LANGUES REGIONALES : IL N’Y A PAS DEBAT !

Par Eric VALIN

La longue histoire des avatars de la langue française comporte autant d’épisodes de cohabitation pacifique avec les langues régionales, avec ou sans apports réciproques, que de mise en concurrence par une instrumentalisation politique.

En 842, les Serments de Strasbourg qui scellent un accord entre Louis le germanique et son frère Charles le chauve (pour lutter contre leur autre frère Lothaire) sont prononcés en français. En 843, le traité de Verdun est considéré comme le moment fondateur de la France du fait du partage de l’empire carolingien.

Cette conjonction de faits et leurs développements trouveront leur apothéose dans la formule « le français langue des rois, langue du droit » illustrée par l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539; avant que le français devienne la langue des cours européennes c’est à dire de la culture et de la diplomatie pendant des siècles.

L’usage du français par les rois est aussi une volonté d’émancipation du latin de l’Église qu’ils trouvaient utile quand elle n’était pas trop prégnante à leur goût.

L’Académie Française qui sera amenée à codifier le français est créée en 1635.

Arrivent deux années de jacobinisme, 1793 et 1794, où l’obligation de l’usage exclusif du français vise à éradiquer toute trace d’un passé royal et obscurantiste. Elles seront suivies d’un XIXème siècle de cohabitation jusqu’à l’arrivée de Jules Ferry au gouvernement.

Dés la fin du XVIIIème et pendant le XIXème la cohabitation des langues n’avait pas un caractère statique car un usage croissant du français avait lieu du fait de l’augmentation des échanges commerciaux, industriels et savants ainsi que du brassage des populations (armées de Napoléon, exode rural).

La politique de Jules Ferry en ce qui concerne le français fut conjointement: une ambiance  d’unité nationaliste pour la revanche après la défaite de 1870, la consolidation d’une jeune IIIème République égalitaire donc unie dans la forme par la langue, le portage de la culture et de la civilisation par les conquêtes coloniales (dont il était un chaud partisan) qui seront les lieux de la francophonie pour une grande part.

En contrepoint à ce « moment » Jules Ferry, il y avait une conjonction de mouvements socio-politiques en faveur des langues et traditions régionales:

  • l’éveil des nationalités qui générait un réveil des provinces (nostalgie provoquée par le rejet des conséquences sociales en milieu urbain de l’exode rural)
  • l’idée de régionalisme et de ses caractéristiques portée par la littérature et la poésie (non dénuée de romantisme et d’idéalisme)
  • un double retour politique vers le passé avec d’une part un nouveau regard sur les provinces porté par les royalistes de Charles Maurras et d’autre part, la position de principe du républicain Maurice Barrès sur le culte des morts et de leur héritage dont les langues régionales.

Dans les tranchées, tous les poilus parleront français un siècle après que les grognards aient commencé à le faire.

L’État Français en 1941 et 1942 promulgue deux lois en faveur de l’enseignement des langues dialectales au motif qu’elles sont parties intégrantes du patrimoine national qu’il fallait bien revaloriser d’une façon ou d’une autre compte tenu des contraintes du moment; évidemment elles seront abrogées en 1945.

Épinglé sur Géo12 : La France

À partir de la loi Deixonne de 1951 un enseignement facultatif pour quatre langues régionales est possible.

En 1992 le Conseil de l’Europe publie la « Charte européenne des langues régionales et minoritaires » affirmant le droit à l’usage de ces langues dans la vie privée et publique; cette même année la France, en riposte, précise dans l’article 2 de la Constitution que « le français est la langue de la République ».

Les esprits taquins et provocateurs de débats pourraient dire que dans ce cas les langues régionales sont celles de la France puisque la « république » est un concept de relation politique plaqué sur les personnes d’un territoire alors que les langues sont constitutives d’une relation historique territorialisée de ces mêmes personnes, celles des « petites patries » constituant de façon kaléidoscopique la « grande patrie »…. mais aller plus loin serait hors sujet.

Plus tard, en juillet 1993, le ministre de la culture Jacques Toubon fait voter une loi constitutionnelle harmonisant la cohabitation entre le français et les langues régionales, suivie de la loi d’août 1994 relative à l’emploi de la langue française (décret d’application mars 1995). Devant l’ampleur croissante de l’invasion de l’anglais et des mœurs états-uniennes dans la vie courante, il sera un ardent défenseur du concept d’exception culturelle auprès des partenaires de l’UE.

France - langues régionales • Map • PopulationData.net

La Charte européenne sera signée finalement au forceps par la France en 1999 mais non ratifiée. Au moment de l’élection présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy critiquait la signature de la France et Ségolène Royal voulait ratifier pour appliquer.

Une centaine de langues en Europe : la situation des langues minoritaires |  Nouvelle Europe

En juillet 2008, il y a une reprise du raisonnement de l’État Français et la Constitution se trouve enrichie d’un article 75-1 précisant que les langues régionales font partie du patrimoine national.

Après cet aperçu historique on en arrive à l’actualité avec la loi de Paul Molac sur « la protection patrimoniale des langues régionales » qui vient, dans un court laps de temps, d’être proposée, votée (8/4/21), contestée.

