois assauts ont déjà été menés. A cela, il faut ajouter que l’aviation moscovite décime les unités ukrainiennes déployées.
De plus, les Russes progressent dans le Donbass : ils ont libéré Kodema et Maiorskaia, tout en avançant carré par carré sur les fortifications ukrainiennes. En fait, le succès ukrainien sur le front de Kharkov est estampillé de l’Otan et nous rappelle celui des hordes de l’Etat islamique en Syrie, qui avaient permis en 2016 de reconquérir Palmyre aux troupes d’Assad. La tactique est la même : de petites unités légères traversent un front mal défendu qui sèment le chaos à l’arrière en coupant les communications. L’effet de surprise est garanti et la première victoire aussi. Mais le contrecoup peut être mortel, comme cela s’est produit avec les alliés musulmans de l’OTAN en Syrie, où, une fois le front stabilisé, les troupes de l’État islamique ont été exterminées par des avions russes et l’EIIL lui-même a finalement été éteint.
Des rumeurs de guerre souligneraient que des personnes qui traverseraient le fleuve Dniepr seraient abattues par les Russes, ceci afin d’éviter les désertions, témoignant si cela se confirmait du faible moral du côté russe notamment dû à ce que les salaires et les soldes ne seraient pas perçus et qu’il ne comprennent pas vraiment pourquoi ils se battent, l’activité des partisans qui ciblent les pro-russes leur faisant comprendre qu’ils ne sont pas les bienvenus.
Alors partout on s’interroge : Poutine ne s’enliserait-il pas ? Ne serait-il pas confronté à la logique de la guerre des partisans qu’aucune force conventionnelle n’a jamais réussi à vaincre dans aucun pays du monde ? Ou, ne serait-il pas plutôt tout simplement dépassé par l’énorme aide technologique américaine apportée à Zelensky ? Poutine, enfin, ne serait-il pas finalement trop mou face aux provocations occidentales ?
On aurait en effet pu s’attendre à des actions contre les convois et les lignes de ravitaillement ukrainien, à un bombardement intensif (à la manière du « tapis de bombes » américain en Irak, Yougoslavie et Syrie) sur les infrastructures énergétiques et de communications de base de l’Ukraine or l’« opération militaire limitée » de Poutine a pris grand soin de ne pas endommager les infrastructures critiques de l’Ukraine et de minimiser les pertes civiles. On l’aura compris Vladimir Poutine a voulu être « civilisé » ne voulant pas entrer en Ukraine avec le sang et le feu. Il a préféré de toute évidence une action lente et patiente, signe sans doute de finesse politique mais pas forcément tactique.
En effet, la réponse militaire très mesurée – pour certains même pusillanime – de la Russie a nul doute enhardi la coalition anglo-américaine qui, voyant que Poutine n’a pas déclenché d’offensive dévastatrice, a gagné en confiance et en optimisme mais surtout a gagné du temps, osant carrément un soutien militaire toujours plus massif, enrôlant y compris en Europe des pays neutres comme l’Autriche et la Suisse. La conviction dans les états-majors britanniques et américains, et dans la direction de l’OTAN que la Russie ne va pas se lancer dans une guerre à grande échelle en utilisant tout son arsenal, a conduit l’Occident à ne pas lésiner sur les envois de « mercenaires » et de « conseillers », de « forces spéciales » très bien formées et d’ailleurs en particulier françaises. A noter ce fait corroboré par la population civile : l’apparition d’unités de combat « anglophones », dont certaines d’apparence africaine, se distinguant clairement des soldats blancs ukrainiens !
C’est précisément parce que la Russie s’est comportée de manière aussi mesurée et circonspecte que les Anglo-Américains pensent désormais qu’ils peuvent continuer indéfiniment la guerre en Ukraine, et ce, avec des armes de plus en plus sophistiquées et destructrices, remplissant abondamment les caisses de de l’industrie d’armement américaine.
Alors oui, on peut poser la question : qu’attend donc Poutine pour y aller franco et sans pitié ? Les Russes attendent-ils d’être épuisés, encerclés et acculés pour vraiment se lancer ?
