Par Michel LHOMME
Il n’y aua pas de surprises de dernière minute et Scholz sera bien le prochain chancelier allemand, dans un gouvernement de coalition formé avec les Verts et les libéraux du FDP. Ce retour du SPD sur la scène allemande à quelques semaines des élections en dit long sur la faiblesse de ses rivaux et les erreurs politiques de Merkel.
Les élections fédérales allemandes nous ont laissé de fait un panorama politique ambigu : le SPD l’a emporté (25,7%, 206 sièges) mais la CDU (24,1%, 196 députés) a conservé assez de sièges pour prétendre continuer à gouverner; les Verts ont fait moins bien que prévu (14,8%, 118), mais entreraient dans presque n’importe quel futur gouvernement. Du coup, les Verts et les Libéraux (FDP, 11,5%, 92) détenaient la clé du prochain exécutif.
Pour le SPD, la victoire de son candidat a été l’aboutissement d’une campagne de rêve. Tout au long de 2021, le parti a toujours été à la traîne – à la mi-août, sans aller plus loin, le baromètre électoral de The Economist lui donnait 1% de chances de terminer premier. Aussi nul doute que le retour surprise du SPD est dû en grande partie à la faiblesse de ses rivaux : contre une Annalena Baerbock qui n’a pas réussi à élargir la base électorale des Verts et un Armin Laschet qui a commis de nombreuses maladresses de campagne, Scholz avait réussi à rester en retrait au plus fort de la campagne, à défendre sa gestion en tant que vice-chancelier et à se vendre tout doucement comme le plus merkelien des candidats. Cependant, se concentrer sur ces aspects reviendrait à sous-estimer l’habileté politique dont on fait preuve à la fois les socialistes et leur candidat. Pour bien comprendre la victoire un peu surprenante du SPD, il faut redécouper en deux moments la campagne électorale allemande. Tout d’abord, jusqu’en août 2020, lorsque Scholz fut nommé candidat à la chancellerie après huit mois d’âpres négociations internes, les deux ailes du parti – la gauche et la modérée – avaient choisi de resserrer les rangs autour de leur candidat, faisant preuve finalement d’une unité sans précédent autour de celui qui, quelques mois auparavant, avait pourtant perdu leur primaire. Deuxièmement, de mars à juin 2021, au cours de cette interminable traversée du désert – avec la CDU et les Verts en compétition pour la première place et le SPD avoisinant les 15% – les hommes de Scholz n’ont jamais jeté l’éponge, ils ont fait profil bas et ont attendu tout simplement que les Verts et les Démocrates-chrétiens s’usent progressivement. Cela fut payant : le manque de pression politique et l’inattention des médias sur sa personne ont permis à Scholz de peaufiner les discours qui allaient dominer sa campagne. À travers des mantras qu’ils récitaient en boucle tels que « respect », « dignité » et l’importance d’un travail bien rémunéré, le « scholzisme » a ramené sans en avoir l’air le SPD vers une social-démocratie plus classique, le transformant sans y prendre garde sur un terrain politique nouveau situé entre progressisme sociétal, type vision LGTB et pro-immigrationniste de la classe moyenne (idéologie bobo), l’ancienne classe ouvrière et la nouvelle classe des travailleurs précaires. Ce que la gauche française divisée par les questions d’identité, d’immigration, de l’insécurité et récemment de la woke culture demeure toujours incapable de réunir et d’opérer la synthèse.

Scholz a donc bien été le grand vainqueur des élections allemandes : sa marge de victoire était d’emblée nette puisque le SPD sera le principal groupe parlementaire au Bundestag et que le parti a amélioré son résultat par rapport à 2017 de plus de 5 points, contre huit que Laschet a perdu.
La CDU a obtenu en réalité le pire résultat de son histoire et le parti est maintenant en train d’imploser comme le fera demain les Républicains en France. Seize ans plus tard, il semble presque certain que la CDU entrera dans l’opposition, où elle devra se reconstruire, préparer déjà 2022, où elle devra faire face à quatre élections régionales.
