par Yves MONTENAY
C’est reparti ! Une femme a été tuée par un islamiste, après d’autres Français. Vite, certains politiques proclament « il faut arrêter l’immigration ». Que la colère monte contre les assassins, c’est normal. Ce qui l’est moins, c’est d’utiliser un mot qui ne veut rien dire pour exploiter électoralement cette colère.
Commençons d’abord par déblayer le sens de ce mot, qui est variable suivant l’interlocuteur et son opinion politique, et ensuite voyons si « l’arrêter » ne déclencherait pas d’autres graves conséquences et empêcherait vraiment le terrorisme dont la vraie raison est ailleurs.
Immigration : de quoi parle-t-on ?
Au sens exact du terme, l’immigration c’est le nombre de personnes nées à l’étranger et s’installant en France chaque année, soit environ 200 000 personnes par an.
Chiffre qu’il faut diminuer des départs des immigrants des années précédentes, que personne ne connaît mais qui est important, notamment pour les étudiants ayant fini leurs études, et repartant soit dans le pays d’origine, soit à l’étranger, où j’en rencontre beaucoup… souvent les meilleurs. Et qui partent pour la même raison que les meilleurs étudiants français.
Mais, dans le langage courant, le mot, « immigration » a pris un autre sens. C’est l’ensemble des immigrés et leurs descendants.
On avance 20 millions pour faire peur
La publicité récente du Musée de l’Histoire de l’immigration, qui vient d’ouvrir Porte Dorée à Paris, parle d’« un quart » de la population ayant au moins un grand-père étranger, ce qui donnerait 17 millions aujourd’hui.
On utilise ce chiffre, arrondi à 20 millions voire davantage, parce qu’il fait peur, mais il comprend une forte proportion de Français ayant un grand parent sur quatre italien, espagnol ou portugais, donc des citoyens que personne ne peut qualifier d’immigrés même au sens le plus large.
Il y a aussi des millions de personnes ayant au moins un grand-père maghrébin. Même remarque : si c’est le seul grand-père de cette origine, les petits-fils en question n’ont rien non plus d’immigré au sens courant, même si par respect pour ce grand-père certains ont un prénom d’origine arabe. Et pas forcément « arabo- musulman » comme le dit pour effrayer.
Bref méfiez-vous des chiffres, tous ceux qui dépassent 10 millions n’ont probablement aucun sens concret.
Une confusion entretenue entre immigration, origine et religion
Restons une seconde sur une immigration définie comme étant les deux premières générations d’immigrés, en se basant sur le recensement Insee de 2015 dont les résultats sont parus en juin 2019 : environ 3,9 millions d’immigrés extra-européens, à peu près autant pour leurs descendants directs.
Cela représente 7,8 millions de personnes, mais qui comprennent par convention les enfants de la moitié des couples mixtes, en général assimilés ou en voie de l’être. Reste ainsi autour de 7 millions de personnes.
Ce chiffre comprend les Asiatiques dont de nombreux Vietnamiens, les Arabes chrétiens, libanais ou irakiens … et bien d’autres origines. Il comprend aussi les subsahariens chrétiens, ivoiriens par exemple.
L’analyse de l’Institut Montaigne
« Un islam français est possible » : le fameux sondage de l’institut Montaigne est peut-être l’étude la plus fouillée sur l’islam en France (septembre 21016).
Il en ressort que les personnes qui se déclarent musulmanes représentent 5,6 % de la population métropolitaine de plus de 15 ans soit environ 3 millions de personnes.
Après correction des chiffres de l’INSEE, pour enlever les moins de 15 ans dont il est trop tôt pour juger de la religion une fois adulte, on peut en déduire qu’environ 2 millions de personnes originaires des pays musulmans et de leurs descendants ont abandonné l’islam, en France ou dans le pays de départ.
Il ressort également de ce sondage qu’il n’y a ni « communauté musulmane », ni « communautarisme musulman » : le sentiment d’appartenance est avant tout individuel, il y a peu d’engagement associatif au nom de l’islam.
