L’ISLAM EST-IL VRAIMENT EN EXPANSION ?

Par Yves MONTENAY

Si vous posez cette question, la réponse sera en général « évidemment », quel que soit votre interlocuteur, que ce soit un Français de base (surtout s’il vient de croiser une femme en voile intégral), un islamophobe ou un islamiste.

En fait, c’est très difficile à savoir. Je vais tenter de répondre.

D’abord, combien de musulmans ?

Pour se borner à des chiffres pas trop fantaisistes, on parle en général de 1,9 milliards de musulmans. Rappelons qu’il y a environ 7 milliards d’habitants sur notre planète, dont 2,4 milliards de chrétiens.

D’’où vient ce chiffre de 1,9 milliards ? Pas des recensements nationaux car rares sont les pays qui demandent leur religion à leurs citoyens. Habituellement, on prend l’ensemble de la population des pays réputés musulmans, et pour ceux qui ne le sont que partiellement, on prend une fraction au doigt mouillé.

Pour la France par exemple, les uns retiennent, à juste titre à mon avis, le chiffre de 5 millions mais d’autres celui de 10 millions. Vous me direz qu’une différence de 5 millions est faible par rapport au total mondial.

Des chiffres probablement au-dessus de la réalité

Le défaut de cette méthode est qu’elle sous-estime le nombre de non-musulmans dans les pays qui le sont officiellement, qu’il s’agisse de religions minoritaires ou plus souvent, à mon avis, d’agnostiques ou d’athées. Mais impossible d’avoir une idée du nombre de ces derniers, puisque la pression sociale les oblige souvent à ne pas se dévoiler.

Il y a toutefois deux indices : les sondages et les réseaux sociaux.

On constate un scepticisme croissant envers les autorités religieuses dans les pays musulmans, scepticisme confirmé par un sondage récent dont le point le plus inattendu serait l’agacement de 33 % des jeunes Tunisiens envers l’islam. Un témoin m’a même affirmé que cet agacement prenait la forme d’interpellations hostiles aux croyants, ce qui est très mal vu dans ce pays où les idées des anciens sont en principe respectées.

Par ailleurs il est de notoriété publique qu’une partie de la population turque et une forte proportion de celle de l’Iran ne sont plus croyantes, ainsi qu’une partie de celles des régions anciennement communistes d’Asie centrale et d’Albanie, où l’athéisme a longtemps été obligatoire.

Par ailleurs les sondages dans les pays occidentaux montrent un nombre de personnes « se déclarant musulmanes » très inférieur au nombre de migrants originaires de pays musulmans et de leurs descendants. Une partie s’est donc éloignée de la religion, tout comme les chrétiens et les juifs de ces mêmes pays.

Le deuxième indice se trouve sur les réseaux sociaux où foisonnent les groupes athées, laïques, « modernes » … extrêmement critiques envers l’islam. Les noms de famille utilisés et les événements auxquels ils font allusion montrent qu’il s’agit de résidents ou d’originaires d’Afrique du Nord. Les intervenants dans ces réseaux sociaux sont souvent plus virulents que ne le serait un membre français d’un parti d’extrême droite.

Bref retenir la population des pays dits musulmans mène à surévaluer le nombre des croyants.

Mais, pensent beaucoup d’Occidentaux, de toute façon, une croissance démographique rapide multiplie le nombre des musulmans.

C’est à nuancer fortement.

L’islam est-il en croissance démographique rapide ?

Dans tous les pays pauvres, musulmans ou pas, la croissance démographique a été très forte pendant une cinquantaine d’années, avec des chiffres très variables selon les pays.

Mais c’est maintenant terminé dans les pays musulmans « blancs » (du Maroc au nord de l’Inde) et « jaunes » (Asie de l’Asie du Sud-Est) ainsi que dans le sud de l’Inde et au Bangladesh. La fécondité y est en effet de deux à trois enfants par femme, ce qui n’a plus rien à voir avec les sept à huit enfants de naguère.

L’Égypte est ainsi à 2,9, la Turquie à 2,3 et les deux pays musulmans les plus peuplées d’Asie du Sud et du Sud-Est, le Bangladesh et l’Indonésie n’ont que 2,3 enfants par femme.

Mais il y a une exception importante et dramatique : l’Afrique subsaharienne où les principales zones musulmanes que sont le Sahel, le nord du Nigéria compris, et la côte est du continent. La fécondité y est encore très élevée avec cinq à sept enfants par femme.