Les clés du prochain gouvernement allemand
Au cours des dernières semaines, on a beaucoup écrit sur les divergences entre les trois futurs partenaires gouvernementaux, dont les divergences programmatiques en matière fiscale, environnementale et européenne pourraient condamner à terme la nouvelle coalition. Mais, encore une fois, il n’y a aucune raison de penser qu’un accord sémaphore, « feu tricolore » pour Le Monde ne dure pas.
En fait, malgré leurs différences programmatiques, les trois partis s’accordent sur de nombreux enjeux de politique sociale : ils comprennent la nécessité de moderniser les infrastructures du pays et soutiennent tous les trois, à tort à notre avis, l’approfondissement de la transition énergétique.
Même sur les questions les plus controversées, un accord minimum pourrait être trouvé : la gauche pourrait par exemple laisser tomber son impôt sur la fortune en échange d’un impôt sur les successions plus progressif tandis que les libéraux pourraient assouplir leurs demandes de réductions d’impôt en échange d’un système de bonus pour les entreprises qui investissent dans le tout numérique ou les industries vertes non polluantes. La clé, comme dans tout pacte de gouvernement allemand, résidera dans les détails des négociations, dans les désaccords éventuels sur la répartition des portefeuilles, (le SPD recherchera les Ministères de politique sociale, les Verts ceux du climat et de l’énergie, et le FDP ceux de l’économie et de la numérisation). Le FDP et les Verts demanderont la vice-chancellerie et tous voudront le puissant ministère des Finances. Mais encore une fois, le pragmatisme allemand prévaudra entre ces trois forces atlantistes et pas si différentes que cela et qui, pour des raisons différentes, sont intéressées à entrer au gouvernement : les Verts, pour accumuler l’expérience gouvernementale et construire un projet politique plus convaincant pour les prochaines élections ; le FDP, pour rattraper son erreur de calcul en 2017 et pouvoir se vendre comme le grand « modérateur » d’une administration de gauche ; et le SPD, pour jeter les bases de ce que Scholz espère être une « décennie social-démocrate ».
Or justement au cours des quatre prochaines années, l’Allemagne devra immanquablement faire face à une profonde transformation politique et il est vrai qu’elle l’aborde avec un certain degré d’incertitude, avec l’un des gouvernements les plus hétérogènes de son histoire récente mais elle a tout de même la certitude – du moins en est-elle convaincue – que ses politiques sociales et économiques auront un effet positif sur l’Europe oubliant trop vite au passage les problèmes imminents de demain : le retour de l’inflation, le règlement des dettes françaises et italiennes, l’arrivée continue de réfugiés, la question de l’approvisionnement énergétique (gaz russe et voitures électriques).
Au fil des jours, cependant, certains aspects de l’Allemagne à venir semblent de plus en plus clairs : le prochain gouvernement sera dirigé par Scholz, formé donc par des socialistes, des libéraux et des verts ; il sera cimenté par un accord de coalition qui sera difficile ensuite à gérer. Cette coalition gouvernementale sera « sémaphore », « feu tricolore » (de l’allemand « Ampel », sémaphore) et les Allemands parlent en effet de l’« AmpelKoalition » pour la coalition SPD-libéral-vert (des couleurs d’un sémaphore) alors qu’on évoquait la « Jamaika-Koalition », la coalition Jamaïque pour la coalition CDU-libéral-vert en raison des couleurs du drapeau jamaïcain. L’Allemagne en tout cas par son pragmatisme de coalition évite la radicalisation par les discours extrêmes que les systèmes de partis subissent dans de nombreux pays européens et plus particulièrement en France entraînant de facto l’éclatement des partis traditionnels, le rejet du politique par l’abstention massive, le piétinement programmatique sur quelques lubies populistes et au final la descente violente dans les rues.
