Par Bernard PLOUVIER
Napoléon Buonaparte (1769-1821) est le fils d’un nobliau corse d’origine toscane, mort en février 1785 d’un cancer de l’estomac, qui avait combattu avec Paoli avant de se soumettre aux Français, dont il jugeait que leur civilisation représentait le progrès dans une île à la population arriérée.
Il est un élève plutôt médiocre à l’École militaire de Brienne, d’avril 1779 à septembre 1784, puis étudiant tout aussi médiocre de l’École militaire supérieure de Paris, d’octobre 1784 au mois d’août 1785, sortant en 42e position sur 58 élèves. Chacun sait qu’il n’est pas bon d’avoir des idées originales dans le milieu militaire.
Il est sous-lieutenant d’artillerie à Valence, de septembre 1785 à septembre 1786, s’ennuie et prend un congé sans solde d’une année, pour visiter sa mère, Laetitia, qui vit assez pauvrement en Corse. Il est de retour au service, à Auxonne, de mai au mois d’août 1789, et repart en Corse où il séjourne jusqu’en décembre 1790, fréquentant Paoli dans l’espoir, vite déçu, d’en obtenir un haut grade dans la Garde Nationale de l’île. Il rentre en France, accompagné de son jeune frère Louis, né en 1778, dont il assurera l’éducation, toute militaire. En mai 1791, il est promu lieutenant, de nouveau affecté à Valence, où il devient secrétaire de la filiale locale des « Jacobins ».
De septembre 1791 au mois de mai 1792, il commande un bataillon de volontaires, se brouille avec son colonel et part se justifier au ministère. De ce fait, il assiste narquois aux journées du 20 juin et du 10 août 1792, écœuré par la mollesse du roi et le massacre des défenseurs des Tuileries. Il est nommé capitaine d’artillerie, le 30 août, et repasse en Corse, espérant prendre part à l’expédition de Sardaigne : prévue pour février 1793, elle est sabotée par Paoli. il revient en France en juin 1793, écrivant alors Le souper de Beaucaire, où il présente ses idées politiques, qui sont celles de Maximilien Robespierre, qu’il ne rencontrera jamais. Jusque-là, rien de notable, encore moins de glorieux ! Pourtant, la guerre gronde au Nord et à l’Est du pays : il n’en a cure, restant à cette époque un « méditerranéen ».
Le 7 septembre 1793, nanti du grade de chef de bataillon, il reçoit le commandement qui le fait entrer dans l’histoire : celui de l’artillerie de l’une des deux divisions de la petite armée mal commandée par Jean-François Carteaux, assiégeant Toulon, occupé par un corps expéditionnaire britannique, introduit par les « Fédérés » locaux. Il y rencontre Marmont, Junot, Leclerc et Suchet, tous officiers subalternes. Son maniement expert de l’artillerie force les Britanniques à rembarquer.

Il est fêté par les Conventionnels en mission dans les départements de Provence : Barras, Fréron, Saliceti et Augustin Robespierre. Le 6 février 1794, il est promu général de brigade et nommé inspecteur des Côtes de Nice et commandant de l’artillerie de l’armée d’Italie qui bute depuis trois ans sur l’obstacle de Saorgio. Après une analyse topographique précise, le 6 avril, le jeune général propose un plan (qui évoque celui d’Alphonse Juin face au problème de Monte Cassino, en 1944) : contourner l’obstacle par les montagnes environnantes. L’opération est un franc succès, entrainant la prise d’Oneglia, et, chose extraordinaire, le commandant de l’armée, Pierre Du Merbion (devenu Dumerbion), rend hommage à son subordonné. Il a 25 ans, les premiers rayons de la gloire le réchauffent ; la vie lui paraît belle. Mais le 27 juillet, Robespierre « aîné » et ses rares amis sont arrêtés, étant jugés et guillotinés le lendemain.
Le 6 août 1794, le Corse Saliceti ordonne de le suspendre et même de l’emprisonner, le 9, comme « Robespierriste ». Il est exact qu’à Toulon, Bonaparte a préféré fréquenter Robespierre « jeune », franc et sympathique, plutôt que les autres « représentants du peuple », assez peu fréquentables pour ce qui est de Barras et Fréron, Saliceti étant de contact rugueux. Chacun sait que les idées « jacobines » du jeune général ont été puisées dans les discours de Maximilien. Dumerbion hurle de son lit où la goutte le retient et fait libérer son jeune prodige le 20 août.
En avril 1795, on le mute dans l’infanterie de l’armée de l’Ouest ; le général refuse de passer dans la biffe, prend un congé sans solde à compter du 15 juin, s’amourache vaguement de la riche belle-sœur de son frère Joseph – Désirée Clary, qui deviendra madame Bernadotte et nourrira toute sa vie une haine pour le jeune Corse qui n’a pas voulu d’elle pour épouse. Il est employé au Bureau topographique de l’armée, à compter du 18 août, où il est l’adjoint de Clarke, le protégé de Carnot. Il est rayé des cadres le 15 septembre, en raison de son refus réitéré de passer dans l’infanterie et de son très rude caractère. Il y a effectivement pléthore de généraux d’artillerie, en cette époque ; il pense s’engager dans l’armée du « Grand Seigneur » ou Grand Turc, le calife-sultan d’Istanbul.
Fréron, qui est une canaille, le rappelle au bon souvenir de Barras, tout aussi débauché et corrompu, lorsque celui-ci est chargé par la Convention de diriger l’armée de l’intérieur le 4 octobre 1795. Le lendemain (13 vendémiaire III, selon le comput révolutionnaire), Bonaparte, près de l’église Saint-Roch, mitraille les insurgés royalistes, aidé de Murat qui est allé chercher les canons du parc d’artillerie des Sablons.