An aerial view of Militants from the Movement for the Salvation of Azawad (MSA) a Tuareg political and armed movement in the Azawad Region in Mali

Donc, à part le cas important du Sahel, la période d’accroissement démographique rapide des musulmans se termine. Cela désole par exemple le président Erdogan qui adjure les femmes turques d’avoir au moins trois enfants.

Le nombre des musulmans vient principalement des conversions passées

Longtemps, le principal facteur d’augmentation du nombre de musulmans était la conversion, parfois à coups de sabre. Mais contrairement à ce que pensent les Européens traumatisés par les contraintes ou les massacres qui ont lieu aux limites de la chrétienté, notamment au Maghreb lors de la conquête arabe, la masse de ces conversions a été pacifique.

Elles se sont faites de deux façons : par des « missionnaires » et par la pression sociale.

Au Sahel comme en Asie « jaune », les commerçants venant de pays arabes s’étaient multipliés depuis trois ou cinq siècles. Ils ont présenté leur religion de manière très simple (un Dieu unique et tout-puissant), et elle a été adoptée, soit parce qu’on la trouvait supérieure à la religion locale (au Sahel et dans certaines zones hindouistes), soit parce que les souverains locaux y voyaient un intérêt commercial (en Indonésie).

L’exemple de ces souverains a été ensuite suivi par le peuple, comme cela a été le cas pour le christianisme au début de son histoire.

Quant à la conversion pour des raisons sociales et notamment fiscales, elle s’est faite progressivement au Moyen-Orient et dans l’Europe méridionale et orientale sous contrôle turc. Dans cette dernière région restent des îlots musulmans non négligeables (Bosnie, Kosovo, Albanie et plus partiellement Bulgarie, Monténégro, Serbie et Macédoine du Nord). Une partie de cette population a émigré vers la Turquie, mais la majorité est restée sur place.

Cette période de conversion massive semble terminée, la religion musulmane ayant moins de prestige dans beaucoup de ces régions. La pression sociale continue néanmoins ponctuellement, notamment en Égypte par le biais des mariages mixtes « à sens unique ».

Et l’islam est miné de l’intérieur

Non seulement l’accroissement rapide du nombre de musulmans appartient au passé, mais l’islam est miné de l’intérieur.

C’est la férocité de certains groupes, par exemple en Afghanistan ou au Sahel, ainsi que les attentats en Occident, qui donne cette impression d’accroissement rapide. Ces mêmes groupes, par ailleurs, maintiennent localement une fécondité élevée en interdisant l’école aux filles et en les mariant vers 13 ans.

Par contre cette férocité éloigne une partie des musulmans de leur religion. Et elle est notamment un argument des missionnaires évangélistes présents dans le monde entier, qui convertissent beaucoup de catholiques mais également de musulmans, même dans des pays où l’islam est officiel et ces missionnaires mal vus.

Un autre facteur du poids (et non du nombre) des musulmans est l’instrumentalisation de l’islam par certains États. Par la Turquie par exemple, depuis le virage islamiste du président Erdogan, ou par l’Iran pour les communautés chiites.

Et surtout l’islam n’est pas un bloc

En effet, la variété des musulmans fait que l’on ne peut pas parler de l’islam comme un tout. Quelques éléments communs comme l’appel à la prière en arabe ne compensent pas les différences de langue, de nationalité (un peu partout, le nationalisme concurrence la religion) et surtout les différences de tradition : l’islam wahhabite d’Arabie est loin de l’islam soufi sénégalais ou de celui imprégné de bouddhisme au fond de l’Indonésie.

Il ne faut certes pas négliger les appels à l’unité planétaire (« le califat mondial ») mais la dernière tentative autour de l’État islamique a été un échec. Remarquons qu’une masse de militaires qui l’ont combattu et vaincu étaient eux-mêmes des musulmans.

Mon avis personnel est qu’une partie croissante des musulmans va se séculariser et même abandonner la religion.

En effet, contrairement à la Chine, les musulmans ne peuvent se couper du reste du monde car les populations ne seront pas de sitôt prises aussi efficacement en main sur le plan technique (par opposition au plan social et policier) par les États musulmans. De toute façon les diasporas vont leur échapper.

Par exemple, les controverses sur la naissance de l’islam commencent à déborder du cadre universitaire. Quelles que soient les conclusions de ces dernières, l’habitude de la discussion des textes va se répandre avec la progression de l’alphabétisation.

Finalement, dire qu’il y aura bientôt 2 milliards et plus de musulmans est probablement faux et de toute façon ne signifie pas grand-chose : un médecin algérien d’un hôpital français, un islamiste du fonds du Sahel et un paysan indonésien ne constituent pas un groupe de trois personnes !

Source : www.yvesmontenay.com