Cette initiative était d’une grande utilité mais avait deux défauts majeurs: d’abord être une proposition au lieu d’être un projet de loi (mais pouvait-il en être autrement?) ce qui a permis à Jean-Michel Blanquer d’activer (selon des sources concordantes de bruits de couloir) une soixantaine de députés pour faire un recours  auprès du Conseil Constitutionnel afin d’invalider la loi; ensuite d’avoir mis sur un pied d’égalité le français et les langues régionales dés le premier article.

Comment, avec une politique digne des Pieds Nickelés, nos élites auto-proclamées peuvent-elles prétendre que les langues régionales menaceraient l’unité de la France et que la défense du français consisterait à brider l’enseignement des langues patrimoniales alors:

  • qu’il y a des prises de paroles officielles à l’étranger qui ne sont pas faites en français,
  • que la culture française fait l’objet de remises en cause partisanes,
  • que l’écriture inclusive se répand contre tout bon sens,
  • que le globish envahit sans dénonciation la vie quotidienne au travail ou pendant les loisirs et les publicités,
  • que la francophonie fait l’objet d’une gestion des plus « aléatoires » (cf l’article dans Libération du 28/4//21) sans même avoir l’excuse de l’efficacité au bout,
  • qu’une loi contre le séparatisme (de qui ? Je vous le demande) contient un projet en faveur de l’enseignement de l’arabe afin que les gamins des populations exogènes puissent apprendre la langue de leurs parents, les endogènes en rêvent pour leur langue à la fois régionales et patrimoniales; en matière d’assimilation et de discrimination il est difficile de faire pire….

Alors pourquoi se mobiliser en faveur de l’enseignement des langues régionales (sans oublier les patois)?

D’abord parce que si la pratique d’une langue est consubstancielle à une identité elle n’est pas suffisante, tous les francophones, et même francophiles, ne sont pas Français; savoir parler une langue régionale n’exclue pas de la nationalité. Il y a une hiérarchie, langue nationale, langue régionale; ça devrait pouvoir être compris par tout le monde.

La maîtrise d’une langue régionale, au niveau actuel du nombre de locuteurs, relève plus de l’agrément culturel et de la transmission de patrimoine avant disparition que de la revendication séparatiste; il faut y voir un acte d’enrichissement.

S’exprimer avec le langage ancien d’un territoire est un acte d’enracinement et d’attachement à un espace dont on se sent partie prenante pour son entretien et son développement. Et ce territoire le rend bien en terme de repaire et repère en compensation d’une mondialisation qui bouscule les cultures et les hommes. On en comprend la toponymie et l’histoire sous-jacente dont on sera une partie dés que le présent aura basculé dans le passé.

De plus les territoires disposant d’une vitalité identitaire ont généralement une manifestation de solidarité plus intense que ceux qui en sont dépourvus et souvent une résilience face aux aléas économiques supérieure expliquée par ce sentiment partagé d’appartenance à une communauté. J’ai déjà eu l’occasion de dire que le régionalisme n’était en rien un facteur de fragmentation de la France mais une autre façon de la gérer et donc parallèlement à la formule « on ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance » on peut dire que l’on ne tombe pas amoureux d’une addition d’administrations départementales qui se prétend région; l’aire linguistique a un sens.

Il ne faut pas assimiler l’identité régionale et sa manifestation linguistique à un forme de communautarisme fermé; tout comme le nationalisme, le régionalisme s’est s’aimer soi même et cela ne signifie pas détester les autres. A défaut, pour vous réconcilier avec vous-même n’hésitez pas à consulter, il y aura peut être un psy pour vous aider. Le régionalisme, c’est l’intégration sociale naturelle des autochtones et aussi une offre aux horsains parfois victimes du vagabondage contraint par la mondialisation.

Il ne peut y avoir de dialogue, voire intégration, qu’avec des identités consistantes; quand les migrations n’ont pas un caractère invasif, l’identité régionale est une offre de passerelle par le vécu au quotidien et de proximité (capillarité, osmose?) vers la nationalité française; faire en une génération ce que les rois ont fait pendant mille ans.

L’apprentissage des langues régionales dés le plus jeune age développe une agilité intellectuelle qui se ressent positivement dans les résultats scolaires de ceux qui ont le bonheur de pouvoir en bénéficier. C’est aussi une préparation à l’accueil des langues étrangères.

L’éducation aux langues régionales forme aussi l’esprit à la découverte des paysages, coutumes et expressions artistiques, elle constitue une préparation à un tourisme intelligent. Savoir décrypter sa culture locale c’est s’approprier l’outil de connaissance des autres.

Pour toute ces raisons, on a du mal à accepter le raidissement corporatiste et étriqué de l’Éducation Nationale opposée à l’enseignement des langues régionales, elle qui peine à passer pour un ministère de l’instruction publique  au vu des places de nos collégiens et lycéens dans les classements internationaux ferait mieux de donner les moyens d’accès au savoir à ceux qui le demandent.