CUBA PEUT-IL TENIR SANS LES CASTRO ?

Par Yves MONTENAY

Après la mort de Fidel Castro, puis la démission de son frère Raul, que devient Cuba ?

Cuba est un pays communiste style Corée-du-Nord, c’est-à-dire très en retard sur la Chine et le Vietnam qui ont choisi de se développer en tolérant un système capitaliste bien contrôlé politiquement.

Depuis 2009 le contraste s’est encore accru, la vie quotidienne des Vietnamiens s’est énormément améliorée, mais les journalistes continuent à être emprisonnés. Quant à la pauvreté des Cubains, elle s’est encore accrue, notamment suite à l’écroulement du Venezuela qui les fournissait en pétrole bon marché.

En 2016, je passais à La Havane qui bénéficiait d’un petit mieux économique dans son centre historique grâce à l’arrivée des touristes et une micro-libéralisation très prudemment lancé par Raul Castro, aux commandes depuis la démission de Fidel Castro pour raisons de santé.

Les téléphones mobiles furent autorisés et 600 000 actifs sur 4,8 millions purent devenir « travailleurs indépendants », c’est-à-dire souvent guide ou artisan ou logeur de touristes, les autres demeurant dans des organisations économiques du régime.

Quelques jours après, j’étais à Carthagène, ville très analogue à La Havane par son histoire et sa population. Le contraste était saisissant, bien que la Colombie ne soit pas un pays particulièrement moderne et développé. 

Un peu plus tard, le 26 novembre, mourait Fidel Castro. Ou plutôt, comme le sous-entendaient les Cubains, faisait semblant de mourir puisque

Fidel est toujours là : les dictateurs sont immortels !

C’est du moins ce que pensent les Cubains qui ont attendu la fin du cauchemar combien de décennies, pour constater que l’héritier est déjà en place et que ça va continuer. Raul, un peu « moins pire » que son frère Fidel, est bien installé, et on murmure que tel notable du parti nettement plus jeune est en train de bétonner la suite.

Comme Kim Jong-un, le dirigeant suprême nord-coréen qui prolonge la dictature de son père, est encore jeune, je souhaite une longue patience à ses compatriotes ! Il a déjà fait ses preuves en fusillant son oncle et en faisant crever de faim son peuple.

Cette résilience des dictateurs, en général « révolutionnaires », est un mystère pour nous qui avons été élevés en démocratie libérale et nourris de mythes sur les révolutions libératrices.

Mais le fait est là : la révolution engendre en général la dictature, et cette dernière a tendance à durer très longtemps. Demandez aux Russes, aux Algériens, aux Chinois, aux Éthiopiens, aux Érythréens et je m’arrête parce que j’en aurais pour deux pages !

Heureusement il y a quelques exceptions : Robespierre, que beaucoup admirent encore aujourd’hui, n’a pas eu de successeur du même style, et Hitler a été remplacé par une république libérale, mais il a fallu que l’ennemi détruise le pays pour y arriver !

Et le plus étonnant est que, comme pour Robespierre, il y a toujours des gens extrêmement sérieux et documentés pour nous montrer le bon côté du personnage : Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir ont chanté les louanges de Fidel Castro, et des décennies plus tard Danielle Mitterrand faisait de même, malgré l’accumulation de témoignages de répression et de plongée dans la misère !

Quant à Che Guevara il n’a arrêté ses activités sanglantes que parce que Fidel s’est débarrassé de lui en l’envoyant se faire tuer dans la jungle bolivienne. Mais il reste immortel sur les casquettes et T-shirts !

Ho Chi Minh a réussi à cultiver la légende de « l’oncle Ho » attendri par les enfants, mais sa révolution a commencé par une répression massive et sanglante de la paysannerie vietnamienne. Elle s’est poursuivie par une misère généralisée, masquée par la guerre contre le bien meilleur régime du Vietnam sud, accusé lui, de tous les maux, pourtant véniels par rapport à ceux du Nord.

De même pour le régime de Batista renversé par Castro : dans les deux cas avez-vous lu une étude comparant les niveaux de vie et de liberté avant et après ? Les ex-admirateurs, qui le sont souvent encore un peu, sont très discrets sur ces points.

