Par Michel LHOMME
Face au slogan « La Patrie ou la mort » du régime communiste cubain, le peuple a opposé au début du mois de juillet 2021 « La patrie et la vie ». Les manifestants sortis de la banlieue de la Havane reprenaient là le titre d’une chanson de rap contestataire du chanteur Yotuel Romero et de cinq autres artistes cubains, sortie en février dernier sur You-Tube : « Plus de mensonges, mon peuple demande la liberté, plus de doctrines. Ne plus crier la patrie ou la mort mais la patrie et la vie, et commencer à construire ce dont nous avons rêvé, ce que vous avez détruit avec vos mains… ».
La pandémie de Covid 19 a totalement mis à nu la faillite de ce que le pouvoir communiste cubain présentait encore comme sa plus grande réussite : son système de santé à laquelle quelques illuminés français communistes ou mélenchonistes croyaient encore ignorant que les médecins cubains exportés à l’extérieur, en Afrique ou en Haïti, ne servaient que la propagande du régime alors que sur place, les rayons des pharmacies demeuraient désespérément vides.
On a vu à la télévision un médecin obligé d’utiliser son stéthoscope pour connecter deux bombonnes d’oxygène, des patients cherchant désespérément des médicaments via les réseaux sociaux. L’explosion de cas de coronavirus à Cuba a révélé le véritable état du système sanitaire du pays occulté par la propagande interne et externe des gauchistes, très actifs en particulier en France et qui faisait du système médical cubain la fierté et le pilier social de l’île. Or nous avions pu constater de nombreuses fois sur place le délabrement général de ce système, sa pénurie systémique.
Le 26 juillet dernier, Pedro Julio Miranda Guevara, docteur de 26 ans, est confronté à un dilemme: alors qu’il est de garde à l’hôpital Sud de la province de Villa Clara (centre), quatre patients se trouvent dans un état grave et il n’a que trois bonbonnes d’oxygène. « Vous vous imaginez jouer à être Dieu, en décidant qui doit vivre et qui doit mourir? Je me suis dit que si je ne faisais rien, l’un des quatre allait forcément mourir », raconte-t-il dans un audio envoyé sur Whatsapp. Paniqué, il cherche une solution pour partager une bonbonne entre deux patients. « J’ai eu une illumination, la solution était tout près de moi et j’étais incapable de la voir car elle était accrochée à mon cou »: son stéthoscope, dont il démonte alors le tube en Y qui, une fois connecté à la bombonne, permet d’avoir deux arrivées d’air. Une solution de bric et de broc similaires à toutes les solutions éphémères de survie quotidienne dans l’île qui illustre le délabrement existentiel et économique de Cuba depuis des décennies.
En fait, le principal atout du système sanitaire cubain, pilier social de la révolution – avec l’éducation – résidait surtout dans la prévention, une politique de vaccination obligatoire en direction des enfants en particulier et une bonne couverture médicale avec 82 médecins pour 10.000 habitants selon l’OMS (contre 32 en France et 26 aux Etats-Unis), Cuba apparaissait ainsi sur le papier comme le champion du monde dans ce domaine mais à part cela, hôpitaux et pharmacies ont toujours manqué de tout même si le régime se payait le luxe d’envoyer quelque 4.000 professionnels de santé en renfort dans une quarantaine de pays pour les aider face au Covid ou à d’autres catastrophes. Ces médecins privilégiés étaient toujours d’ailleurs d’ardents militants du régime, les autres pouvant crever dans les campagnes avec leurs salaires d’état non versés.
Après l’arrêt de l’aide soviétique, c’est avec le Covid 19, le départ des touristes devenus la seule source de devises extérieures qui a aussi plongé l’économie dans une situation que les Cubains, pourtant largement habitués aux pénuries, n’avaient plus connue depuis longtemps.