La guerre en Ukraine a en réalité placé Vladimir Poutine dans un dilemme très difficile, voire presque impossible à résoudre. S’il est prudent et ordonne une opération militaire de portée limitée -comme il l’a fait- les Anglo-Américains sont encouragés à intensifier et à prolonger la guerre, en utilisant l’Ukraine comme bélier, champ de bataille et fournisseur de chair à canon. Mais alors pour la Russie cela conduit à un effort de guerre soutenu sans véritable victoire en vue et pire, il est effectivement probable que le conflit fatiguera, déprimera la jeunesse et la société russe comme cela avait été le cas en son temps avec le conflit afghan, principale cause, à notre avis, de la chute de l’Urss. La protestation interne contre le leadership de Poutine pourrait prendre de l’ampleur.

En fait, dès cet été, nous ne comprenions pas trop bien pourquoi premièrement les Russes n’avaient pas agi beaucoup plus tôt dès la rupture des accords de Minsk et qu’ensuite en février et mars 2022, ils n’aient pas de suite directement bombardé Kiev avec une fermeté totale. Pourquoi finalement les Russes ont-ils laissé l’Ukraine continuer de s’armer jusqu’aux dents par les Anglo-Américains ? Pourquoi donc l’offensive russe n’est-elle pas beaucoup plus intense et plus ambitieuse, frappant par exemple l’Ukraine durement au cœur de ses infrastructures ? Cela aurait envoyé en effet à l’OTAN et aux pays de l’UE un message fort. Effrayés, les gouvernements européens n’auraient pas forcément sauté immédiatement dans l’envoi de matériel militaire à Zelensky. Les États-Unis auraient donc pu ordonner alors au président ukrainien de s’asseoir et de négocier.
Mais nous comprenons aussi le dilemme russe car si la Russie avait attaqué à grande échelle – avec pour conséquence la multiplication, entre autres, du nombre de victimes civiles ukrainiennes -, cela aurait correspondu aux souhaits occidentaux et même cela serait entrée dans les plans des Etats-Unis, du moins de ses faucons qui veulent qu’une guerre à grande échelle contre la Russie éclate en Europe, même si dorénavant elle pourrait impliquer l’utilisation de bombes nucléaires tactiques. Les États-Unis veulent détruire la Russie (https://www.breizh-info.com/2022/09/06/207529/alain-de-benoist-la-guerre-qui-se-deroule-actuellement-en-ukraine-est-en-fait-une-guerre-des-etats-unis-contre-la-russie-interview/), la balkaniser, tout en épuisant les économies de l’Union européenne.
Mais alors comment donc en finir avec l’Ukraine ?
Deux voies s’ouvrent désormais :
- Soit l’Occident se prépare à une guerre longue et de plus en plus provocatrice contre la Russie (y compris avec des attentats terroristes sur le sol russe comme celui qui a tué Daria Dúgina),
- Soit on s’attend à une réaction très violente de Poutine qui justifierait une attaque massive de l’OTAN contre la Russie, ce qui déclencherait une guerre totale en Europe, faisant usage alors très probablement des armes nucléaires d’un type ou d’un autre.
Aujourd’hui, nous assistons, semble-t-il, au choix de la première option.
Mais qu’on ne s’y méprenne pas dans les deux options, il n’y a aucune bonne solution pour la Russie parce que tout simplement l’OTAN n’a pas du tout l’intention de négocier la paix. L’OTAN veut la guerre contre la Russie en Europe. L’OTAN est déterminée à provoquer la guerre.
Or, c’est ce que sait Poutine et ainsi, sa mollesse ne devient-elle pas une vertu ? La Russie veut à tout prix éviter une guerre totale. Mais comme dans une partie d’échecs où l’adversaire vous coince, le président russe est, de fait, à court d’options.