Il est promu divisionnaire, le 16 octobre, et succède à Barras, le 26, à la tête de l’armée de l’intérieur. Chez Barras, il rencontre « la veuve Beauharnais », qui n’a que six ans de plus que Bonaparte. Le premier mari de la Joséphine, commandant-en-chef malhabile de l’armée du Rhin, au printemps et durant l’été de 1793, a été guillotiné quelques jours avant la chute de Robespierre. Elle est alors la maîtresse délaissée de Barras – qui lui préfère des gitons, d’autant que l’état dentaire de Joséphine laisse à désirer. Le jeune Bonaparte en tombe éperdument amoureux ; elle se laisse épouser le 9 mars 1796 – Barras et Tallien étant les témoins… et le trompe aussitôt. Sa fille Hortense adoptera la même attitude de catin envers son époux, Louis Bonaparte ; on ne sait donc si Napoléon III est réellement le neveu du Grand.
Le 19 janvier 1796, le général Bonaparte a proposé un plan de guerre contre l’armée piémontaise, agréé par Lazare Carnot, celui des Directeurs qui est chargé des questions militaires. Le 2 mars, il est nommé chef de l’armée d’Italie. La campagne débute le 10 avril 1796 et se termine le 12 mai 1797, où se distinguent Berthier (chef d’état-major) et les divisionnaires Augereau, Bernadotte, Joubert, Lannes, Leclerc, Masséna.
Jamais, en 13 mois, un chef n’a amassé autant de victoires, avec une armée initialement très mal équipée et plus mal approvisionnée encore, écrasant tour à tour Piémontais, Autrichiens, Britanniques, et diverses troupes italiennes. Les Piémontais signent un armistice le 28 avril (et la paix le 15 mai), imités par le duc de Parme et Plaisance (les 9 mai et 5 novembre), le duc de Modène (le 17 mai), le roi de Naples (les 5 juin et 10 octobre), le Saint-Siège (le 23 juin 1796 pour l’armistice, le 19 février 1797 pour le traité de paix), l’Autriche (7 avril 1797 pour l’armistice ; les préliminaires de paix étant débutés à Leoben le 18 avril). La République de Venise se déclare amie de la France le 16 mai 1797 : le triomphe militaire est doublé d’un succès diplomatique intégral. Le nom de Bonaparte est dans toutes les gazettes, ce qui agace les politiciens.
Bonaparte envoie Augereau à Barras pour diriger les troupes prêtées par Hoche pour s’assurer du calme à Paris, lors de l’opération des 18-19 fructidor V (4-5 septembre 1797), où l’on casse du royaliste, dans la capitale. Le 25 décembre, il est élu membre de l’Institut (dans la classe des Sciences physiques et mathématiques). En février 1798, il travaille sans conviction à un vague plan d’invasion du Sud de l’Angleterre, et se laisse convaincre par Talleyrand de l’utilité d’une opération en Égypte, dans le cadre d’une opération de guerre indirecte contre la Grande-Bretagne – Alexandrie est déjà une base navale britannique.
Le 5 mars 1798, l’opération est acceptée par le Directoire et Bonaparte quitte la France le 19 mai. En juin, il occupe Malte, détruisant des siècles de pouvoir clérical. En Égypte, admirablement aidé par son ami Desaix, il accumule les victoires, mais l’escadre de Nelson coule la majeure partie de la flotte française en rade d’Aboukir, le 1er août.
Puis son armée est accrochée, du 19 mars au 17 mai 1799, au siège de Saint-Jean d’Acre – l’artillerie de la garnison étant dirigée de main de maître par un émigré français que Bonaparte connaît bien, puisqu’ils se haïssent depuis leur passage à l’École militaire de Paris : Antoine Le Picard de Phélyppeaux, qui a guerroyé dans l’armée du prince de Condé, a organisé des bandes contre-révolutionnaires en France, puis a rédigé un faux ordre de mission censé provenir du ministre de la Marine pour faire évader du Temple le commodore britannique William Sydney Smith, le 24 avril 1798. L’armée française manque de mortiers. Le siège est levé et Bonaparte, au lieu de remonter vers les côtes syriennes, d’autant que la peste sévit en Palestine, reflue en Égypte.
Laissant son armée aux ordres de Kléber, surveillé par Desaix, il s’embarque sans ordre, le 23 août 1799, emmenant Berthier, Lannes et Murat. Il débarque en France le 9 octobre, juste à temps pour organiser, à son profit et à celui de l’État français, un coup d’État que Sieyès voulait faire pour devenir le dictateur civil associé à un dictateur militaire tant que durerait la guerre. Réal (ex-ami de Danton et Commissaire du directoire pour le département de la Seine) et Lucien Bonaparte travaillent les membres des deux assemblées ; au gouvernement, seul Dubois-Crancé (Guerre) s’avère hostile ; les généraux présents à Paris lui sont acquis, sauf Bernadotte (hostile) et Moreau (neutre, puis favorable).
L’affaire est jouée les 9 et 10 novembre (18-19 brumaire VIII), surtout grâce à Lefebvre, Lannes, Moreau, Murat et Lucien Bonaparte (alors Président des Cinq-Cents)… Napoléon s’avérant intimidé face aux parlementaires. Cette défaillance, inexplicable compte-tenu de la qualité humaine de ces médiocres, ne se renouvellera plus ; désormais il les traitera comme ils le méritent : par le mépris.