C’est donc le ventre vide, littéralement la faim qui a fait sortir les Cubains dans la rue début juillet. L’événement de taille est pourtant resté inaperçu en France. Pour la première fois depuis 62 ans que la dictature communiste est installée à Cuba – l’entrée des « barbudos » de Fidel Castro à La Havane date de 1959 –, des milliers de personnes ont envahi pacifiquement les rues d’une vingtaine de villes aux cris de « A bas le régime ! », « Dehors le communisme ! », « A fuera Díaz-Canel», Miguel Díaz-Canel étant la dernière – espérons-le ! -des marionnettes du système, désigné récemmentpour remplacer à la tête du parti – et donc dupays – Raúl Castro, frère cadet de feu Fidel et nonagénaire déclinant qui s’était retiré.
La répression des manifestants fut féroce, internet et les réseaux sociaux immédiatement coupés car en bon exécutant des principes établis et rodés par Lénine et Trotsky, Díaz-Canel ordonna à ses policiers d’affronter « en ordre de bataille » et avec la brutalité nécessaire qui s’impose ces « hordes de réactionnaires » qui n’avaient dans les mains quedes banderoles, des images de la Vierge Marie et des drapeaux américains. On n’en dit presque rien dans les journaux français ou en tout cas si peu alors que le choc fut sans pitié : il y aurait euplusieurs dizaines de morts parmi les manifestants et on dénombre déjàplus d’une centaine de disparus conduits dans les geôles du régime qui n’ont en fait jamais désempli durant six décennies. Non content de verrouiller l’Internet, la police du régime pourchassales photographes, bastonna les vidéo-amateurs afin d’empêcher la diffusion d’informations mais surtout d’images montrant sans masque la véritable nature de la répression. C’est dans la ville de San Antonio de los Baños, située dans une province adjacente à celle de la capitale, La Havane, que le soulèvement prit naissance et que la répression fut la plus terrible. La foule indignée se défendit à coups de cailloux et fait très rare là-bas s’empara même d’une voiture de police qu’elle renversa. C’est alors, semble-t-il, que paniqués mais toujours aux ordres du communisme, les militaires ouvrirent le feu et tirèrent dans le tas, comme ils allaient de nouveau le faire un peu plus tard devant chaque foyer insurrectionnel.
Même les campagnes furent touchées puisque nous savons par un ami cubain réfugié et peintre en bâtiment en France que sa famille vivant pourtant dans un village à l’écart de la capitale fut visitée violemment et qu’il fallut plus de quatre jours pour que tout redevienne calme et sans tirs.
La Havane, vitrine du régime en tant que capitale eut droit à un « traitement spécial ». En plus des violences, les autorités y bricolèrent à la hâte une grotesque opération d’intoxication. Sur la place de la Révolution ornée des gigantesques portraits des deux grands tueurs emblématiques du pays, Fidel Castro et Che Guevara, des commissaires politiques rassemblèrent une centaine d’affiliés au Parti afin que Granma, le quotidien officiel du Parti Communiste cubain, seul journal autorisé, puisse publier le lendemain des photos bien cadrées et toutes léchées d’une « foule » de « vrais révolutionnaires s’opposant aux suppôts du « colonialisme américain » (sic).
Le dimanche suivant, en bon vieux militant communiste, le Président Díaz-Canel appela « le vrai peuple » à descendre lui aussi dans la rue pour mater ce qu’il affirmait être une « contre-révolution », puisque les manifestants criaient « A bas la dictature » et osaient demander la liberté pour Cuba. Le jeune dictateur communiste se justifia dans une allocution télévisée : « Nous n’avons pas appelé le peuple à affronter le peuple, mais à défendre sa révolution ». Le peuple pour tout communiste cubain ou chinois, c’est en effet d’abord l’armée et la police politique. Ce « peuple » du dictateur cubain a donc procédé à de nombreuses arrestations sans aucune retenue ni vergogne : « Nous sommes prêts à tout », avait prévenu Díaz-Canel dimanche aux émigrés de Miami.