L’Institut Montaigne distingue trois groupes de musulmans
- 46 % en adéquation avec la société française,
- 25 % de très pieux, mais acceptant les lois de la république, dont la laïcité, qui signifie pour eux la liberté d’être musulman,
- 28 % qui font de l’islam une raison de révolte contre la société française, sans pour autant être traditionalistes.
Ce dernier groupe rassemble donc environ 900 000 personnes, ce qui a jeté un froid lors de la publication du sondage. C’est effectivement beaucoup, mais très loin des 20 millions d’immigrés dangereux jetés en pâture à l’opinion.
Mais il y a aussi un aspect économique : vous oubliez les chômeurs qui s’engraissent sur notre dos répondent souvent les « immigrophobes».
Les immigrés sont-ils des chômeurs ?
J’ai vu passer dans les réseaux sociaux la photo d’un groupe de noirs rigolards, photo qui avait comme légende « on se la coule douce pendant que ces crétins de Français nous entretiennent ». Il s’est avéré que la légende avait été rajoutée à une photo qui n’avait rien à voir et avait été copiée sur un site anglais.
Je ne dis pas que de tels cas n’existent pas, mais je soupçonne que c’est également le cas d’un certain nombre de chômeurs d’autres origines. Malheureusement la répétition de ce genre d’affirmation fausse l’image que le grand public a de l’immigration.
Il faut en effet se souvenir qu’un immigré, c’est quelqu’un qui a des dettes envers sa famille, qui a payé les passeurs ou l’entrée régulière, et qui, dettes ou pas, sait que ses proches attendent impatiemment de recevoir de l’argent de France. En 2019, les envois de fonds des émigrés en Afrique étaient supérieurs à l’aide publique des États du Nord, qui auraient vraisemblablement été obligés d’en faire plus sans ces envois.
On cherche donc activement du travail, et on trafique si on n’en trouve pas. Et il est plus difficile d’en trouver si l’on est discriminé, du fait du cercle vicieux dont je parle plus bas, ou si le logement est loin des transports en commun, comme c’est en général le cas des grands ensembles qui ont été construits sur des terrains peu coûteux car peu accessibles.
Essayons de chiffrer ce chômage
L’INSEE nous dit que le chômage de 16,3 %, pour les immigrés dont 19,3 % pour les actifs nés hors de l’Union européenne, c’est-à-dire sans les Espagnols, les Italiens… ni les Roms pour parler d’une petite minorité très « visible », et dont une partie des Français ignore qu’elle est chrétienne.
Le chômage est de 8,6 % pour les personnes nées en France, donc deuxième génération comprise. Il y a donc deux fois plus de chômeurs chez les immigrés au sens strict, et ce sont les Africains qui sont les plus atteints. Mais cela veut dire aussi que plus de 80 % travaillent…
La deuxième génération travaille moins que la première, parce qu’elle est en moyenne jeune et poursuit ses études d’après l’enquête « Trajectoires et origines » de l’Insee (2008). Les femmes sont moins touchées que les hommes, ce qui illustre leur meilleur succès scolaire dont j’ai recueilli de multiples témoignages.
Par ailleurs le problème du « ni étude, ni emploi officiel » est circonscrit à une partie des jeunes célibataires masculins, ce qui est confirmé par les recherches sociologiques disant que ce problème chute avec le mariage, probablement sous la pression de la femme et des sœurs : « Il serait temps que tu bosses ! ».
Et maintenant, voyons l’apport économique des 80 % qui travaillent.
Le rôle économique des immigrés et de leurs descendants
Nous avons évoqué les soignants, très nombreux à être de la première ou deuxième génération. On pourrait ajouter les caissières de supermarché, les employés de banque, les experts-comptables, voire tous les cadres supérieurs, journalistes et débatteurs dont nous voyons le nom de famille dans la presse.

Personnellement, je tiens à ajouter que sont aussi économiquement importants beaucoup d’actifs « d’en bas », telles les nounous africaines ou asiatiques qui rendent l’immense service à l’économie française de permettre à des mères de famille très qualifiées de pouvoir continuer à travailler.
