Par Bernard PLOUVIER
Au milieu des années 1970, un sociologue désabusé, Stanislav Andreski (né Andrzejewski), faisait de l’écriture historique de la seconde moitié du XXe siècle une de ces « sciences sociales » – une appellation qui est en soi un superbe exemple d’antinomie – où « le flot de publications » va de pair avec « une indigence d’idées neuves… la répétition sans fin de platitudes et de la propagande déguisée [par] des arrivistes mercenaires… des auteurs routiniers, incapables d’émettre une pensée personnelle ». Il ajoutait de façon très juste – et toujours d’actualité : « Le monde de l’édition favorise la standardisation ».
De fait, on ne vend bien que des recueils de poncifs, fondés sur le principe de l’antithèse manichéenne. Plus précisément, l’écriture historique des années 1920-45 se résume toujours au triomphe des agents du « Bien » sur ceux du « Mal », des « Bons » contre les « Méchants »… même si depuis l’expression de l’antijudaïsme stalinien durant les années 1950, et surtout depuis l’effondrement de l’URSS, les marxistes moscoutaires sont passés du registre des « idéalistes un peu excessifs » à celui des « très vilains ». Pour obtenir de gros tirages, la recette la plus simple consiste à flatter le lectorat, en lui assénant une foule de détails – réels ou supposés – qui corroborent ce que croit savoir le lecteur moyen, soit, pour ce qui est du fascisme et du nazisme, ce qu’en a dit la propagande des vainqueurs de 1945.
« L’histoire telle qu’elle est écrite et enseignée de nos jours vise essentiellement l’endoctrinement », nous dit Andreski. A contrario, qui s’écarte de la soupe populaire ne peut espérer toucher un vaste public… du moins dans l’immédiat, car un temps vient où l’accumulation de faits discordants, de réalités dérangeantes, finit par troubler les individus dotés d’esprit critique et d’une forte surconscience (ou conscience éthique, comme on voudra).

Un brillant médiéviste, Jacques Heers, a soutenu, sans encourir de poursuite judiciaire, que l’ensemble de l’historiographie du Moyen Âge n’était qu’imposture. Un universitaire d’Italie, juif et ancien marxiste mort en 1996, Renzo de Felice, a très justement écrit : « Par nature, le travail de l’historien est révisionniste, dans la mesure où son travail s’appuie sur ce qui a été mis à jour par ses prédécesseurs et cherche à corriger, approfondir et clarifier sa reconstitution des faits »… du moins lorsque l’écrivain d’histoire fait œuvre innovante au lieu de se contenter de copier ses petits camarades ou de répercuter la propagande du clan des maîtres du Pouvoir ou des gagnants de la guerre économique.

Il a fallu dix-neuf siècles pour que le petit monde des historiens de l’Antiquité se rende enfin compte que Néron avait été un fort bon Princeps senatus (si l’on préfère, un « empereur romain ») et que, s’il avait eu un comportement privé d’histrion débauché comme un vulgaire Président de la Ve République française, il n’avait pas plus bouté le feu à quelques quartiers de Rome qu’il n’avait ordonné de tuer des chrétiens… de pieux faussaires avaient, au IVe siècle, caviardé d’antiques manuscrits et la crédulité des historiens avait fait le reste.
À considérer la façon dont certains historiens « révisionnistes » commencent enfin à décrire sereinement certaines époques troublées de l’histoire humaine – entre autres exemples possibles : l’organisation réelle de la Traite des Noirs, où des chefs de tribus noires, des mahométans et des Juifs jouèrent un plus grand rôle que les Goyim d’Europe ; les origines économiques de la Civil War (la Guerre de Sécession des USA), ou encore les raisons économiques de l’entrée en guerre des USA durant la Grande Guerre -, on peut effectivement constater un lent progrès dans la compréhension des événements et dans la présentation étiologique des faits réels, même si les auteurs (et bien davantage les auteures) de notre époque, qui ont soif de gloire et d’argent, poursuivent la noble et très rentable entreprise du bourrage de crânes, ajoutant leur couche de légende, blanche ou noire, sur les sujets traités et les personnages décrits.
Hérodote ne trompait que ses lecteurs (peu nombreux à chaque génération) avec ses chiffres fabuleux ; les estimations chiffrées du grandiose Jules César étaient tout aussi bizarres. Le faussaire Michelet a encore un peu de succès, lui qui mettait dans la bouche des personnages de l’histoire de France « les phrases qu’ils auraient dû prononcer », et les phrases de cet autre Jules étaient indéniablement de belle facture, ce qui en a assuré le succès. Les « historiens » chauvins qui ont enrobé de leur sauce nationaliste les événements de la Grande Guerre n’ont fait recette que dans leur patrie.