Et peut-être Fidel Castro, comme Ho Chi Minh, comme Mao, comme Lénine, comme longtemps Staline, aura-t-il son mausolée pieusement visité par les touristes et les enfants des écoles.

Le seul point éventuellement positif, bien que controversé, de la révolution est la formation massive de médecins remplaçant, et bien au-delà, ceux qui ont émigré vers les Etats-Unis. C’est un point de propagande permanent, et ces médecins ont été exportés massivement dans les pays amis, d’où des rumeurs dont j’ignore la solidité sur le nombre restant à Cuba et le niveau de leur formation.

Une libéralisation économique très limitée…

Raul Castro, qui va sur ses 90 ans, a passé le pouvoir à Miguel Diaz-Canel, vieil apparatchik, avec comme programme « Unité et Continuité ». Pas de quoi faire rêver les Cubains ! Quoique le simple fait qu’on soit obligé de le rappeler laisse supposer qu’il n’y a pas unanimité…

Un petit pas de plus dans la libéralisation de l’économie a été la fusion des deux monnaies cubaines, de toute façon non convertibles (*). C’est une simplification et également la fin d’une occasion de trafic massif.

Ce système de double monnaie avait été mis en place pour que les touristes payent les prestations locales beaucoup plus cher que les Cubains. Pour ces derniers en effet, les prix et les salaires étaient très bas.

Mais de toute façon, comme dans tout pays totalement communiste, le prix n’a pas beaucoup d’importance, ce qui compte est que quelques produits apparaissent au magasin… une longue queue se forme alors immédiatement, et les plus démunis se proposent d’attendre pour vous moyennant quelques piécettes.

L’adoption d’une monnaie unique a entraîné la fixation du prix et des salaires à un niveau beaucoup plus élevé (*), ce qui ne change pas grand-chose : ce qui compte, c’est la disponibilité du produit.

Dans le même esprit de rapprocher les prix de la réalité économique, il est prévu depuis 2013 de supprimer la majorité des subventions tant aux entreprises qu’aux produits consommés par les particuliers. Le prix du pain devrait être multiplié par 20. Ces réformes essentielles mais très pénibles devrait être bientôt appliquées, malgré la récession venant de la chute du tourisme du fait de la pandémie (**).

Pour l’instant la possibilité de créer des entreprises petites ou moyennes, ce que tout le monde attend, ne s’est pas concrétisée « il y a des limites qu’il ne faut pas franchir, parce que ça mènerait à la destruction du socialisme » a rappelé Raul Castro en partant.

… et un récent déblocage d’Internet

Dans un premier temps, il y a eu une diffusion des téléphones cellulaires qui a dépassé les 2 millions en 2014. Mais l’accès à Internet ne pouvait se faire que dans 120 cybercafés et 3, 4 % des foyers …. Soit un total de 334 ordinateurs raccordés et une connexion coûtant 20 % du salaire mensuel moyen !

Imagine-t-on qu’en France un abonnement internet coûte 400€ par mois sur un salaire moyen de 2000€ mensuels ?

Le 2 juillet 2015, 35 sites de wi-fi ont été ouverts avec l’objectif d’un accès généralisé en 2020. Les blogueurs se sont multipliés … et sont suspectés d’être des ennemis politiques. D’où la multiplication de blogueurs « pro régime ».

Perseverare diabolicum ?

Évidemment, la réaction générale occidentale, mais aussi communiste asiatique, pense que l’urgence est de développer le secteur privé. Mais le blocage politique demeure, et chacun cite le vieux proverbe catholique : « On peut se tromper, mais persévérer dans l’erreur est diabolique ».

Or ce nouveau président, n’étant pas « un Castro », sera peut-être moins intouchable… quoique deux membres de la famille fondatrice ne soient pas loin dans la hiérarchie du parti communiste.

Et puis il y a Internet et ses idées subversives. Bref un changement est possible.

Toutefois cela irait à l’encontre de la tendance mondiale au renforcement des régimes autoritaires et des dictatures que l’on voit à l’œuvre en Chine, en Russie, en Iran, en Turquie et même en Inde, pourtant fière d’être la plus grande démocratie du monde.