Certes, le président américain Joe Biden embourbé dans la question afghane avait réagi en évoquant les manifestations à Cuba mais il se garda bien de dénoncer la férocité de la police et de la répression. On peut même supposer qu’il lança au communisme tropical une sorte de bouée de sauvetage en levant toutes les sanctions économiques qui noyaient le très socialiste Venezuela, admirateur du castrisme. Ainsi, l’argent du pétrole de Maduro servira désormais à Díaz-Canel non seulement pour financer sa répression, mais aussi pour assurer la survie économique d’un étatisme et d’un système ruineux et inique.
En tout cas, sur le front de l’épidémie, dans la province de Holguin (est), des dizaines de médecins ont dénoncé, dans deux vidéos collectives, « l’effondrement » du système sanitaire. Le propre président Miguel Diaz-Canel a bien été obligé d’admettre, le 12 août, que « la situation actuelle de la pandémie a dépassé les capacités du système de santé ». Cuba, qui avait bien géré la crise sanitaire les premiers mois, affiche désormais des chiffres inquiétants. La moyenne de cas par jour, au 22 août, était supérieure « de 39,2% à la moyenne à fin juillet », selon le ministre de la Santé José Angel Portal. L’île de 11,2 millions d’habitants accumule 646.513 cas dont 5.219 décès. Pour Amilcar Pérez-Riverol, chercheur cubain de la Fondation Fapesp, à l’Université de l’Etat de Sao Paulo (Brésil), « la situation est grave, il y a une explosion de transmission du virus qui est hors de contrôle ». « Pendant de nombreuses semaines, Cuba a eu un taux de positivité (aux tests, ndlr) autour de 20% », quatre fois le taux signalé par l’OMS « comme une alerte de haute circulation virale », note-t-il.
Au final, Cuba vient de perdre son dernier mythe révolutionnaire : son système de santé. Ce n’est plus du tout une puissance médicale et elle ne l’a jamais été sauf à l’extérieur pour des raisons de politique étrangère. Le système hospitalier de cette île sous embargo américain depuis 1962 a toujours souffert depuis des années de fortes pénuries de médicaments et de matériel comme les respirateurs, par exemple, les scanners, le matériel d’opération moderne. Partir à Cuba, c’était aussi se charger de médicaments dans les valises pour tous les amis. Sur les réseaux sociaux, les messages de Cubains dénonçant la crise ou cherchant des médicaments se multiplient. « Mes amis, mon père est en thérapie intensive, avec les deux poumons atteints », s’inquiète sur Twitter par exemple Mag Jorge Castro, listant les traitements dont il a besoin, introuvables à l’hôpital. D’autres témoignages affirment que des patients ont été intubés sans anesthésie. Selon la télévision d’Etat, les Cubains attendent jusqu’à 24 heures avant de pouvoir être transportés à l’hôpital, et plusieurs journalistes de l’AFP ont constaté la pénurie de tests PCR et antigéniques.
La vaccination aurait-t-elle pris du retard ? Forte d’une longue expérience relevée plus haut, l’île avait développé ses propres vaccins contre le coronavirus, Abdala et Soberana, non reconnus par l’OMS et le pays s’était fixé comme objectifs d’avoir vacciné 70% de la population en août, puis 100% en décembre. Mais actuellement seuls 3,5 millions de Cubains sont immunisés (31,3%) pour un vaccin national dont on doute de l’efficacité. Fin mai, Yuri Valdés, directeur adjoint de l’institut Finlay, qui produit Soberana, a dénoncé l’embargo qui pénaliserait la production des vaccins nécessaires. De fait dimanche 29 août, l’île a commencé à utiliser le vaccin chinois Sinopharm en complément, dans la région de Cienfuegos (centre). Bonne mère et fin stratège, la Chine ne profiterait-elle pas une fois de plus du chaos pour placer de nouveau ses pions sur un autre endroit de la carte mondiale ?