par Bernard PLOUVIER
Premier Consul, le 11 novembre, Bonaparte commence la reconstruction de l’État, établissant sa superstructure pour un siècle et demi : Conseil d’État (22 décembre 1799), Banque de France (13 février 1800), réorganisation administrative (17 février – 3 mars 1800), clôture puis suppression de la liste des émigrés (3 mars – 20 octobre 1800, avec une pleine amnistie, le 26 avril 1802), pacification religieuse et Concordat avec le Saint-Siège (signé le 15 juillet 1801, proclamé le jour de Pâques de l’année 1802), Franc germinal (7 avril 1803), Code civil (21 mars 1804), puis Code commercial (sous l’Empire).

Ce grand psychologue rétablit un ordre de chevalerie : la Légion d’Honneur est créée en 1802, mais les décorations ne seront distribuées que sous l’Empire. Les insurgés de l’Ouest font leur soumission en janvier-février 1800 et la gendarmerie, aidée de troupes de l’armée de l’intérieur, pacifie les campagnes où sévissaient des bandes organisées de pillards.
La paix – très provisoire – est conclue le 9 février 1801 avec l’empereur germanique, après la 2e Campagne d’italie, de mai-juin 1800, et la Campagne d’Allemagne menée par Moreau jusqu’en décembre 1800. Enfin le 25 mars 1802, un traité de paix est signé avec la Grande-Bretagne, dont le roi renonce au vain titre de « roi de France », une séquelle du XVe siècle.
En janvier 1802, Bonaparte a été élu Président de la République italienne par une consultation réunie à Lyon. Il est désigné Protecteur de la Confédération helvétique, en février 1803, puis coiffera, le 18 mai 1805, la Couronne de Fer des rois lombards, devenant roi d’Italie. Après plébiscite, l’Empire est proclamé, le 18 mai 1804. Napoléon est sacré empereur de la République française le 2 décembre 1804. Le 31 décembre 1805 est le dernier jour d’utilisation du « calendrier républicain ».

Mais la guerre a repris à l’initiative des Britanniques, qui vont payer les frais de toutes les coalitions anti-françaises. De 1805 à 1814, la Grande Armée vit une épopée comme on n’en avait pas vue depuis Alexandre le Grand, guerroyant du Portugal jusqu’à Moscou, contre des troupes germaniques (autrichiennes, prussiennes, hanovriennes, saxonnes), russes, britanniques et suédoises, sans oublier les guérilleros espagnols qui ne respectent aucune des lois traditionnelles de la guerre… c’est le même travers que l’on notera chez les amateurs des diverses Résistances à l’occupant allemand, durant la Seconde Guerre mondiale.
La guerre est une activité terrible, voire terrifiante – d’ailleurs non réservée à l’espèce humaine -, mais elle devient immonde, quand des non-professionnels décident de s’en mêler.
On peut reprocher une faute politique majeure à Napoléon Ier. Lors de l’entrevue de Tilsit, en juillet 1807, puis à Erfurt, en septembre 1808, il interdit au tsar Alexandre Ier de prendre Constantinople et les Détroits séparant la Mer noire de la Méditerranée, laissant les Turcs dominer une terre européenne où ils n’ont absolument rien à faire.
Après la défaite décisive de Leipzig, du 16 au 19 octobre 1813, où les troupes françaises et bavaroises se battent à un contre trois, on retrouve le Bonaparte manœuvrier des années 1796-97 au cours de la superbe, mais vaine, Campagne de France de 1814. L’abdication est signée à Fontainebleau, le 6 avril 1814. Louis XVIII rentre à Paris, tandis que Napoléon devient roi de l’île d’Elbe, où il s’ennuie.
Pour le malheur des Français, il débarque avec un unique bataillon, le 26 février 1815, au Golfe-Juan, remonte triomphalement à Paris. Son règne de Cent-Jours finit à Waterloo, le 18 juin 1815. Les Britanniques se chargent du rôle de geôliers : relégué sur l’île de Sainte-Hélène, il meurt de cancer gastrique le 5 mai 1821, laissant un souvenir inoubliable dans l’histoire humaine.