Sur les points très précis des attendus du jugement du premier des treize procès infligés à Nuremberg par les vainqueurs alliés aux vaincus allemands (le Tribunal Militaire dit « International », alors qu’il aurait fallu le qualifier d’Interallié, pour signifier que les vainqueurs s’étaient arrogés le droit de juger les vaincus, étant à la fois juges et parties prenantes des procès) et du génocide juif (rebaptisé du terme théologique et non historique Shoah en hébreu), la critique du fond et de la forme est devenue légalement condamnable, sur le territoire français, par la loi du 13 juillet 1990, votée par les valeureux députés – en dépit de l’avis plusieurs fois exprimé par les sénateurs – à l’initiative du communiste Jean-Claude Gayssot, loi « consolidée », c’est-à-dire renforcée dans sa puissance répressive, les 24 février 2004 et 7 août 2009.

Il est piquant de constater que c’est à un membre du Parti Communiste que l’on a soufflé l’idée de cette loi qui ramène la France aux bons temps de l’Inquisition et apparente la Ve République à l’URSS du bon Joseph Dougashvili-« Staline ». La Loi Gayssot ose, en effet, imposer une « vérité historique » estampillée d’État, ce qui est le propre du totalitarisme, qu’il soit d’origine religieuse ou politique ne changeant rien à l’affaire. On aurait pu penser que cette législation d’exception, authentique honte d’un État dit démocratique, disparaîtrait vite, par l’effet d’un refus indigné des magistrats d’en user. Que nenni ! Elle fut largement appliquée par des juges aux connaissances historiques parfois hésitantes, mais au carriérisme impeccable. Bien plus, elle fut imitée presque partout dans l’Union Européenne, tant il est vrai que la France demeure la « terre des lois », si elle n’est plus – et depuis longtemps – celle des arts ni des armes.
En Allemagne, fédérale puis réunifiée, la modification de l’article 130 du Code pénal, en date du 1er décembre 1994 (et son renforcement, en matière de puissance répressive, le 11 mars 2005), a réalisé une authentique codification de l’écriture historique pour les années 1933-1945. Il existe une législation « antirévisionniste », au titre de « l’antiracisme » (comme si les deux phénomènes, le révisionnisme historique et le racisme, étaient indissociables), en Autriche depuis 1992, en Suisse depuis 1994, en Belgique depuis 1995, en Espagne depuis 1996, etc. Et la censure s’est, bien sûr, étendue (avec un succès mitigé pour des raisons techniques évidentes) au Net.

Bienheureux sont les libres citoyens des USA, protégés par le 1er Amendement de leur Constitution, voté par les Congressmen le 15 décembre 1791 : « Le Congrès ne fera aucune loi… qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse ».

Voltaire était-il trop optimiste lorsqu’il écrivait : « Un temps viendra où les haines seront éteintes, alors la vérité restera seule » ? Plus probablement, en ces temps futurs, et peut-être mythiques, où l’objectivité serait enfin vénérée, les narrateurs pourraient écrire, en toute liberté, ce qui se rapproche le plus de la réalité des faits historiques, la « vérité » – celle de la psychologie des concepteurs et des acteurs d’une époque historique – étant par nature insaisissable.