Notes (étoilées) :

(*) Ouest France du 11 déc 2020 : Cuba: le salaire minimum multiplié par 5, le prix du pain par 20 : « La réforme fera disparaître en six mois le peso convertible ou CUC, aligné sur le dollar et né justement en 1994 pour accompagner puis remplacer cette devise. Ne restera que le peso cubain ou CUP, qui vaut 24 fois moins. »

(**) La Presse (Canada), 20 nov 2020 : Cuba face au défi d’attirer les touristes : « Financièrement, il y a urgence : privé de ce moteur économique (2,645 milliards de dollars en 2019), Cuba a dû réduire de façon importante ses importations, qui couvrent habituellement 80 % de ses besoins alimentaires. Partout, les files d’attente face aux supermarchés s’allongent, avec des pénuries de café, lait, papier toilette… »

Source : yvesmontenay.fr

COMPLEMENT EN REPONSE A QUELQUES COMMENTAIRES :

Ho Chi Minh derrière ses proclamations nationalistes pour rassembler les opposants à la France, bourgeoisie comprise, a toujours été profondément communiste stalinien, comme le confirment les traces de son séjour en France vers 1924

Pour Batista, les données sur le niveau de vie et le niveau d’éducation de Cuba montrent un pays moyennement développé, donc en très meilleur état que le Cuba castriste. Quant à la « pourriture » de son régime, notamment la corruption et la prostitution, il n’est pas évident que c’était pire qu’aujourd’hui, bien que je ne connaisse pas les petits secrets et donc la corruption actuelle. Par contre la prostitution était bien visible quand je suis passé à La Havane [et en particulier masculine ; NdR]. S’agissant de Batista, il faudrait préciser qu’il n’hésitait pas à utiliser une répression policière féroce contre ses opposants. Il était le parrain objectif des trafiquants de drogue, des proxénètes, des casinos véreux, des bordels à touristes, et couvrait la corruption endémique des affaires et de la politique. Il y avait comme dans toute l’Amérique latine de l’époque de grandes disparités de niveau de vie et d’éducation selon les classes sociales qui s’ajoutait à de la discrimination, le racisme créole en particulier. [on  notera que contrairement à ce qui se dit plus haut, ce racisme s’est maintenu dans les faits : Castro et toute sa clique sont des « blancs » ; NdR]. Pour l’essentiel, je dirais que Batista rassurait les intérêts des américains en Amérique centrale, ce qui n’est évidemment pas le cas des gouvernants castristes, d’où l’embargo inflexible décrété contre Cuba (c’est tout le problème diplomatique). Enfin concernant cette réputation de corrompue de Batista, connaissant les régimes communistes du Vietnam, de l’URSS et de l’Europe orientale, je pense que « Tout pouvoir absolu corrompt absolument », et donc que, quelque soit la probité personnelle des dirigeants (à qui je laisse donc le bénéfice du doute), son entourage profite de ce pouvoir absolu pour les pires trafics. Simplement, la mainmise sur l’information fait que ça n’apparaît pas en public dans les régimes communistes.

Note d’un lecteur-voyageur :

