LA GUERRE EN UKRAINE VUE DU COTE RUSSE

Par Michel GAY

L’OTAN et l’Union européenne, en repoussant toujours plus à l’est leurs frontières et leur influence (Pologne, Etats Baltes,…), ont imprudemment défié la Russie. Cette dernière s’est « fâchée » et défie maintenant l’Occident d’aller plus loin, notamment en Ukraine.

La Russie veut montrer que l’ère de la domination occidentale mondiale est révolue et qu’elle obtiendra par la guerre la réunification du « peuple russe » qu’elle n’a pas obtenue par la négociation.

Une publication édifiante

La Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) a traduit du russe au français un éditorial de l’agence russe RIA Novosti accidentellement mis en ligne le 26 février 2022 et titré « L’avènement de la Russie et du nouveau monde » signé du chroniqueur russe Pyotr Akopov.

Le projet impérialiste conçu par Poutine (la russification de l’Ukraine et de la Biélorussie) y est présentée comme le point de départ d’une recomposition de l’ordre mondial.

Cette publication devait avoir lieu après l’occupation complète de l’Ukraine par la Russie. Elle a été rapidement supprimée mais le service Web d’Internet Archive a réussi à la conserver.

Le texte ci-dessous constitue une synthèse simplifiée de cette publication visant à essayer de mieux comprendre le point de vue de Vladimir Poutine et d’une partie des Russes, selon l’éditorialiste russe Pyotr Akopov. Il ne reflète pas l’opinion de l’auteur.

La Russie veut restaurer « son unité »

Un nouveau monde idéologique et socioéconomique « en trois dimensions » apparait sous nos yeux suite à l’opération militaire russe en Ukraine qui vise :

1) à faire revenir l’Ukraine en territoire russe,

2) la redéfinition des relations entre la Russie et l’Occident,

3) la construction d’un nouvel ordre mondial.

L’effondrement de l’Union soviétique en 1991 a été considéré comme une « terrible catastrophe » par une partie des Russes. Cette « dislocation contre nature » devait être surmontée et la Grande Russie restaurée, y compris par des sacrifices, d’où les événements tragiques d’une « quasi-guerre civile » où des « frères » séparés par leur appartenance aux armées russe et ukrainienne se tirent dessus.

L’objectif de cette guerre est de rétablir la Russie dans son intégralité historique rassemblant « le peuple russe », c’est-à-dire les Grands-Russes (la Grande Russie est le nom historique des territoires de la Russie centrale européenne, et plus tard, de toute la Russie), les Biélorusses, et les Petits-Russes (nom historique de la majorité de l’actuelle Ukraine en usage sous l’Empire russe).

Cette « réunification » doit être menée pour ne pas « trahir la mémoire » de leurs ancêtres.

Régler le problème de l’Ukraine demeurait donc la priorité de la Russie pour deux raisons essentielles :

1) la sécurité nationale de la Russie (ne pas laisser l’Ukraine devenir une anti-Russie),

2) laver l’humiliation nationale d’avoir perdu une partie de ses fondations (Kiev), et de devoir supporter l’idée de l’existence de deux États, de deux peuples, en se rappelant en grinçant des dents l’époque où « nous avons perdu l’Ukraine ».

Quid de l’Ukraine ?

Au fil des décennies, la réunification de la Russie avec l’Ukraine serait devenue de plus en plus difficile. La « dérussification » des Russes vivant en Ukraine et la propagande antirusse auraient pris de l’ampleur. Si l’Occident avait consolidé le contrôle géopolitique et militaire en Ukraine, le retour à la Russie serait devenu impossible puisque les Russes auraient dû affronter tout le bloc atlantique (l’OTAN).

Le retour visé de l’Ukraine à la Russie ne signifie pas que l’Ukraine perdra son statut d’État. Elle sera réorganisée en tant que partie intégrante du monde russe.

Sous quelle forme et avec quelles frontières ?

Une alliance de l’Ukraine avec la Russie sera-t-elle établie par l’intermédiaire de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC) et de l’Union économique eurasienne ?

L’Etat Ukrainien sera-t-il inclus dans « l’Union de Russie et de Biélorussie » ?

Relations entre Russie et Occident

La deuxième dimension de la nouvelle ère qui s’annonce concerne les relations de la Russie (et donc du « nouveau monde russe », Russie, Biélorussie et Ukraine agissant comme une seule entité géopolitique) avec l’Occident.

L’Occident voit la Russie « revenir à ses frontières historiques » et s’en indigne bruyamment. Mais croyait-il vraiment que Moscou renoncerait à Kiev au moment où l’Europe s’unit ?

L’unification de l’Europe n’a été rendue possible que par celle de l’Allemagne qui s’est faite grâce à la bonne volonté russe. La prétention aux terres russes est une bêtise géopolitique.

L’Occident dans son ensemble, et l’Europe en particulier, n’avait pas le pouvoir d’enrôler l’Ukraine dans sa sphère d’influence.

Pour ne pas l’avoir compris, il y a maintenant une guerre.

Ne pas parier sur la poursuite de l’effondrement de la Russie (c’est-à-dire de la Fédération de Russie) aurait dû être clair il y a au moins quinze ans, après le discours de Poutine à Munich en 2007. Même les sourds auraient pu entendre que la Russie était de retour.

Aujourd’hui, l’Occident essaie de punir la Russie d’être revenue et d’avoir arrêté l’expansion occidentale vers l’est. L’Europe croit que ses relations avec la Russie sont d’une importance vitale pour elle, mais ce n’est plus le cas depuis longtemps.

Un nouvel ordre mondial

Le monde a changé. Les Européens et les Anglo-Saxons qui gouvernent l’Occident comprennent que toute pression occidentale sur la Russie sera vaine. Les dégâts dus à l’escalade d’une confrontation seront bilatéraux. La Russie y est préparée. Une aggravation de l’opposition entraînera pour l’Occident des coûts importants, dont les principaux ne seront pas forcément économiques.

L’Europe voulait l’autonomie mais c’est un non-sens stratégique si les Anglo-Saxons y maintiennent un contrôle idéologique, militaire, et géopolitique puisque ces derniers ont besoin d’une Europe sous contrôle.

Cependant, l’Europe doit chercher son autonomie pour le cas où les États-Unis s’isoleraient, ou se concentreraient sur la région Pacifique qui devient aujourd’hui le centre de gravité géopolitique du monde.

Les Anglo-Saxons entraînent l’Europe dans une confrontation avec la Russie et privent ainsi les Européens de toute chance d’indépendance.

Les atlantistes se réjouissent aujourd’hui que la « menace russe » unifie le bloc occidental mais, ayant perdu tout espoir d’autonomie, le projet européen s’effondrera à moyen terme.

La construction d’un nouveau rideau de fer isolerait l’Europe dans un enclos.

Un nouveau monde multipolaire

Un monde multipolaire est enfin devenu une réalité. Dans cette opération militaire en Ukraine, seul l’Occident s’oppose à la Russie. Le reste du monde comprend que ce conflit répond à l’expansion géopolitique des atlantistes. C’est le retour de la Russie à « son espace historique » et à sa place dans le monde. La Russie n’a pas seulement défié l’Occident, elle veut montrer que l’ère de la domination occidentale mondiale est révolue. Le nouveau monde sera construit par toutes les civilisations en collaboration avec l’Occident (uni ou non), mais celui-ci ne pourra plus i