Il eut le grand mérite de rassembler la Nation française, mais fit preuve d’une grande faiblesse : son amour de la famille. Ce népotisme absurde lui fit donner des postes à des frères ineptes ou inaptes… ce qui les rapproche des politiciens « démocrates » de la Ve République agonisante.
Il a beaucoup exigé de la Nation française, mais aussi de la Belge – et son souvenir demeure vivace en Belgique -, mais il lui a offert une épopée grandiose et des institutions solides.
Au plan humain, il n’était pas un psychotique, à la différence de tant de chefs d’État. Simple dans l’abord, souvent bienveillant et toujours reconnaissant, brusque avec ceux dont il se méfiait, il se situait à l’exact opposé des démagogues du demi-monde des professionnels de la politique. Parvenu à l’Empire, il a conservé son esprit critique, disant volontiers : « Je me suis trompé si souvent que je n’en rougis plus ». Manquant de cynisme, il fut très largement trahi : Talleyrand, Caulaincourt, Fouché, Bourrienne (son secrétaire), Daru (le chef des services logistiques de la Grande Armée), divers maréchaux et hauts-fonctionnaires vendirent ses secrets ou l’abandonnèrent aux moments critiques.
Il est curieux de constater sa mansuétude envers les traîtres, car beaucoup de trahisons lui étaient connues. Il n’a fait exécuter que les auteurs d’attentats, sous le Consulat, et les comploteurs militaires, sous l’Empire : les meneurs de la secte républicaine des Philadelphes, puis les rares acteurs de la ridicule tentative de putsch, dirigée à Paris, en octobre 1812, par le général en disponibilité Claude Malet, qui conspirait au vu et au su de tous depuis 1802.
Le 15 décembre 1809, il divorça de Joséphine, pour cause de stérilité… elle l’avait trompé avec une ribambelle d’amants. Remarié, au printemps de 1810, avec l’archiduchesse Marie-Louise de Habsbourg, fille de François II et nièce de Marie-Antoinette, il eut la joie d’être père d’un enfant légitime le 20 mars 1811. Le « Roi de Rome » devint duc de Reichstadt et mourut précocement, en 1832.
La désinformation du Service de Renseignements britannique s’est acharnée sur lui, l’accusant d’inceste avec Hortense de Beauharnais (qui avait effectivement le même comportement de catin que sa mère), de liaisons homosexuelles et même de monorchidie (si l’on préfère, l’accusant de « n’en avoir qu’une »)… soit très exactement les mêmes accusations qui seront proférées contre Guillaume II, de 1914 à 1918, puis contre Adolf Hitler, de 1938 à 1945, et reprises en chœur par de nombreux « historiens ».
En 1840, la dépouille du plus grand chef de guerre français fut inhumée aux Invalides, rejointe en décembre 1940, sur ordre d’Adolf Hitler, par celle de son fils.
Petit – il ne mesurait qu’1,69 m – et très maigre jusqu’à trente ans, il n’en a pas moins exercé un formidable ascendant sur les généraux et les troupiers de l’armée d’Italie, réussissant même, à la bataille d’Arcole, à inverser le cours d’une panique : on ne peut douter ni de son courage ni de son charisme… même si des auteurs en mal d’originalité et amateurs de paradoxes écrivent le contraire. Il est la parfaite illustration d’un axiome : il ne faut pas confondre hauteur et grandeur !
Nietzsche a écrit de lui qu’il avait représenté la synthèse de l’humain et du surhumain. Adolf Hitler en fera son modèle. Lui-même a dit un jour, à Sainte-Hélène, qu’il aurait mieux valu pour le repos de l’humanité que ni lui, ni Jean-Jacques Rousseau n’aient vécu… c’est vrai, mais les époques dépourvues de génies (et il n’est pas trop assuré que Rousseau ait été du nombre) sont celles où l’humanité somnole. Sans Napoléon Bonaparte, pas de grand moment pour l’humanité en cette période de transition entre le XVIIIe siècle et le XIXe. Un génie coûte souvent cher en vies humaines, mais il est un maître pour l’élite des générations suivantes… et cela seul compte.