Et, pour continuer avec les emplois modestes, notons que 27 % des maçons, 23 % des chauffeurs de taxi, 30 % des domestiques et des concierges sont des immigrés… (tiré de « On a tous un ami noir, pour en finir avec les polémiques stériles sur les migrations » de François Gemenne, spécialiste des migrations à l’université de Liège).
Et il n’y a pas que les salariés : le taux d’entreprenariat des immigrés est supérieur à celui des Français : c’est une première intégration classique quand on parle mal la langue et que l’on n’a pas de relations. Or un entrepreneur ne coûte rien à la collectivité, il lui apporte au contraire des cotisations et des taxes, et créé des emplois locaux s’il recrute en se développant.
Bref la pandémie vient de nous rappeler que presque tout le monde est « essentiel », que l’économie est nécessaire à la santé et réciproquement. Et que c’est vrai pour bien d’autres nécessités à commencer par la nourriture : nous allons habituellement chercher nos saisonniers au Maroc, ce qui est devenu difficile aujourd’hui du fait de la pandémie, et menace nos récoltes.
Aux Etats-Unis, l’immigration est perçue comme une richesse
Et ce n’est pas propre à la France, The Economist du 1er mai 2021 se félicite de l’immigration massive et variée aux États-Unis, en pensant que ça lui donne un avantage intellectuel et créatif sur la Chine qui est au contraire en train de se refermer.
C’est évident pour les étudiants et des cadres supérieurs, pour lesquels les Etats-Unis écrèment le monde entier, mais c’est vrai également pour les migrants latino-américains bloqués par Donald Trump à la frontière mexicaine et réclamés par les agriculteurs américains qui manquent de bras !
Quid des « territoires perdus » ?
Cela fait des années que nous sommes alertés sur les zones de non-droit, mais sommes intellectuellement paralysés par l’extrême gauche qui présente les délinquants en victimes systémiques du racisme et de la discrimination.
Il faut reprendre le contrôle de ces territoires.
Et pas seulement pour le principe mais aussi pour protéger la grande majorité de leurs habitants, issus de l’immigration ou pas, qui sont de plus en plus harcelés, voire réprimés, par les islamistes.
Ils seraient les premiers à se féliciter d’un retour à la normale, d’autant que, non seulement ils pâtissent de la situation actuelle, mais en plus « l’amalgame » leur nuit et renforce les discriminations et donc le cercle vicieux du chômage et du retard qu’il entraîne pour l’intégration.
C’est une des raisons du projet de loi « sur le séparatisme », dont le nom change au fil des débats.
Qu’en pensent les Français ?
D’après le sondage réalisé pour le Figaro et France Info les 28 et 29 avril 2021, 64 % des Français sont en colère en pensant aux attentats.
Parallèlement 74 % sont favorables à la loi pour lutter contre le séparatisme en projet, et 60 % trouvent efficace ses 4 principales dispositions :
- doubler le temps de surveillance des islamistes sortant de prison,
- fermer les locaux dépendant d’un lieu de culte faisant l’objet d’une fermeture administrative,
- tenir les individus fichés à l’écart des rassemblements,
- faciliter les interventions au domicile des personnes soupçonnées en amont des procédures judiciaires.
Et surtout les trois quarts des sondés sont prêts à livrer leurs données personnelles et à autoriser l’usage généralisé des algorithmes de collecte et d’analyse de données pour motif grave.
Tout cela va dans le sens du perfectionnement de la répression, mais il est bien évident que cela ne supprime pas le problème.
Revenons à sa source et demandons-nous si la question est bien posée.
L’immigration est-elle vraiment la cause des attentats ?
La réponse spontanée est : les assassins sont musulmans, les musulmans viennent de l’immigration, donc supprimons l’immigration. Je résume ici la réaction de Philippe de Villiers et de bien d’autres.
Attention : si on prend ce raisonnement à la lettre, et le mot immigration au sens courant, la supprimer signifie renvoyer une dizaine de millions de personnes.