Il se trouve que j’ai fait un séjour d’un mois en été à Cuba, juste avant que l’embargo américain soit adouci par le président Obama (de toute façon, les touristes états-uniens passaient par le Canada ou le Mexique et aucun visa ne figurait sur les passeports, de même que les Cubains achetaient leur Coca-cola via le Mexique).
Avec ma compagne, nous avons été de « casa particular » en « casa particular » en bus local. Tous les Cubains que nous avons rencontrés (à La Havane, la Baie des cochons, Cienfuegos, Trinitad, Pinar del Rio… mais pas Varadero, dédié au tourisme, ni le Sud de l’île, faute de temps) étaient fiers de réussir à survivre malgré l’embargo, mettant en avant la puissance états-unienne face à la faiblesse de leur pays. En même temps, ils étaient lucides quant aux défauts de leur régime : dans ce pays dictatorial où absolument tout était contrôlé (y compris nos déplacements puisque le propriétaire de chaque « casa particular » devait en avertir immédiatement le commissariat local), certains n’hésitaient pas à nous expliquer que le manque de beurre ou de sucre était organisé par le gouvernement pour lui permettre ensuite de dire qu’il avait résolu le problème. La (non) convertibilité de la monnaie locale est un vrai problème. À l’époque, il y avait en fait trois monnaies à Cuba : le carnet de rationnement qui donnait droit à une certaine quantité de denrées de base chaque mois, le peso non convertible et le peso convertible (idéologiquement, le peso convertible valait l’équivalent du dollar, de sorte qu’au change on commençait par convertir l’euro en dollar – d’où une première commission – puis en peso convertible – d’où une seconde commission).
Le résultat pratique de cet état de fait était que tous les métiers étant payés 50 pesos par mois, de la femme de ménage au médecin en passant par l’instituteur, beaucoup de personnes exerçant des métiers tels que ces deux derniers commençaient par travailler pour le régime – car la possession d’une voiture n’était pas possible si ce n’était comme rétribution d’un travail fait pour le gouvernement – puis devenaient chauffeurs de taxi (souvent clandestins) ou loueurs de « casa particular », ce qui leur permettait d’être payé par les étrangers en peso convertible et donc d’améliorer leur niveau de vie. De ce fait, nous avons une fois logé chez un professeur d’économie à la fac auquel on avait demandé d’assurer aussi les cours de son collègue en physique dans la mesure où ce dernier était parti.
Il y avait un vrai problème alimentaire à Cuba dans la mesure où, en matière de viande, c’était poulet ou porc et rien d’autre, au point que les juifs de la synagogue nous ont expliqué qu’ils étaient autorisés à manger du porc. Pour le maîtriser à peu près, les jeunes qui faisaient leur service militaire (deux ans, si mon souvenir est bon) allaient cultiver les champs et ces denrées étaient ensuite vendues sur des marchés réservés aux Cubains porteurs de peso non convertible à un prix fixé par l’État.

J’ai parlé de la fierté des Cubains, mais il faut aussi parler de leur désespoir. C’est en tout cas l’interprétation que j’ai donnée à leur consommation de bière et rhum. Il n’était pas rare de voir sur une plage un cercle de Cubains dans l’eau jusqu’à la ceinture (elle est à une autre température que celle de la Bretagne…) en train de discuter tout en tenant négligemment à bout de bras des bouteilles d’alcool [typique des week-ends à la plage en Amérique latine ou en Afrique de l’Ouest comme par exemple au Nigéria où contrairement à la France on sait encore s’amuser à plein volume de musique malgré la survie ! ; NdR].

La question immobilière est un autre problème sensible à Cuba. Régime autoritaire ou non et étatisation de toutes les maisons ou non, Cuba reste une île où l’espace est plus que compté. Impossible, par exemple de trouver un chemin creux pour y pique-niquer : on arrive directement dans les champs, la moindre surface est exploitée. Pour en revenir aux logements, il n’est pas rare que plusieurs générations cohabitent. Pour l’immobilier la solution sur le reste de la planète a été de construire des immeubles, parfois très hauts, ce qui n’est pas toujours esthétiquement réussi certes … Mais à Cuba, qui aurait l’argent ou le pouvoir de le faire ? Si le régime s’assouplit on verra débarquer forcément des promoteurs étrangers ou les riches investisseurs cubains de Miami. 

Et la question que je me pose est celle de la flambée des prix dès que l’embargo cessera : les Cubains ne deviendront-ils pas alors encore plus pauvres ? À l’époque, les magasins d’État étant pratiquement vides, on trouvait de l’eau en bouteille (à La Havane) chez le photographe et des saucisses (canadiennes) à la station service, pour ceux qui avaient accès au peso convertible. Que se passera-t-il quand les États-uniens débarqueront avec leur pouvoir d’achat, que ce soit en matière alimentaire, vestimentaire ou immobilière, pour ne citer que quelques secteurs ?

Ce pays était en fait un monastère à ciel ouvert, mais sans forcément que tous ses occupants aient la vocation. L’adage selon lequel « la différence entre le communisme chrétien et le communisme athée, c’est que dans le premier cas ce qui est à moi est à toi et que dans le second ce qui est à toi est à moi » est ici adouci par la fierté collective d’un pays dont le système médical gratuit est envié au point que pour y entrer il fallait justifier qu’on n’y venait pas pour s’y faire soigner. Mais il n’en reste pas moins que dès que le collectivisme est imposé et non recherché, la porte est ouverte aux bricolages en tous genres…

Deux films sur Cuba à voir absolument :