L’Amérique a besoin de la guerre en Europe à tout prix. Elle a besoin de la guerre pour soutenir son économie, maintenir sa prépondérance mondiale et corriger le sombre tableau des démocrates lors des élections de mi-mandat qui arrivent. Vladimir Poutine au contraire ne souhaite pas du tout la guerre, mais, a-t-il enfin compris, qu’il ne peut et ne pourra plus l’éviter, les populations européennes complètement assujetties à la propagande atlantiste étant incapables par un soulèvement dans la rue contre leurs gouvernants à inverser le cours des choses même si par des informations non relayées en France, il y eut le 3 septembre dernier, à Prague en Autriche, pays neutre normalement, une imposante manifestation contre l’envoi supplémentaire d’armement militaire à l’Ukraine réclamant la démission du nouveau gouvernement autrichien de centre-droit puis le 5 septembre à Leipzig le même type de protestation ?
A la contre-offensive ukrainienne très médiatisée, le gouvernement russe a semblé comprendre le coup de bluff de Zelenski et réagit puisque le 11 septembre, en quelques heures, les missiles Kalibr, lancés par la marine ont laissé le régime de Kiev sans électricité, endommageant les centrales thermiques de Kharkov, Krementchoug, Pavlograd et Dniepropetrovsk. A cela s’est ajouté l’arrêt complet de la centrale nucléaire de Zaporozhia, qui produisait 20 % de la lumière en Ukraine. Mais reste peut-être à allerplus loin : à déclarer officiellement la guerre à l’Ukraine.
Il est évident qu’une déclaration de guerre officielle supposerait un changement qualitatif très substantiel du conflit, la non-déclaration actuelle visant à empêcher l’Occident d’être contraint de donner une réponse militaire explicite sur le terrain. En cas de déclaration de guerre officielle, le confinement de l’Alliance ne résisterait pas, et ces pays seraient obligés d’envoyer des troupes sur le territoire ukrainien. Poutine n’a pas déclaré la guerre pour une raison simple : éviter l’escalade du conflit qui pourrait le rendre imprévisible. La déclaration de guerre modifierait de fait substantiellement le panorama. Pourtant plus probable est cette option d’intensifier la guerre en la déclarant explicitement que l’utilisation de l’arme nucléaire dont on nous rabat les oreilles pour nous faire peur.
Nonobstant, la Russie ne semble pas être dans les conditions objectives d’une guerre ouverte et totale impliquant directement l’Alliance atlantique, aujourd’hui nettement supérieure militairement.
L’option rationnelle demeure donc toujours d’accepter l’échec de l’opération, de se retirer des territoires occupés et d’essayer de maintenir la souveraineté sur l’Ukraine et l’existence de républiques séparatistes dans le Donbass, ce que, hélas, l’Ukraine ne semble pas disposée à admettre aujourd’hui.
Après un certain échec géopolitique russe (renforcement et élargissement de l’OTAN et du lien transatlantique, perte de la Baltique et de la mer Noire, et consolidation d’une conscience nationale ukrainienne et anti-russe), la position de Poutine paraît étroite et ses véritables options de pourparlers de paix, de négociations ont disparu, réduisant considérablement ces choix. Néanmoins, sur les plateaux télévisés, les « experts » oublient que l’arsenal russe est aussi meurtrier que celui de Washington et qu’il a les moyens de réduire l’Ukraine à l’état de friche, tout comme les Anglo-Saxons l’ont fait avec l’Allemagne, le Japon, le Vietnam, l’Irak, la Syrie, la Libye.
En complément et pour modération :
L’armée russe aurait repoussé un assaut des forces ukrainiennes qui tentaient de
reprendre la centrale nucléaire de Zaporijjia. Plus de 250 membres des forces
navales ukrainiennes avaient en effet tenté de débarquer sur le littoral du lac où se trouve la
centrale. Les Russes ont détruit tous les bateaux. D’ailleurs, qui bombarde la centrale nucléaire de Zaporijjia ? Pas les Russes qui l’occupent. Selon les experts de l’AIEA sur place, la centrale quoique déconnectée du réseau général, continue de fonctionner « grâce à ligne de secours » et les Ukrainiens ont confirmé avoir frappé une base russe à Enerhodar (sud), non
loin justement de la centrale nucléaire de Zaporijjia. Ce qui confirme que ce sont bien les
Ukrainiens qui mettent en danger la centrale nucléaire.
Superbe analyse
Félicitations