Je pense que personne de sérieux n’approuve cette idée et n’ignore le coup terrible que ça porterait à l’économie française et à la paix civile, une partie de la population s’élevant forcément contre cette gigantesque injustice.
D’autres diront : il faut renvoyer « seulement » l’immigration musulmane (environ 3 millions de personnes).
C’est plus que délicat côté principe et valeurs, et puis comment savoir si une personne est musulmane quand une part de la population d’origine maghrébine ne l’est plus tant en France que dans le pays de départ : chez les jeunes Tunisiens, on trouve à la fois les deux personnes qui ont tué des Français en France, et 33 % qui ne sont plus musulmans et qui enragent des contraintes que la société traditionnelle tunisienne fait peser sur eux.
D’autres évoquent une mesure partielle : interdire toute nouvelle immigration. Mais l’immigration « ancienne » étant toujours là, qu’est-ce qui empêchera tel individu solitaire de se radicaliser sur Internet ?
Car on sait maintenant que ce qui passe les frontières pour produire du terrorisme, c’est l’activité des islamistes sur les réseaux sociaux. Voir notamment Le Monde du 13 novembre 2020 : Cinq ans après les attentats du 13-Novembre, la lutte antiterroriste au défi du numérique.
Le défi d’Internet… et surtout ceux qui sont derrière
Le débat sur l’immigration a donc le grave inconvénient d’occulter le véritable champ de bataille, les médias et notamment Internet.
Depuis 2015, les messages sont surveillés. Ils restent moins de temps mais sont très nombreux. La lutte contre le terrorisme se fait surtout à partir des données numériques et notamment les saisies de téléphones portables.
Ces progrès sont ralentis par la multiplication des messageries cryptées (Signal, Telegram…), présentés par leurs opérateurs comme préservant la vie privée… mais largement utilisées par les mafias de tout poil.
De toute façon, le travail des services de renseignement est difficile, s’agissant de plus en plus souvent de personne agissant seules. C’est une raison de plus pour ne pas impliquer l’immigration en général. Voir l’image très excessive, mais parlante : « il ne faut pas lancer des bombes atomiques sur la France pour éliminer quelques rats ».
Mais Internet n’est qu’un outil. Derrière, il y a toute une foule d’acteurs cherchant à diviser, à fanatiser soit pour des raisons religieuses soit pour des raisons géopolitiques.
Cela va du télé-évangéliste saoudien aux Frères musulmans qui ont encore un réseau solide en France, des activistes d’Al Qaïda et de l’État islamique au ministère turc des affaires religieuses, et j’en oublie beaucoup.
Cela vient aussi de puissances non musulmanes qui cherchent à diviser et affaiblir les pays occidentaux.
Chauffer l’opinion contre l’immigration n’est qu’un moyen parmi d’autres de susciter la zizanie, et ça marche !
Outre les renseignements obtenus par nos services, la simple logique et la lecture des sympathisants français de ces pays sont édifiantes.
Toute personne responsable ne peut qu’être effrayée par les violences islamistes. Mais la frayeur est mauvaise conseillère, et la compassion envers les victimes ne doit pas virer à une vision catastrophique de la situation.
Matériellement, le terrorisme n’est qu’un problème minuscule, sa menace est psychologique et sociétale.
Donc il ne faut pas se tromper de problème et favoriser le plan des islamistes de diviser la société. La dénonciation de l’immigration comme cause du terrorisme est exactement ce qu’ils souhaitent.
De plus, elle a l’inconvénient, à mon avis, de sacrifier la justice en accusant une partie de la population qui n’y est pour rien, et de disqualifier des actions humanitaires, certes parfois naïves ou contre-productives, mais qui cherchent à sauver notre honneur.
La question de l’intégration est extrêmement importante et passe par le respect de la loi. Mais cette intégration est sabotée par les accusations de terrorisme que l’on fait peser sur une partie de la population. C’est une erreur pour les plus sincères, une manœuvre pour ceux qui le sont moins et se prêtent à une manipulation géopolitique par ambition électorale.
Source : yvesmontenay.fr
(le titre est de la rédaction)